Chronique d’une Victoire Mise en Scène
Les élections présidentielles en Côte d’Ivoire ont aggravé la crise qu’elles étaient censées apaiser. Alors que le pays disposait d’un seul président avant les élections, il se retrouve avec deux présidents sur les bras, dont l’un est putatif et « international » et l’autre légal mais « national ». Ce qui est en jeu est le respect de la démocratie et la problématique de la fraude électorale en Afrique. Parce que la passion soulevée par les élections présidentielles est à la mesure de l’usage du pouvoir qui en découle. L’expérience a prouvé qu’en Afrique où l’élection obéit à la logique ethnique, le pouvoir en place n’a ni l’apanage ni l’efficacité exclusive de la fraude… Pour mieux convaincre de sa victoire et cacher sa nature frauduleuse, le recours à une mise en scène stratégique est de bonne guerre. La question de l'élection du président de la république devient alors passionnelle surtout dans un régime présidentiel fort, ce qui est le cas de la plupart des pays africains.
Dans les régimes présidentiels l'élection du président peut se faire à un tour ou à deux tours ; il y a des pays où souvent tout se passe en un seul tour dès lors que le candidat arrivé en tête atteint le pourcentage de voix requis pour être élu, souvent 50 %. Cette situation est fréquente dans les dictatures ou la logique d'accaparement du pouvoir utilise des parodies d'élection pour donner une apparence de démocratie à leur pouvoir.
Quand on va à la recherche des pays démocratiques à régime présidentiel fort où les élections présidentielles se déroulent en deux tours, on est surpris de ce que leur nombre ne se compte que sur les doigts d'une main. En Europe par exemple, on constate qu'il y a une nuée de royaumes, beaucoup de régimes parlementaires ou des régimes présidentiels faibles ou symboliques.
La France est l’un des rares cas non seulement d'une nation, mais d'un régime présidentiel fort où l'élection du président de la république se fait en deux tours et mobilise les énergies et les passions. En Amérique, s'il y a beaucoup de régimes présidentiels, rares sont ceux dont l'élection présidentielle se fait en deux tours. Et lorsqu'il y en a comme dans les nations latines, la tendance est souvent à l'élection au premier tour. Le second tour étant rare.
Le cas des États-Unis est assez illustratif de cette particularité américaine. En effet si le pouvoir est présidentiel et fort, l'élection au suffrage universel se fait en un seul tour et n'est pas directe.
Le Brésil fait pendant à la situation américaine et ressemble au cas français. Le régime présidentiel y est fort et, comme en France, l'élection se fait formellement et régulièrement en deux tours.
En Afrique nous avons affaire à des pouvoirs de régime présidentiel fort dans la mesure où, la démocratie y étant généralement ineffective, on n'imagine pas un régime qui ne soit pas présidentiel et fort. Pour ce qui est des pays francophones, le régime présidentiel fort est calqué sur le modèle de la puissance coloniale, la France.
Tout cela amène à quelques constats et des réflexions sur la manière dont se déroulent les deux tours d'une élection présidentielle dans un régime présidentiel fort. Et à en tirer des enseignements et des questionnements sur la crise ivoirienne qui secoue actuellement l'opinion africaine et internationale.
Dans les pays d'élection présidentielle à deux tours, on constate que le vainqueur du second tour est généralement celui qui est arrivé en tête au premier tour, ce constat est historique et statistique. Il peut être fait pour un pays comme la France dans un examen diachronique ; mais d'une façon synchronique on le fait au niveau de la plupart des pays à régime présidentiel fort où l'élection présidentielle se déroule en deux tours.
Ainsi en France de 1965 à 2007, on peut constater que toutes les élections présidentielles obéissent à cette règle. Sauf, petite exception, l'élection présidentielle de 1995 où le candidat arrivé en tête au premier tour, Lionel Jospin, perdit les élections au profit de celui qui était arrivé deuxième, Jacques Chirac. Mais dans ce cas spécial, force est de constater que le candidat arrivé second au premier tour était talonné par un candidat issu du même parti, Édouard Balladur, dans un contexte de scission dramatique ; si bien que si l'on réunissait ces deux frères ennemis leur score est supérieur à celui de Lionel Jospin qui, bien qu’étant en tête au premier tour, était virtuellement second. Ce qui sera confirmé au second tour.
Le Brésil confirme cette loi empirique politico-statistique. En 2010, Mme Roussef est arrivée en tête du premier tour des élections avec 46,9 % des voix contre son adversaire crédité de 32,6 %. Et au second tour c'est encore elle qui gagne les élections.
D'une manière générale cette loi empirique devient absolue si l'un des deux premiers candidats du premier tour est le président en exercice, ce qui n'était pas le cas en France en 1995.
Au Bénin, en 2006, la loi empirique se vérifie. Yayi Boni qui finira par gagner le second tour était déjà arrivé en tête au premier tour avec une confortable avance.
