Ce qui est agaçant dans l'affaire Dangnivo, c'est que l'opposition émet et entretient un climat de suspicion générale à l'encontre du pouvoir mais évite avec art de se montrer plus précis dans ses soupçons. Or, au risque même de se tromper, la précision en l'occurrence à l'avantage de l'honnêteté. Auquel cas, on pourrait penser que l'opposition se repaît d'un climat général de suspicion qui entache le gouvernement et se contente largement de cette opération. Pire encore, on peut penser qu'elle exploite à son compte la disparition d'un homme, d'un compatriote, d'un semblable à des fins purement politiciennes. Et cette attitude, si elle s'avérait, est tout aussi inhumaine sinon criminelle que l'effectivité du soupçon qu'elle porte sourdement à l'endroit du pouvoir.
Alors qu'est-ce qu’être précis en l'occurrence ? Eh bien, être précis, c'est poser la question : pourquoi le gouvernement ferait-il assassiner Dangnivo ? Quelle méthode avérée utilise-t-il ? Pourquoi cherche-t-il soudain à établir l'identité exacte du cadavre de Womey ? Etc.
Des voix autorisées dans les milieux du pouvoir ont, à maintes reprises, évoqué la banalité des sacrifices humains, du moins leur ritualité saisonnière à l'approche des élections. Ces remarques ont soulevé un tollé d'indignation dans l'opinion, et du côté de l'opposition ; elles n'ont du reste eu aucune suite judiciaire du côté du gouvernement qui, sans doute pour calmer les passions, n'hésite pourtant pas à monter au créneau pour interdire les marches des syndicats en faveur de la manifestation de la vérité sur la disparition de Dangnivo. Ces déclarations tendancieuses, en vérité sont sujettes à caution et ne sont rien moins que diversion. Dans la mesure où ces insinuations et suggestions émanaient des milieux du pouvoir, on peut penser qu'elles visent à pointer du doigt l'opposition et plus particulièrement l'UN et son candidat unique. Dans ce cas, ce que tendraient à faire croire ces insinuations, c'est que l'opposition, l'UN et son candidat auraient fait sacrifier Dangnivo pour des raisons occultes et dans le but de gagner les élections. Or cette idée est curieuse parce qu'on ne voit pas pourquoi l'entité magique obscure qui réclame des sacrifices humains exigerait que ce soit celui d'un haut cadre de l'État et de surcroît un militant bien connu d'un des partis de l'opposition ! On ne voit pas non plus pourquoi vient s'y ajouter les accusations rocambolesques d'un Gbadamassi dont l'intention et le caractère frauduleux sont gros comme le nez au milieu de la figure. Pourquoi le sieur Gbadamassi se basant sur le charisme diabolique imaginaire qu'on lui prêterait dans sa maîtrise du maniement des boules puantes s'en donne à cœur joie de créer une telle mise en scène pointant ostensiblement le doigt sur l’Honorable Houngbédji ? Cela prouve donc que le pouvoir n'est pas en reste non plus dans la volonté de jeter l'opprobre sur l'opposition au sujet de la disparition de Dangnivo. Tout le monde veut utiliser la disparition du pauvre Dangnivo à supposer même qu'aucune des parties n'en soit directement responsable :
1. L'opposition en soulevant un soupçon général sans se soucier d’être précis ce qui peut être tendancieux.
2. Le pouvoir en faisant des suggestions et des insinuations et en laissant l'un de ses plus sombres barbouzes aller jusqu'à faire un montage rocambolesque visant à accuser un membre influent de l'opposition.
Or si tout le monde admet que le fameux sacrifice humain qui pour certains membres de la mouvance est chose banale à la veille des élections ne saurait requérir la qualité spéciale de haut fonctionnaire de l'État alors on doit à la vérité de reconnaître que du côté du pouvoir il y a anguille sous roche. Oui parce que l'idée de sacrifice humain banal à l'approche des élections suggérée par les membres de la mouvance est troublante dès lors qu'elle doit nécessairement aller de pair avec celle de la qualité sociologique de la victime.
En revanche, la qualité sociologique de la victime fait penser que ceux qui ont fait disparaître Dangnivo avaient besoin de la médiatisation à haute intensité de leurs actes. Sinon tant qu'à faire des sacrifices humains pour gagner des élections on peut bien se contenter d'un mendiant anonyme, d'un mimboto quelconque ou d'une vendeuse de tchapalo.
