En politique, deux idées ont une permanence historique : la justice et la paix. Surtout en Démocratie et au sein d'une même communauté nationale.
La première idée, la justice, a ses passionnés et ses adeptes. Cette idée se décline en termes de respect des règles démocratiques, de souci d'équité, et d'égalité pour tous devant la loi, en termes de droit enfin. Ses adeptes se recrutent au sein des partis politiques et de la société civile.
La deuxième idée, la paix, a aussi ses passionnés. Elle se décline en termes de cohésion nationale, de retenue, de sérénité, de fraternité. Ses adeptes se recrutent eux aussi dans la classe politique et la société civile.
Ces deux idées sont également valorisées en raison de leur utilité morale et historique. Mais curieusement leurs adeptes bien qu'ayant les mêmes origines sociologiques, se mélangent rarement ; et ces deux classes d'acteurs politiques sont le plus souvent disjointes. Et tout se passe comme si ceux qui veulent la justice n’aiment pas la paix et ceux qui parlent de paix font peu de cas de la justice. La preuve nous en a été donnée encore cette semaine avec le charivari autour de la LEPI. À n'en circonscrire les effets qu'au seul cercle des anciens Présidents de la République, la disjonction invoquée saute aux yeux. D'un côté on a vu M. Émile Derlin Zinsou et M. Nicéphore Soglo, deux anciens Présidents – l’un respectable par son âge, et l’autre au moins parce qu’il a été élu – se décarcasser comme beaux diables à déplorer l'exclusion de 1 300 000 électeurs de la LEPI ; et à demander que justice leur soit faite, que leurs droits soient respectés. La raison qu’ils invoquaient à l'appui de leur demande était la nécessité du respect des droits démocratiques de tous les citoyens, de l'équité sinon de l'égalité devant la loi, etc.
Pendant que ces deux anciens Présidents jouaient le rôle de sage au chevet de la nation, le troisième ancien Président observait un curieux silence de mort. Au point que la rumeur, fruit vénéneux de la sagesse sociale, finit par en tirer une conclusion symbolique et somme toute sensée : qu'il était mort ! Était-ce pour couper court à cette funeste conclusion ou par crainte de sa vérité symbolique ? Toujours est-il que celui qui était ou faisait le mort ressuscita. Kérékou, puisque c'est de lui qu'il s'agit, donna de la voix. D'abord pour rassurer ses amis qu'il était toujours vivant ; et dans un deuxième temps pour enfin apporter sa pierre de sagesse à l'édification du drame existentiel national. Et celui qui jusqu'ici n'avait pas parlé, parla. Il parla de paix. En termes de fraternité (fils et filles de la même nation) ; en termes de consensus (autour de la LEPI) ; en termes de retenue (des uns (UN) et des autres (FCBE)).
Ce qui est à remarquer et qui corrobore l'hypothèse de la disjonction c’est que Kérékou, en adepte de la paix ne pouvait – et n'entendait – pas mêler sa voix à celle des adeptes de la justice. Le fait est que dans leur posture la plus inavouée et souvent la plus foncière, les adeptes de la paix comptent les adeptes de la justice au nombre des bellicistes. Vouloir la justice, lutter pour elle, exiger le droit pour tous c'est attenter à la paix, mépriser la paix. L'idée sous-jacente à cette inférence douteuse est celle qui régit le réalisme scabreux de la vie politique en général et plus précisément, de la vie politique dans nos démocraties bananières. Selon ce réalisme inepte, il n'y a pas de justice dans l'histoire mais au mieux un consensus sur l'injustice. Et ce consensus doit être privilégié à la recherche aveugle, passionnée et naïve de la justice. Venant d'un septuagénaire qui a blanchi sous le harnais de la fonction présidentielle, cette idée montre bien la valeur de vérité de nos gesticulations électorales. L’idée c’est que Yayi Boni veut et va conserver le pouvoir, mais il n’y a pas de quoi faire une guerre pour cela, parce que nous sommes des fils et filles d’une même nation, parce que nous devons nous entendre autour de l’essentiel, parce qu’il faut sauvegarder la paix à tout prix ! L’idée in fine donne raison à l'approche théâtrale de l'organisation des élections choisie farouchement par M. Yayi Boni. Et qu’il veut administrer à ses adversaires de gré ou de force. Mais là où le bât blesse dans ce réalisme de la vérité électorale au Bénin, c'est que le consensus autour de la LEPI n'a pas les moyens de sa politique morale : c'est un consensus frauduleux, un consensus borné et mort-né. Une image forte pour l'ancienne Côte des esclaves que nous étions jadis permet de comprendre le caractère astucieux de ce consensus frauduleux. Une cohorte d'esclaves attachés les uns aux autres par une corde et ligotés aux mains chacun traverse la forêt en direction de la côte où l'attendent les négriers. Avec les scènes de sévices et de châtiment qui ont émaillé les siècles et les champs de souffrance. Dans le but d'alléger celle-ci arrive une délégation de Prêtres et de Sages qui parlementent avec les contremaîtres et les maîtres de cette funeste traversée. Enfin au bout de longues discussions, commanditaires, maîtres, prêtres et sages finissent par tomber d’accord. Ils ont trouvé un « consensus » : on ne ligotera plus les esclaves, ils ne seront plus enfilés comme des perles mais à part ça, ils marcheront quand même sous la surveillance des armes à feu vers la côte où les attendent les négriers !
Voilà en images le genre de consensus obtenu autour de la LEPI. Et c'est autour de ce consensus que l'adepte de la paix invite les uns et les autres à se retrouver pour et au nom de la cohésion nationale ! Voilà la belle idée des gardiens de la paix, qui tiennent les adeptes de la justice pour des va-t-en-guerre.
Et puisqu'on parle de guerre, apparaît l'autre intérêt du consensus frauduleux de la paix pour le détenteur actuel du pouvoir d'État. C'est que la paix, n'est jamais mise en danger par le pouvoir en place ; car pour le pouvoir, la paix est la paix de gouverner en paix. Si, quelle que soit l'injustice qui lui est faite, l'opposition se tait au nom de la paix, la paix sera. De même, si pendant qu'on discute des conditions de la paix, le statu quo politique est maintenu – c'est-à-dire que le pouvoir est le pouvoir et l'opposition reste l'opposition alors, il y aura la paix ! Ceux qui ont créé ces conditions auront la paix de leur rêve !
En conclusion les passionnés de justice et les adeptes de la paix se mélangent rarement. Le discours de la paix à des usages qui ne sont pas toujours pacifiques. Le jour où le consensus évoqué par les amis de la paix sera moins astucieux et plus respectueux de l’intelligence des interlocuteurs, alors adeptes de la paix et adeptes de la justice commenceront à se métisser pour le meilleur ; et la séparation actuelle entre eux sera un peu moins étanche. Bien sûr il n'y a pas de justice sur terre, surtout en terre démocratique. Mais Ô ciel ! À partir de quel seuil d’injustice les adeptes de la paix comprendront que qui veut la paix prépare la guerre ?
Binason Avèkes
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