Me Adrien Houngbédji, le Tigre de Wole Soyinka
Il est vrai que l'éthique culturelle du règne de Yayi ne valorise pas le débat et cela est regrettable parce que rétrograde. L'origine des inclinations profondes de Yayi en termes de liberté de l'esprit et de respect du droit est à rechercher aussi bien dans son histoire personnelle que dans son parcours, sa trajectoire professionnelle qui le rapprocha, au Togo, des méthodes du sombre dictateur Eyadema. Quoi qu'il en soit, force est de constater que sur tous les sujets qui méritent regard et examen plane un nuage de silence. Le non-débat est organisé ou tout au plus un brouhaha bestial, mélange de toutes sortes de noms d'oiseaux et de cris d'animaux, en tient lieu. Et cette occasion unique que notre société avait de s’enrichir, de penser son présent pour mieux maîtriser son avenir est gâchée, niée, déniée, méprisée, refoulée.
Et pourtant, ce ne sont pas les sujets de débat qui font défaut. L'un de ceux-ci est résumé par la question : «. Comment se fait-il que Yayi Boni, qui était élu en 2006 pour stopper la corruption, en est arrivé à devenir le chef du régime le plus corrompu et corrupteur que nous ayons eu depuis 50 ans? »
Cette question n'est pas polémique, car à quelque aune qu'on mesure la corruption, force est de constater la réalité de l'échelle, de la multiplicité des faits, et du climat moral qui les favorise. La question, si elle n'est ni polémique ni rhétorique, fait en revanche débat. C'est-à-dire qu'elle suscite une profonde curiosité ; sinon un étonnement certain, au point que chacun cherche à y trouver réponse selon son point de vue. Oui, comment le pompier est-il devenu pyromane? Comment le vertueux est-il devenu vicieux? Comment le protecteur, loin de protéger est-il devenu le pilleur des caisses de l'État?
Pour répondre deux axes de réflexion s’offrent. L’axe subjectif et l'axe objectif
L’axe subjectif réside dans le questionnement sur la personne de Yayi Boni lui-même. Pourquoi n'a-t-il pas à cœur le coup d'arrêt promis à la corruption? Sans doute était-il un voleur déguisé qui a trompé son monde, dupé le peuple et abusé de son espérance. L’hypothèse n’est pas délirante. Autrement dit, Yayi Boni, sachant que le peuple a soif de bonne gouvernance et horreur de la corruption, a brandi ce thème comme un slogan pour l’épater et abuser de sa naïveté. Tout le monde se souvient de la déclinaison ternaire sur le thème du changement : «. Ça peut changer, ça doit changer, ça va changer ! ». Nous sommes là dans le cas d’une duperie délibérée et préméditée.
Il y a un second cas de duperie ; c'est la duperie involontaire c'est-à-dire que Yayi Boni étant nouveau dans le champ politique, est soumis à la loi du coût d'entrée. Il est vrai que cette soumission n'est pas incompatible avec le respect de la mission qui lui a été assignée en 2006. Yayi Boni n'était pas obligé de se lancer à corps perdu dans l'enracinement d'une ère qui porterait son nom. Encore moins ne devait-il pas dissocier l'espérance d'un tel enracinement de la qualité de son bilan et de la validation de cette qualité par le peuple. Or, d'entrée, Yayi Boni a fait le choix de sacrifier l'éthique sur l'autel de sa pérennité fantasmée. Le coût de cette pérennité a été la corruption. Elle a été d'autant plus forte que la réélection, devenue un absolu politique de Yayi Boni, est érigée en perspective, programme et but uniques. Le but de la corruption, ainsi que sa fonction, a été d'amasser de l'argent, comme nerf de la guerre électorale, viatique indispensable pour la propagande ininterrompue ; source de rétribution des divers marchands ethniques d'une politique clientéliste basée sur la sommation des diverses allégeances ethniques achetées au prix fort. L'une des sources provient aussi du laisser-aller, du laisser-faire délibéré à tout ceux qui pouvaient promettre à l'enragé de réélection son idée fixe. En un mot, résultat de l'éthique du banquier, a triomphé l'idée que tout pouvait s'acheter avec l'argent. Y compris l'adhésion des électeurs, l'achat de conscience et des marchands ethniques, toutes choses qui constituaient l'œuvre capitale de mise en place d'un régime. Yayi Boni avait été élu en 2006 pour soulager le Bénin de la misère et de la corruption ; mais loin de s'attaquer à cette mission, il n'a pensé qu'à jeter les bases d'un régime censé porter son nom. Cette construction, politiquement, était-elle la condition de la réussite de sa mission? La question peut se poser. Quoi qu'il en soit, le choix qu'il a opéré justifie à la fois le fait que la corruption n'a pas été stoppée sous son règne mais au contraire a cyniquement été décuplée au point de laisser pantois tout esprit qui n'a pas abdiqué au devoir de suite ou ne s'est pas laissé emporter par le flot réducteur de l'abêtissement ambiant savamment orchestré par la propagande du régime.
