Tout va bien, Monsieur le Marquis !
Dans ses deux derniers discours, Yayi Boni installe et met en place l'attitude de cynisme qui va régir son comportement dans les joutes électorales à venir et consacrer ce qui a été pour lui cinq ans durant une obsession : sa réélection.
Ces discours –État de la nation et Forum sur le quinquennat – sont marqués par le parti-pris de la dénégation, de l'ignorance délibérée de la réalité. Cette attitude confine au mépris des préoccupations de ses adversaires politiques et du peuple béninois, de l’éthique social de la démocratie, basée sur l’échange entre les parties prenantes de la vie sociopolitique ; mais au-delà, elle trahit une stratégie cohérente et téléologique de dénégation du réel, préfiguration de l'apothéose de la dénégation : l'idée même de l’évincement électoral du pouvoir.
À force de ne pas voir que la Lépi n'est pas contestée par la partie adverse et de n’y voir que l'idée abstraite qu’elle n’appartiendrait ni à l'opposition ni à ce qui n'est plus une majorité même si elle est présidentielle ; une Lépi qui selon ses termes serait « un instrument technique de transparence de nos élections et un outil de développement par excellence » ; alors qu'en vérité il s’agit d’une liste taillée sur mesure, frelatée, controversée et bâclée.
À force de ne voir le taux de croissance que sur les deux premières années de son mandat et de rejeter sa cruelle vérité des trois autres années dans le flou et le non-dit d'une crise mondiale érigée en cache-misère et masque commode de son amateurisme ; à force de parler de dialogue fructueux avec les syndicats là où la grève et sa répression militaire ont tenu le haut du pavé ; à force d'évoquer pince-sans-rire l'excellence de la cohésion nationale et de la paix politique là où la tension est à son comble, de la rue à l’Assemblée nationale, et où, à tour de bras, il n’hésite pas à embastiller ou tracasser ses concurrents électoraux ; à force d'esquiver dans son bilan le lourd passif de la corruption d'État qui a atteint un sommet inégalé sous son règne, secoué toute la nation et révolté le peuple dans son écrasante majorité ; à force de faire d'une affaire d'importance capitale comme le sacandale ICC Services qui a ruiné des milliers de nos compatriotes, un non-événement.
A force finalement de ne voir qu'échangeur, gratuité de la césarienne et des frais scolaires pour les tout-petits là où la précipitation démagogique qui a prévalu à la réalisation de ces infrastructures ou à la prise de ces décisions n’en ont que grevé l'efficacité ; eh bien Yayi Boni feint à l'avance de considérer le verdict du peuple comme conforme à ses lubies de réélection. Sa dénégation du réel, aussi cynique soit-elle, est fonctionnelle : elle vise à naturaliser le coup de force qu'il prépare. Car s'il doit être bientôt élu comme la stratégie qu'il met en place avec la Lépi et la Cour Dossou à sa botte devrait le lui permettre, il lui faudrait nier le moindre signe de son échec, de sa médiocrité, c'est-à-dire –puisque la réalité en est tissée – le réel même, l'évidence.
Cette attitude cynique est d'abord un mépris du peuple dont l'intérêt supérieur ne réside pas nécessairement dans la volonté de puissance d'un individu, son égotisme sulfureux et sa cécité diabolique. Mais ce parti pris mesquin est aussi un mépris de l'opposition, et de la société civile dont les protestations et les cris de révolte, la déception et la consternation sont tenus pour quantité négligeable. Cette attitude contient en germe une violence symbolique inouïe, et traduit aussi la rupture avec le socle éthique sans lequel le dialogue social, condition de la cohésion nationale, n'est pas possible.
Yayi Boni ne craint pas de reproduire le syndrome ivoirien, peut-être parce qu'il croit que le monde entier le situe, en raison de ses gesticulations diplomatiques, du bon côté de la crise. Il croit que cette caution frauduleuse suffirait à passer en force au Bénin, à prendre ses vessies pour des lanternes. C’est pour cela qu’il oppose le cynisme de la dénégation à la réalité de son bilan chaotique. Ce parti-pris intellectuellement malhonnête serait risible s’il n’était à terme aussi dangereux pour la paix nationale
Aminou Balogoun
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