Ainsi dans maint cas on n’assiste pas à un renversement de tendance entre les deux tours d'une élection présidentielle. Or donc que se passe-t-il en Afrique de l'Ouest francophone ces derniers temps ? On a d'abord vu en Guinée ce phénomène rare de renversement de tendance entre les deux tours. Il est vrai que les deux premiers candidats étaient nouveaux. Au premier tour Cellou Diallo était arrivé en tête avec 43,69 % des voix laissant loin derrière lui A. Condé avec 18, 25 % des voix. Mais au second tour, contre toute attente, A. Condé, fut élu. C'est le miracle du 21 12 ! : le 2ème du 1er tour devient 1er au 2ème tour !
Changement de décor mais à quelques encablures de ce théâtre guinéen miraculeux, nous voilà en Côte d'Ivoire un mois plus tard. Au premier tour des élections les scores entre les trois grands candidats se distribuaient comme suit : 38,,05 % ; 32,08 % ; et 25,24 % respectivement pour Gbagbo, Ouattara, Bédié. En dehors d’Albert Mabri crédité de 2, 7 % tous les 10 autres candidats ont fait moins de 0,25 % portant le total de leurs voix à moins de 3 %. Il faut observer l'articulation sémantique des résultats. Elle concède généreusement à Gbagbo la première place d'honneur (?), mais ses deux concurrents qui le suivent, appelés d'ailleurs à s'unir comme chacun le savait, réalisent un score total de 57,32 %...
Que le président en exercice candidat à sa propre succession arrivé en tête du premier tour d'une élection présidentielle la perde au second tour est rare et quasi inconnu dans les grands cas examinés plus haut. Or c'est cette exception miraculeuse qui a lieu en Côte d'ivoire dans une articulation sémantique qui semble préparée afin de désamorcer toute contestation.
Cela suggère in fine que le parti de Ouattara qui, on le sait, avait la haute main sur un la CEI, a procédé à une mise en scène maîtrisée de sa victoire. Sans préjuger de sa majorité réelle, force est de se demander si Monsieur Ouattara n'avait pas perdu au premier tour pour mieux gagner au second. En clair, si l'articulation sémantique des résultats du premier tour n'était pas délibérée et ne visait pas à endormir le camp d'en face. Calquée sur le modèle de Guinée qui a fait ses preuves logique, psychologique et politique, la mise en scène de la victoire proclamée de Ouattara par la CEI avec la haute main de l'ONU semblerait maîtrisée : une succession savamment orchestrée de concession délibérée et d'attaque surprise, destinée à désarçonner politiquement l'ennemi.
Si l'hypothèse est vraie, si la maîtrise et le noyautage de la CEI par le camp Ouattara avec la bénédiction de l'ONU peuvent aboutir à une victoire-concession de Gbagbo au premier tour alors qu'il aurait pu « perdre » d'entrée ; si tout cela avait été stratégiquement conçu pour produire un effet de surprise, – une sorte de montée de la houle déferlante du peuple électeur qui choisirait son président de façon plausible – alors force est de constater que les élections ivoiriennes ont été au moins de ce point de vue irrégulières, en raison justement de cette capacité de manipulation dont a pu jouer une des parties.
D'une manière générale, il en va du vote en Afrique – notamment en Afrique francophone – comme des deniers publics. Celui qui en a la puissance, les moyens et l'occasion, se sert ; et, armé d'une louche fantaisiste, distribue les ressources ou les voix du peuple comme bon lui emble. En ce qui concerne les élections, on essaie de présenter un arrière-plan de vraisemblance politique susceptible de justifier en apparence la répartition téléologique arrêtée. En Côte d'Ivoire, cela paraît fort crédible de donner 32 % à Ouattara et 25 % à Bédié dès lors que l'on vise au second tour un résultat de près de 55 % des voix. Et tout porte à croire qu'il s'agit d'une répartition figurative délibérée voire truquée. Dans le cas d'espèce, Bédié étant l'homme qui a contribué à hauteur de 25 % au moins à la victoire de Ouattara, comment se fait-il qu’il ne soit pas nommé premier ministre du gouvernement retranché de Ouattara ? A moins que – ce qui est vraisemblable –M. Ouattara et les siens qui ont noyauté la CEI ne sachent mieux que quiconque le poids réel de M. Bédié !
