Boni prémédite le viol de ta femme. Quelques semaines avant, il envoie ses complices demander une messe pour la fraternité et la paix des familles et des habitants du bourg. Ses apôtres passent de maison en maison porter la bonne nouvelle de la fraternité et de la paix. Pourquoi cette bonne volonté pacifiste ? Tout cela parait rétrospectivement intrigant ; mais sur le coup, personne ne songeait à une mauvaise intention ; les bonnes œuvres sont toujours bonnes à prendre, et paraissent plus intéressantes que leur contraire.
Puis le jour de son forfait, Boni fait venir votre femme chez lui sous un prétexte quelconque, par l'appât d'une bonne sœur grassement payée à cet effet. Et voilà qu'au détour d'une petite inattention, comme un gibier rabattu dans un piège, Boni enferme brutalement votre femme dans une alcôve, et en deux temps trois mouvements, la culbute, l'immobilise, la dénude, et incontinent, lui plante son dard en toute intimité. Votre femme se met à hurler au secours. La nouvelle du viol, portée par des voix secourantes, vous parvient. Surpris par ce forfait indigne et hypocrite de votre voisin, vous accourez, accompagné de vos enfants et amis avec bâtons et gourdins pour libérer votre femme de l'assaut sordide de l'incube. Mais à l’entrée de chez l'usurpateur, vous rencontrez les mêmes prêtres, apôtres, bonnes sœurs et âmes charitables qui vous accueillent avec le même discours de la paix et de la fraternité sur la confiance duquel votre femme a été attirée dans le piège du violeur qui la viole. « La paix ! Faites la paix !» Crient ces bonnes âmes malicieuses. « Ne versez pas de sang ! Nous sommes tous des frères ! » Vous disent-ils, pince-sans-rire. Et vous exigez qu'on vous remette votre femme et pour toute réponse on vous dit : «La paix ! Faites la paix ! Ne versez pas du sang ! Nous sommes tous des frères ! ». On vous propose de l'eau fraîche comme le veut la tradition et pour vous calmer les esprits. Pendant ce temps, Boni, l’assaillant ne lâche pas prise. À chaque coup de rein, les cris de votre femme, comme des flèches incandescentes, vous brûlent le cœur… Et les apôtres, comme des hypnotiseurs, vous serinent gentiment le beau refrain de la paix. «La paix ! Faites la paix ! Ne versez pas du sang ! Nous sommes tous des frères ! Ce n’est que de l’Amour ; il ne va pas la manger ; il vous la rendra tôt ou tard…Vous pouvez même la partager avec elle, comme en politique on parle de Gouvernement d’union nationale…ou de large ouverture…Vous comprenez ? Soyez patient !»
Et vous les écoutez, spectateur hagard d'un beau théâtre de l'absurde sans savoir quoi faire d'autre pendant que votre femme crie au secours et que vos enfants pleurent d’entendre leur mère assaillie par un incube sans foi ni loi... Sans savoir comment s’en libérer et comment se laver de cette souillure qui la marquera à jamais ! Pendant combien de temps resterez-vous en arrêt à vous laisser distraire par ce théâtre bien huilé ?
Ahandessi Berlioz
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