Venons-en maintenant à l'axe objectif. Celui-ci ne porte plus sur l'individu Yayi Boni président de la république, mais questionne le champ politique dans sa globalité. Et, là-dessus, la reformulation logique de la question initiale est : «y aurait-il quelque chose d'inhérent au champ politique ou plus exactement au système politique béninois et qui le rendrait "corruptogène" »? Quelques considérations peuvent être avancées pour étayer la question ; la première, c'est la contradiction qui existait déjà durant le second mandat de Kérékou (2001-2006) et qui faisait que la corruption n'était jamais aussi forte qu'au moment où, pour la première fois dans l'histoire de la gouvernance de notre pays, fut mis en place un organisme autonome chargé de la surveiller et de la combattre : la fameuse Cellule de Moralisation de la Vie Publique (CMVP). La réponse à ce paradoxe peut résider dans la manipulation ou le choix sémantique insidieux ou le quiproquo dont fait l'objet la perception de la corruption. Souvent le peuple qui est au fait des manières et habitudes de corruption, se plaît à désigner par ce mot les malversations par lesquelles les dirigeants détournent les biens publics et s'enrichissent à son détriment. De fait, ramené à la fortune de ceux qui les commettent, ces actes de corruption portent sur des sommes d'une scandaleuse immensité. Alors que tous les petits actes de corruption qui se déroulent à tous les niveaux de toutes les administrations bien qu'elles portent globalement sur des sommes immenses, ramenée à la fortune de ceux qui les commettent, – équivalent du PNB par habitant pour la corruption – ne pèsent pas grand-chose. Or lorsqu'une institution vertueuse comme la CMVP prétend lutter contre la corruption, c'est moins vers le premier type que le second qu'elle se tourne. C'est surtout le second type qui fait l'objet de son attention de tous les instants. L'une des raisons de ce choix ou de cet état de choses est que l'institution elle-même est une émanation de la volonté de ceux qui au sommet de l'État ont la haute main sur la corruption et ce à des fins politiques ou d'enrichissement personnel. De ce point de vue, et par rapport à l'exigence éthique d'exemplarité qui incombe aux gouvernants, et au regard des moyens constitutionnels accordés à un organisme comme la CMVP, il apparaît que son objet vise surtout à masquer la honteuse prospérité de la corruption d'État. La fonction de caution morale de ce type d'organisme qui ne dépend que du bon vouloir du chef du gouvernement, explique en grande partie le paradoxe constaté sous Kérékou, qui faisait que la corruption n'était jamais aussi forte qu'au temps où sévissait soi-disant une cellule de moralisation de la vie publique. L'autre considération renvoie aux mœurs du système politique, dont une partie s’enracine dans nos mentalités, la valorisation du chacun pour soi et du pillage, le fonctionnement du corps politique, les tendances lourdes, les habitudes, le fonctionnement de la justice, l'arsenal juridique de répression de la corruption, l'efficacité du contrôle et de la vérification judiciaire des hommes politiques.