Au total si l'on admet la pertinence de la loi empirique 11 12, c'est-à-dire du fait que dans les élections présidentielles à deux tours, le candidat élu au second tour est presque sûrement celui qui est arrivé en tête au premier tour ; si l'on admet que cette loi ne souffre d'aucune exception dans le cas où le candidat arrivé en tête au premier tour est le président en exercice, force est d'accepter que la survenue de ce cas de figure rare coup sur coup dans deux élections présidentielles en Afrique de l'Ouest francophone est un événement miraculeux, passablement françafricain. Ce miracle semble le fait d’une mise en scène savamment orchestrée. Ce qui jette un peu plus d’ombre sur la superbe avec laquelle, le camp Ouattara, se drapant dans la virginité de l'innocence frustrée, revendique une victoire, qui est plus sujette à caution qu’il n’y paraît
Bouabré Agban
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Rara ! Ouattara devrait cacher son petit guérilléro de poche qui lui a porté plus malheur que bonheur. Car, comme vous le dites c'est bien par là que le mal s'est déclaré. Si au lieu d'avoir forcé les choses en lançant une guérilla sous le bas patronage de la Françafrique, Ouattara s'était cantonné dans un rôle régulier et honnête d'opposant démocratique ; ou même si après que toutes les revendications légitimes au nom desquelles les forces dites nouvelles avaient pris les armes eurent été satisfaites, il avait tôt fait de nous faire oublier ce cauchemar antidémocratique de la rébellion, qui malheureusement à continué à sévir dans le nord, entre rackets et trafics en tous genre ; Ouattara serait bien fondé dans son attitude d’aujourd’hui, et on ne voit pas comment Gbagbo serait inspiré de revanche. Le problème c'est que nos démocrates africains ne le sont que pour accéder au pouvoir, mais lorsque les autres sont au pouvoir, ils perdent le latin démocratique et font flèche de tout bois pour les déstabiliser. "Je rendrai la Côte d'Ivoire ingouvernable" disait-il alors !
Soit dit en passant, n’oublions pas quel progrès a été effectué en Côte d’Ivoire depuis une dizaine d’années que la crise a commencé. On a commencé les stigmatisations découlant de de l’idéologie abjecte de l’ivoirité, ensuite Ouattara qui avait été gouverneur-adjoint de la BCEAO sous l’obédience voltaïque (Burkina-Faso) ou qui avait voyagé aux Etats-Unis avec un passeport voltaïque, était considéré comme originaire de Burkina Faso ; ensuite on disait qu’il ne pouvait pas se présenter aux élections présidentielles, même si on avait fini par reconnaître sa nationalité ivoirienne, en raison justement de ses origines burkinabè supposées ; lorsque sous l’égide du Général Gueï, on toilettait la constitution ivoirienne, la polémique avait battu son plein pour savoir si la condition à laquelle un citoyen pouvait avoir droit à se présenter aux élections présidentielles était qu’il soit de père et/ou de mère ivoirienne, etc… Ce qu’on a appelé à l’époque la guerre des « et » et des « ou ». Maintenant tout cela est derrière nous. Et non seulement les centaines de milliers d’Ivoiriens qui étaient stigmatisés comme dioula ou étrangers ont eu accès à la nationalité et à la carte d’électeur ; non seulement l’armée régulière ou loyaliste a incorporé dans ses rangs les combattants rebelles avec reconnaissance de leurs grades et tout et tout ; non seulement on ne dénie plus à Monsieur Ouattara sa nationalité mais il a le droit de se présenter comme tout Ivoirien à l’élection présidentielle ! Avouons que du chemin a été parcouru ; et ce qui est étonnant pour les Ivoiriens – pouvoir comme opposition – c’est qu’on n’ait pas pris le temps de savourer ces belles victoires. Et il y en a un qui veut absolument être Président, et l’autre qui veut absolument mourir Président…Ce qui risque du reste d’être vrai bientôt,, vu la détermination de la Françafrique d’utiliser tous les moyens…
Bref, l’une des raisons de la crise ivoirienne réside dans le fait que l’irresponsabilité de Monsieur Ouattara est trop sous-estimée, et qu’il a beau jeu de se draper dans le blanc manteau du beau démocrate sans tache, là où Gbagbo serait l'horrible dictateur noir par excellence…
Rédigé par : B.A | 06 janvier 2011 à 17:25
Le président Laurent Gbagbo que ce soit légitimement ou illégitimement a pris l'option d'instaurer un rapport de force avec le soutien des chefs militaires en filigrane, position revancharde bien compréhensible force est de le reconnaître eu égard aux coups de force qui ont déstabilisé son mandat présidentiel. Cette posture ou cette position si vous voulez ne justifie-t-elle pas que Ouattara réplique en exhibant dans son gouvernement provisoire Soro le chef de la rébellion armée ? En outre Premier ministre sortant,donc bien au courant des dossiers Soro semble bien indiqué pour une transition entre régime en attendant un poste de ministre de la défense ou de l'intérieur/sécurité ou que sais-je dans un prochain remaniement...
En raison de cela, Bédié ne semble pas être l'homme de la situation outre le fait qu'ancien président de la république le poste de premier ministre n'est peut-être plus "convenable" pour lui; à quelqu'un de son parti, probablement...
Rédigé par : Thomas Coffi | 06 janvier 2011 à 14:12