11 février 1900
Six ans que nous sommes ici, six ans que nous avons quitté le pays. Mes années chez les frères de Ploërmel, et maintenant le Lycée Schoelcher. Six ans, je n’arrive pas à y croire ! Entre requêtes, espoir et attente, le temps passe vite. Père en désespère. Pour Dah, une seconde loin d’Abomey est une triste éternité. Hier, CAR, alias Clément Auguste-Rose, le fils du bibliothécaire, m’a montré une coupure de l’Opinion où il est écrit des choses sur nous, comme il s’en écrit souvent dans les journaux. L’article n’est pas méchant. Au contraire, il plaide notre cause. On y parle de notre vie aux « Bosquets », de l’argent qui manque à cause des subventions qui diminuent ; tout cela est exact ; dans ses courriers, Dah s’en plaint. Mais les choses que les journaux écrivent sur nous ne sont pas toujours vraies. Combien de fois ne les ai-je entendus continuer de nous situer à Tartenson, alors que nous étions aux Bosquets depuis des mois ? Ou dire que Père a « la tête couverte d’une espèce de coiffe de soie qu’il enfonce profondément et dont les coins tombent sur ses oreilles... » ; ou encore : « Son œil, a quelque chose d’aigu et de perçant qui vous pénètre et vous devine. Son torse nu, large et noueux, à demi caché sous un pagne révèle une force peu commune » ; ou bien : « Des 150 enfants engendrés par Béhanzin, 4 seulement l’accompagnent... » N’importe quoi ! Les journaux disent ces choses sans nous consulter ; on se demande où ils vont les trouver. Dans l’article que m’a montré CAR, il est écrit que je suis né en 1881. Certes, il s’est produit tant de choses ces dernières années au point que parfois mes souvenirs se mélangent. Mais l’essentiel est intact et guide ma mémoire. À l’intronisation de Père, suite au décès de Dada Glèlè, je pense que je n’avais pas plus de trois ans. Or, Père a été intronisé en 1890, donc je dois être né entre 1884 et 1886. Du reste, sur le papier, je suis né le 15 décembre 1885 à Abomey. Pourquoi les journaux me vieillissent-ils donc ? Colporter des ragots ne leur fait ni chaud ni froid, mais pour moi ce n’est pas pareil : je tiens à mon âge comme à la prunelle de mes yeux. Je ne veux pas que mes camarades s’imaginent que je suis un attardé maintenu par décret au lycée alors que j’ai à peine quinze ans. J’ai démenti l’information avec vigueur. CAR n’a pas fait des manières. Il ne doute pas un instant que nous ayons le même âge. C’est ce qui l’a poussé à me montrer l’article. Mais ses camarades de rhétorique comme Gabin Gicquaire et Aurélien Agenais avaient l’air fin ; sur leur visage se lisait un sourire convenu, plutôt sceptique. Mais à quoi bon chercher à convaincre les sots ? Comme le dit à juste raison M. Combes, le plus philosophe de nos maîtres, il est difficile de réveiller celui qui ne dort pas. Naguère, Jean-Loup Yssingeaux et Aurélien Agenais n’avaient-ils pas tenté de me piéger dans un guet-apens ? Traquenard tendu par Gabin Gicquaire, son valet de pied, Irénée Hautecloche et d’autres imbéciles du même acabit qui mouraient d’envie de rosser un prince une fois de leur vie. Rien à faire, cette venimeuse engeance reste égale à elle-même.
28 février 1900
Aujourd’hui, Monsieur Saint-Sardos nous a rendu nos devoirs de français. Comme souvent, il a tenu la dernière copie pour la bonne bouche et c’était la mienne. Le sujet en était : «Souvenirs d’enfance. » Il tombait
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Gbêkon, le Journal du Prince Ouanilo, par Blaise Aplogan
A Paraître bientôt.
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