N'était-ce pas à la réalité de cette tendance lourde que faisait allusion Me Adrien Houngbédji lorsqu'à propos des promesses faciles de changement de Yayi Boni plus soucieux d'exploiter l'euphorie du peuple que de les tenir, il répondit par son énigmatique interrogation prémonitoire : «. Qui change quoi avec qui? » N'était-ce pas aussi à l'attraction de cette tendance lourde qu'a succombé Yayi Boni dès lors qu'il a placé son obsession d'être réélu, son désir de fonder régime avant la mission qui lui était assignée par le peuple en 2006?
Yayi Boni n'était pas seulement conscient de la tendance lourde ; mais il s'est appuyé sur sa réalité pour atteindre ses rêves de conquérants politiques. Malgré son cynisme, rétrospectivement, on peut toutefois reconnaître à Yayi Boni quelques circonstances atténuantes dans la mesure où, contrairement à la croyance naïve qui fondait son choix par le peuple en 2006, il était, de par sa situation, le moins bien placé pour lutter contre la corruption. On peut aussi observer que, à l'instar de Kérékou et de sa cellule de moralisation – paravent commode et caution morale de la corruption d'État –Yayi Boni, pour lutter soi-disant contre la corruption, s'est fendu lui aussi d’une initiative ultra personnelle, à savoir la fameuse marche verte contre la corruption, qui s'est révélée un véritable rideau de fumée.
En revanche, prenant le contre-pied de ces initiatives personnelles, on peut constater que Me Adrien Houngbédji dans son discours d'investiture, comme dans ses discours de campagne, se fait l'avocat infatigable du rétablissement strict et formel de la rationalité légale. L'esprit de ses propositions en matière de lutte contre la corruption, sans verser dans la démagogie ni les les excès euphoriques du régime actuel ni dans les manipulations de façade du régime qui avait précédé celui-ci, peut se résumer en un diptyque en 2 R : Rationalité légale et Responsabilisation.
Entre autres choses, l'idée du candidat Adrien Houngbédji est que réduire à sa portion congrue la pratique des contrats de gré à gré c'est déjà préparer les conditions de réduction des chances de réédition d'un scandale comme CENSAD, ou celui dit des Machines Agricoles pour ne citer que ces deux scandales parmi la noria d'affaires qui ont émaillé la gouvernance calamiteuse du régime finissant. De même, contrairement à Yayi Boni qui présente la dotation budgétaire de l'État aux communes et départements comme un exploit ou un cadeau personnels, que ne mériteraient le cas échéant que les communes politiquement dociles, le candidat unique de l'UN propose d'emblée d'inscrire dans la loi un système bien étudié de dotation aux collectivités locales ; une manière de donner du corps et de la matière aux promesses longtemps rebattues de décentralisation budgétaire du pays. Par cette méthode, non seulement la corruption n'est pas donnée en exemple au sommet de l'État par son chef, mais la responsabilité des élus locaux est engagée. En somme, sans crier gare, sans se faire d'illusions, sans faire des promesses euphoriques sans lendemain, Me Adrien Houngbédji montre le chemin de l'éradication graduelle et non moins rationnelle de la corruption ; et par sa volonté d'encourager la transparence et la responsabilité de chacun, il met véritablement en marche le train du changement qui, loin d'avoir démarré en 2006, avait plutôt rebroussé chemin en empruntant la locomotive arrière.
La méthode de Me Adrien Houngbédji n'est pas sans rappeler la conception de WOLE Soyinka pour le changement : le tigre du Changement ne professe pas sa tigritude ; il saute sur sa proie et la dévore. Celui qui veut vraiment changer ne se contente pas de slogans oniriques et euphorisants du genre : « Ça peut changer, ça doit changer, ça va changer ! ». Non, celui qui veut vraiment changer met résolument en marche le train du changement en appelant chacun à sa responsabilité pour assurer sa marche en avant.
Tout le contraire de ce que – cinq ans durant –à coup de précipitation, de gesticulations et de gouvernance autoritaire et anarchique, Yayi Boni a fait, raison pour laquelle il a succombé à la tentation de la corruption.
Prof. Cossi Bio Ossè
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