En tant que métier et formation dérivée du droit et des humanités, l'avocat qui est la voix du justiciable devant les tribunaux, a tôt fait de s'intéresser à la politique. Sa connaissance du droit et sa fibre humaniste l’y ont naturellement incliné. Sans pour autant en avoir le monopole, comme certains d'entre eux ont tendance à le supposer, leur capacité en droit est pour eux un atout qui les aide à naviguer à travers les méandres des textes légaux et des disputations à caractère constitutionnel. Cette prédisposition a eu pour conséquence la floraison d'hommes politiques issus du métier du droit en général et plus précisément de celui d'avocat. En France par exemple, pays colonisateur dont nous utilisons la langue et copions les institutions souvent sans aucune réflexion d'adaptation, en France donc, il y a des exemples célèbres d'hommes politiques issus du métier d'avocat : François Mitterrand, Roland Dumas, Badinter, et même l'actuel président M. Sarkozy sont, avec des spécialités diverses, issus du métier d'avocat. Mais la vocation d'homme politique a éclipsé leur origine professionnelle. Certains comme Robert Badinter, et Roland Dumas dans une moindre mesure, ont conservé le profil professionnel et intellectuel d'avocat et de spécialiste du droit en mettant leur expérience d'homme politique en berne ou en la ramenant à des circonstances bien particulières dans leur parcours biographique. L'avocat Jacques Vergès quant à lui n'est jamais directement descendu dans l'arène politique même si les causes et les affaires dans lesquelles il s'illustre de façon souvent polémique et médiatisée ainsi que son discours provocateur sont de nature très politique.
Au Bénin nous avons aussi des hommes politiques qui sont issus du métier d'avocat l'un des plus célèbres est Me Adrien Houngbédji. Selon la biographie du candidat de l'UN aux élections de 2011, il apparaît que sa vocation politique, liée à sa sensibilité humaniste, a pris ses racines dans la zone d'interférence de son métier d'avocat avec les turpitudes de la vie politique béninoise. Et les risques politiques liés à son métier d'avocat ont contribué aussi bien à sa prise de conscience politique qu'à son enrôlement dans le métier de la politique. Aujourd'hui il va sans dire que c’est le politique expérimenté qui l'emporte sur l'avocat chevronné chez celui qu’on continue d’appeler Maître par référence à son métier d’Avocat. D'autres hommes ou femmes de la vie politique ont des parcours qui fluctuent entre le pôle politique et le pôle du professionnel des affaires juridiques.
Comme il a été souligné plus haut, les atouts professionnels des juristes et hommes de loi au fait des notions de droit et à même de comprendre plus que la moyenne des citoyens les textes de loi et le langage du droit les inclinent au métier politique. Cela est vrai pour tous les hommes de loi : magistrats, juristes et avocats. Mais pour ces derniers, il existe un atout supplémentaire qui rend raison de leur surreprésentation en politique. Cet atout est l'art de la parole. Les avocats, de par leur métier, sont amenés à parler, à défendre leurs clients, à expliquer les situations, à les démêler en se servant de leur connaissance de la loi. Ils ont vocation à servir de porte-voix à ceux dont la voix ne porte pas, ou dont l'ignorance de la loi ne leur permet pas de parler ou d'expliquer leur cause. Entre une cause et le tribunal, ils servent d'intermédiaire pour faire entendre le point de vue de leurs clients. Or, en politique est posée aussi la problématique de la parole. La parole de l'homme politique en direction du peuple. La parole du représentant en direction et dans les diverses conseils institutionnels : Assemblée, Commission, Conseil, Gouvernement, etc. La parole de l'homme politique intervient aussi dans le rapport médiatique au peuple. Avec le développement des nouvelles formes d'outils médiatiques et l'importance colossale prise par les médias dans la vie publique, la valeur des hommes politiques en est venue à être indexée sur leur capacité à manier les médias. L'homme politique à succès est celui qui est « médiagénique. » Et en ce qui concerne la parole comme vecteur primaire, l'homme politique qui maîtrise l'art de la parole sait atteindre le peuple plus facilement et est plus estimé de lui. Cette valorisation du bien parler n'est pas nouvelle. Mais avec le progrès des mentalités et les nouvelles technologies de l'information, on est passé de l’expression et l'échange de l'information politique à la communication. Le beau parler a supplanté le bien parler. L'expert en logomachie avec une orientation juridique affirmée a supplanté le tribun. Là où la hiérarchie charismatique du tribun était compensée par l'identification fusionnelle du militant ou du citoyen, la supériorité locutoire de l’expert en communication impose la passivité de l'auditeur ou du téléspectateur. La médiatisation a remplacé l'immédiateté de l'échange d'informations. C'est dans ce contexte qu’une race nouvelle d'avocats a essaimé la frange médiatique de l'espace politique. Contrairement à l'habitude antérieure qui faisait du métier d'avocat une origine professionnelle lointaine et adjuvante de la fonction actuelle de l'homme politique, a émergé une nouvelle catégorie d'acteurs politiques périphériques qui maintiennent et mettent en avant leur identité professionnelle d'avocats au service de la communication politique. Qu’ils soient inclus directement dans les clubs politiques ou dans les appareils de campagne électorale, leur rôle et fonction souvent tarifée consiste à présenter la parole de tel ou tel parti ; être le porte-parole de tel ou tel candidat. Les cabinets d'avocats se mettent alors au service des hommes politiques. Le débat politique médiatisé adopte le schéma rhétorique et formel des tribunaux. Les experts en parole, de par leur profession sont rompus à l'art de bien parler, parlent au nom des politiques qui ont – surtout lorsqu'ils sont aux affaires – de quoi les rétribuer. La parole politique fait l'objet d'une sous-traitance expertisée de la part des hommes politiques. Cette tendance est fondée dans l'idée implicite que celui qui sait ordonner sa pensée, l'exposer, répondre à point nommé, trouver les mots qu'il faut à bon escient, user des arguments juridiques avec habileté pour impressionner, convaincre ou assener des répliques à son interlocuteur eh bien, celui-là incarne le pôle de l'intelligence ! Et ceux qui incarnent le pôle de l'intelligence ont toujours raison, indépendamment du contenu de leur explication et de la validité de celle-ci. Cette race nouvelle d'avocats, experts en communication politique plus ou moins tarifée, consacre le règne des marchands du bien parler. L'antique communion entre le tribun, l'homme du peuple et le citoyen s'efface au profit des rapports marchands de courtage de la parole politique. Cette tendance n'est pas fortuite puisqu'elle va de pair avec l'émergence de la figure du Banquier-président et d'une manière générale du président technocrate économiste. Cette substitution consacrant à son tour la primauté donnée à l'intérêt économique du citoyen sur son affirmation d'appartenance à une communauté de destin.
