De la Région comme structure structurante et structurée
Dans un article publié dans la Nouvelle Tribune, le Professeur Dénis AMOUSSOU-YEYE dit en substance que « la question du régionalisme est devenue une donnée rémanente de notre vie nationale. Elle en est ainsi venue à occulter l’omniprésence de la vraie variable déterminante de notre dynamique sociale : l’ethnocentrisme » Or dans ce qu’on appelle régionalisme au Bénin, si l’ethnie a une place prépondérante, le basculement lexical suggéré est sujet à caution, et mérite examen.
On ne peut procéder à une substitution de mots, un basculement lexical en prenant explicitement pour référence l’acception étymologique de ces mots, car, en France, pays dont nous empruntons la langue, ces mots ont des significations tout à fait spécifiques qui parfois s'opposent à celles que nous leur donnons ici..
« Le régionalisme selon le Robert est « (1) la tendance à conserver ou à favoriser certains traits particuliers d'une région, d'une province –.(2) Intérêts particuliers portés à une région dans une œuvre littéraire. (3) Système donnant aux régions ou aux provinces plus d'autonomie ». De ce point de vue déjà le régionalisme est très loin de signifier la même chose sinon en français du moins en France qu’au Bénin. De même l'ethnocentrisme, étymologiquement plus qu'une action politique ou une idéologie, réfère « la tendance à privilégier le groupe social auquel on appartient et à en faire le seul modèle de référence. » Par exemple l’idéologie colonialiste occidentale qui a imposé comme référentiel le modèle de l'homme blanc, sa culture, sa langue, sa religion aux autres peuples est ethnocentriste.
Mais l’accaparement des postes importants de l'appareil d'État et des Sociétés par un groupe de gens ethniquement déterminés n'a rien à voir avec l'ethnocentrisme ainsi conçu. Ces gens ne disent pas qu'il faille prendre pour modèle le groupe ethnique auquel ils appartiennent. Au contraire, il s'agit d'une division ethnique arbitraire du travail sociopolitique, un égoïsme social à caractère ethnique qui utilise la politique pour atteindre ses fins.
Dans tous les cas, le basculement lexical opéré laisse sur sa faim sémantique. Au-delà des mots, il convient de bien identifier ce que le Béninois met dans le mot régionalisme. Car comme il vient d'être rappelé celui-ci n'a ni le sens du mot régionalisme en France qui est une acception très positive ni celui du mot ethnocentrisme qui est une tendance psychologique à prétention symbolique.
Pour récuser le mot régionalisme et justifier le basculement lexical, l'abstraction lexicale vers le mot ethnocentrisme, le Professeur Dénis AMOUSSOU-YEYE estime qu'il n'y a pas une région monolithique homogène qu'on appellerait Nord face à une région homogène qu'on appellerait Sud. Soit, mais s'il n’existe pas de région homogène au Bénin l'objet ethnique est-il aussi homogène qu'on le laisse supposer ? Existe-t-il une substance homogène ethnique ? Rien n'est moins sûr. Pas moins que les régions, les ethnies ne sont homogènes. Et ce basculement lexical pose plus de problème ontologique qu'il n'en résout. Et, Aristote même et sa logique ne suffiraient pas à distinguer entre l’ethnie et la région. Il faut donc en rester à ce que la pratique et la réalité béninoises désignent ou mettent sous le mot régionalisme. Car cette approche de la nation comme un amas d'ethnies indistinctement distinctes les unes des autres sans aucune forme intermédiaire d'emprise fondée dans l'histoire, et les structures symboliques, est tout simplement une construction imaginaire. Ce à quoi le Béninois réfère en parlant de régionalisme ce n'est pas un territoire géographique clairement défini mais un espace symbolique de plus ou moins grande cohérence. La région ainsi conçue et perçue prend place dans un champ spatio-symbolique qui le structure ; elle est une structure historique et symbolique ; et pour reprendre l’idée de Bourdieu, on peut dire que la région au Bénin est une structure structurée et structurante.
Le champ symbolique régional du Sud et une réalité. En fonction des nodosités, des singularités et de la distribution des lignes de force héritée de l'histoire, ce champ n'a pas été de tout repos. Engagée dans un processus dialectique, sa dynamique n'a pas favorisé l'émergence d'une conscience politique unitaire décisive. Mais, cet état conflictuel ne saurait constituer une raison suffisante pour sous-estimer son effet et son effectivité. À terme le champ symbolique régional du Sud doit évoluer dialectiquement vers un État de plus grande harmonie et permettre ainsi l'émergence d'une conscience de soi régionale. En attendant, ce qui est subsumé sous la notion profane de régionalisme ce sont la tendance mais aussi les pratiques qui, quoiqu’inscrites entièrement dans la dynamique du champ symbolique régional, consistent à concentrer les effets de jouissance politique en quelques points singuliers qui en orientent les lignes de force.
Binason Avèkes
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