Les vêtements que l'on porte ne relèvent pas du hasard. On les choisit en fonction des saisons, mais aussi en vue d'activités. Se vêtir dépasse largement l'aspect pratique, confort ou protection. Tantôt, les vêtements symbolisent l'appartenance à la masse, à un groupe d'individus; tantôt ils symbolisent une quête d'identité, des valeurs, un idéal. Les vêtements reflètent plus ou moins une image de soi mais surtout par le vêtement "on se définit, on se décrit à soi et aux autres".
Le code vestimentaire a une signification sociale importante. Il est le plus souvent une norme sociale non-écrite, tacite, mais toutes les sociétés humaines en comportent un qui est compris et adopté par ses membres. Le code adopté peut donner une indication du rang social, de la classe à laquelle la personne appartient, de son occupation.
L'habillement, outre sa fonction de protection contre les intempéries et de confort, comporte donc un message à forte portée sociale, une prétention à être ce que l'on n'est pas forcément, et - a contrario - il peut aussi défier le « code » en vigueur.
Chez les hommes politiques, l’habillement assume une dimension symbolique. Celle-ci est basée sur le besoin d’identité, de ressemblance entre l’homme politique et le peuple, électeur ou simple citoyen. En Afrique, en raison du caractère pluriethnique des nations et des Etats, et de la violence symbolique découlant du colonialisme l’ethnisme prédomine en politique. Cette logique qui nourrit le régionalisme utilise les marqueurs d’identité ethnique et régionale et ses expressions diverses comme signes d’appartenance. La problématique politique dans le contexte africain de nations pluriethniques étant de se distinguer des autres en même temps que de s’identifier à soi, les hommes politiques, lorsqu’ils y trouvent un intérêt politique et électoral évident, n’hésitent pas à arborer les signes extérieurs d’appartenance à un groupe ethnique, notamment si celui-ci dispose d’une audience élargie, ou d’une position dominante à l’échelle nationale. Le principe de cet usage est la volonté de ressembler autant que faire se peut à un vrai fils du terroir, le terroir ici étant à géométrie variable, et pouvant aller de la tribu à la région en passant par l’ethnie dominante. Cet aspect spéculaire de la vie politique basé sur l’appartenance, et mettant en jeu les symboles d’une origine commune, d’une culture et d’une histoire partagée, confère au vêtement qui en concentre la fonctionnalité totale la dimension d’un élément à part entière du système symbolique, au même titre que la langue ou la religion. C’est donc un symbole qu’il sied de manier avec précaution.
Au Bénin, chacun de nos hommes politiques, en fonction de sa situation ethnique, professionnelle, biographique, de son style, manie ce symbole en toute conscience. Aussi, sans chercher à approfondir le sujet, il est intéressant de voir très brièvement comment nos hommes politique d’envergure ont manié et continuent de manier ce symbole.
I Mathieu Kérékou, l’homme politique officiel
L’identité vestimentaire d’un dinosaure de la politique béninoise comme Kérékou a d’abord connu au début ses premiers balbutiements, ses recherches, ses tâtonnements avant d’évoluer pour se stabiliser sous une forme relativement reconnaissable. Kérékou arbore en général une chemise col Mao et un complet veston. Il ne porte jamais de tenue locale authentique. Les seuls ports avérés de tenue locale authentique datent de ses débuts de révolutionnaire, et se situent dans un contexte de voyage à l’extérieur du Bénin.