Donc les auteurs de la disparition de Dangnivo ont besoin de la médiatisation de sa disparition. Ils ont besoin que l'opinion s'émeuve de cette disparition. C'est sans doute le premier usage de ce « sacrifice » qui en toute logique n'a rien d'occulte ou de magique comme le suggèrent sournoisement certains membres de la mouvance. Pourquoi ont-ils besoin de la médiatisation de la disparition de Dangnivo ? Parce que le fait que le disparu soit sociologiquement et politiquement situé donne de l'importance et crédibilise l'usage politicien que l'on peut faire ou veut faire de sa disparition.
Or dans le passé politique récent – et là-dessus, on peut donner raison à ceux qui font le lien entre disparition de personnes et élections – on a déjà entendu parler du meurtre d’un haut fonctionnaire de l'État – le juge COOVI pour être plus précis – meurtre qui a eu une implication politique et un impact décisif sur les élections qui allaient suivre. Le modus operandi est consacré : le meurtre a été commis à travers des faits s'articulant autour d'une intrigue d'affaires de mœurs, le tout débouchant sur une responsabilité première d'un homme politique. Ce meurtre dont la responsabilité suprême a été imputée à un homme politique a servi à éliminer tactiquement celui-ci du jeu électoral, clarifiant du même coup les données de l'émergence politique régionale d'un autre homme non moins politique.
Forts de cette réussite, forts de ce premier crime, si on suppose que ses vrais commanditaires en avaient défini l'usage, on peut donc raisonnablement penser qu'ils s'apprêtaient à rééditer le même scénario macabre et machiavélique qui leur avait si bien réussi cinq ans plus tôt.
Cette hypothèse est à prendre au sérieux. Au lieu de lancer de vagues accusations en direction du pouvoir cette explication donne le cadre de déduction sur les tenants, les aboutissants et la méthode suivant lesquels a été opérée la disparition de Dangnivo.
Dès lors pourquoi le gouvernement tout à coup fait-il une percée spectaculaire qu'il juge décisive dans l'affaire Dangnivo ? Pourquoi les précipitations soudaines et ses assauts de certitude après plusieurs semaines d'indifférence ironique voire de mépris ? Peut-être pour couper l'herbe sous le pied à l'opposition ; lui rabattre le caquet et mettre fin à ce qu'il considère comme son délire soupçonneux et son orchestration hystérique. Mais cette explication laisse intacte les nombreuses raisons que l'on peut avoir de douter de la pureté du gouvernement dans cette affaire et l'on est obligé une fois encore de convoquer ce qu'il faut bien appeler le syndrome COOVI. En fait dans cette perception des choses, on peut considérer que face à la pression syndicale et de l'opinion, le gouvernement, incapable d'aller au bout de son plan machiavélique initial – à savoir imputer, pseudo-preuve à l’appui, le sacrifice de Dangnivo à Me Houngbédji– essaie maintenant de faire amende honorable ; veut montrer qu'il n’y est pour rien et en l'occurrence tente de faire croire à son innocence. Soit parce que les tests d'ADN confirment que c'est bien le corps de Dangnivo qui a été exhumé à Womey ; soit qu’ils confirment qu'il n'en est rien et que le bokonon de Womey n'est qu'un mythomane psychopathe. Et dans cette hypothèse ce qui est troublant c'est la certitude héroïque et conquérante avec laquelle des hommes du métier judiciaire sans attendre leur reste et notamment le verdict des médecins légistes, affirment avoir découvert la substantifique vérité de cette affaire. Et le gouvernement lui-même, fidèle à sa culture autoritaire et sa propension à se tourner vers les Européens de façon infantile fait appel soi-disant à des médecins légistes français et allemands comme si en toute lucidité leurs homologues béninois pourtant bien réputés, n'eussent pas été à la hauteur de la tâche. Que veut-il montrer, que veut-il cacher ce faisant ? La perplexité reste entière…
Tout cela constitue comme on le voit un faisceau de questions et de faits qui renforce la suspicion légitime de l'opinion et de l'opposition ; mais celle-ci au lieu de rester dans le vague, au lieu de se contenter d'insinuations sourdes a intérêt à mettre sa langue sur ses pensées – comme on le dit en fon – au risque de paraître exploiter une situation qu'elle prétend dénoncer.
Aminou Balogoun
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