Le Banquier-président comme au Bénin sous Yayi Boni ne jurant que par des milliards estime pouvoir tout acheter. Incapable pour toutes sortes de raisons de parler au peuple comme cela se doit, il fait recours à ceux dont il estime que c'est le métier pour porter sa parole. Et les bonnes choses qui seront dites sur son compte sont censées améliorer son rapport avec le peuple, assurer l'échange nécessaire entre le peuple et son chef.
Il s'agit là d'une erreur d'interprétation du rôle que les avocats ont pu jouer dans la politique au cours de l'histoire des grands pays de référence. L'entrée en politique de l'avocat n'a jamais servi à court-circuiter le lien direct et intime entre le politique et le peuple. Elle n'a jamais servi comme instance de sous-traitance de la parole politique. Ce qu'il devient maintenant avec tous les risques liés à la réification de la parole comme vecteur du lien sacré entre l'homme d'État et son peuple.
Cette perversion saute aux yeux dans le débat présenté ici. Le débat met aux prises quatre personnalités. Deux représentants du pouvoir et deux représentants de l'opposition qui sont d'ailleurs des porte-parole de deux candidats à l'élection. Les représentants du pouvoir sont un Ministre celui des relations avec le parlement et une personnalité qui se réclame d'une certaine Société civile, entendez la société civile façon Yayi Boni, l'autre masque des serviteurs zélés du pouvoir. Les échanges et la qualité des interventions donnent une idée du bien-fondé de la nouvelle école d'avocats porte-parole des princes ou des hommes politiques. D'un côté le représentant de l'UN qui montre l'exemple parfait de ce que doit être le porte-parole du politique : à savoir un tribun homme politique lui-même, en l'occurrence M. Gaston Zossou a été ministre mais est surtout connu pour son œuvre d'écrivain, donc de quelqu'un qui connaît et manie à merveille les représentations collectives. Le genre de personnes dont la parole n'est pas seulement technique ou purement rhétorique, mais peut frayer son chemin sinon vers l'âme du peuple du moins vers la conscience collective.
Puis en face on a de part et d'autre, que ce soit sous l'apparence naturalisée et décomplexée du porte-parole de l'aspirant à la fonction de président de la république ou bien sous le masque perfide de la représentante d'une certaine société civile, cette société si vile qu'elle se sait l'instrument du pouvoir, on a affaire à l'avocat expert en courtage de la parole politique, spécialiste du beau parler et des effets de manche et qui espère que sa brillante prestation, souvent grassement tarifée, contribuera à redorer l'image de son client ; dans la mesure où le seul rapport entre l'homme politique et le peuple dans le schéma de la communication qui est le sien est celui de l'image et de la passivité. La perversion de cette dérive éthique atteint son comble dans le présent débat lorsque l'un des avocats experts en parole prétend ne pas connaître d'une tragédie qui a secoué et ému le pays tout entier, la tuerie de DJIDAGBA ! Événement dramatique, s’il en est et dont tout citoyen, et à plus forte raison un politique ne peut raisonnablement prétendre n'avoir pas entendu parler. Et le drame est sans doute que cette avocate n'a peut-être pas entendu parler de la tragédie de DJIDAGBA comme il y a sans doute des Allemands qui n'ont jamais entendu parler de Hitler ! La chose est possible. Mais dans ce cas cette avocate a-t-elle le droit éthique de représenter la société civile dans un débat politique ? A-t-elle seulement le droit de représenter un homme politique et de parler en son nom ?
Voici à quelles extrémités perverses et à quelles innommables incongruités éthiques nous conduit cette nouvelle race de sous-traiteurs de la parole politique que sont les Avocats technocrates, porte-voix des politiques technocrates…
Binason Avèkes
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