Pourquoi ce choix ? Eh bien, l’expérience de « Grand Camarade de lutte » et sa formation empirique de « marxiste-léniniste » ne sont pas étrangères à cette abstraction. Il y a aussi dans la vêture locale difficulté sur le choix. Car les tenues locales les plus en vue sont celles qui portent l’empreinte de l’influence culturelle et esthétique yoruba. Or comme de par ses origines ethnique somba du nord, Kérékou ne pouvait valablement adopter cette influence sans se renier, il est obligé de s’abstenir. Mais ce qui est plus important, c’est le fait qu’étant ethniquement minoritaire dans un contexte où le vêtement local est un signe ethnique à fonction spéculaire, en adoptant un vêtement ethnique, Kérékou révèlerait symboliquement sa minorité. Cette raison révèle bien la dimension de système symbolique du symbolisme du vêtement. En effet, le Bénin a vécu ses 50 dernières années dans l’incongruité d’une aliénation où le Président de la République ne peut utiliser une langue nationale pour parler au plus grand nombre des citoyens. Non pas tant qu’il n’y ait pas une ou deux langues par le truchement desquelles– comme le démontre bien à contrario ces temps-ci les ténors de l’UN – un Chef d’Etat puisse s’adresser à son peuple sans reconduire systématiquement et tout le temps la violence symbolique héritée du colonialisme, mais parce que Kérékou est incompétent dans ces langues-là ! Cette incompétence langagière qui traduit une minorité symbolique se déplace aussi sur le terrain vestimentaire. Ce qui explique son profil bas, et le choix d’un mode vestimentaire qui fait la synthèse entre l’héritage colonial et les reliques d’une expérience idéologique caduque. Au Bénin porter un complet veston et parler français, c’est en quelque sorte rester sur la bonne voie tracée par l’histoire dont nous héritons, c’est parler officiellement à tous les Béninois, bien que ce ne soit pas parler effectivement à tous. Par la force des choses, Kérékou a donc choisi la posture de l’homme politique officiel
II. Soglo le Dahoméen, l’homme politique authentique
En fait la démarche vestimentaire de Soglo se déduit mutatis mutandis de celle de Kérékou. Voici un homme politique qui n’appartient pas seulement à l’ethnie dominante, à la région la plus peuplée du pays, le Danhomè, mais est issue de lignée princière d’Abomey. .Si Kérékou se refusait de porter une tenue locale et est obligé de parler français ; longtemps cette bizarrerie n’a pas fait peur à Soglo. Soglo comme on peut le voir sur les images use abondamment sinon exclusivement de tenues locales, souvent somptueuses et imposantes. Il ne s’arrête donc pas au seul niveau spéculaire, mais il y ajoute une dimension somptuaire et aristocratique qui est recherchée, assenée. Dans ses débuts en tant que Président, au moment où l’âge n’avait pas apporté la prise de conscience et la sagesse, Soglo trahissait un hiatus entre les deux systèmes symbolique de la langue et de l’habillement. Soglo parlait un français qui se voulait châtié, excessivement recherché, à la limite d’un pédantisme conforme à l’image de technocrate, de quelqu’un qui a fréquenté des universités, et qui de ce fait n’aurait pas sa langue dans sa poche. Ce travers des akowé qui font du parler de la langue du colonisateur la preuve et l’indice de leur intelligence et de leur niveau d’étude avancé, preuve souvent pathétique de leur aliénation, Soglo en a été la caricature avant d’en prendre conscience de s’en déprendre pour la remiser sagement au vestiaire de l’aliénation. Pour y parvenir ses tribulations, l’expérience de l’adversité, ses échecs, et la révélation de la violence néocoloniale dont il a été victime et témoin lui ont permis d’asseoir sa conscience rénovée dans l’authenticité de ses racines, l’affirmation de son identité et la prise de conscience de la condition de l’Afrique. Cette phénoménologie de l’esprit explique la façon de s’habiller de Soglo aujourd’hui. Il assume donc le pôle de l’homme politique authentique.
III. Adrien Houngbédji, l’homme politique éclectique
En raison du fait qu’il partage à peu près les mêmes traits biographiques et généalogiques que Soglo, Me Adrien Houngbédji n’a pas de problème pour arborer les tenues locales. Ce qu’il fait d’ailleurs avec un certain bonheur. Mais dans le même temps, en raison de son parcours professionnel (Avocat) d’envergure internationale, il affiche volontiers et concurremment le vêtement occidental de costume trois-pièces. Pour ce qui est du rapport à la langue, en habile avocat, Me Adrien Houngbédji sait avoir le mot juste, sans faiblesse rhétorique mais aussi sans une recherche excessive de posture ; et suivant la même logique, il sait adapter son langage à son auditoire. D’où son plaisir et sa facilité à parler les langues nationales. Dans sa campagne actuelle il use des langues principales du pays pour s’adresser au peuple, ce qui est quand même nécessaire pour éviter le dialogue de sourd, en même temps qu’il met en jeu le lien intime fort avec son peuple. Cette possibilité de jouer sur les deux tableaux vestimentaires qui va de pair avec le même éclectisme langagier fait de Me Adrien Houngbédji l’homme politique éclectique
Zinsou est un cas à part que les mystères de sa biographie pourront révéler…
Bruno Amoussou se situe quelque part entre Soglo et Me Adrien Houngbédji
Enfin pour à peu près les mêmes raisons, mais aussi en raison du fait qu’ils ont un parcours intellectuel important, (Docteur pour l’un, DEA pour l’autre) Bio Tchané et Yayi Boni adoptent la posture de l’homme politique officiel
Binason Avèkes
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