Le Bénin on s’en souvient à initié la formule de la conférence nationale. Cette initiative a sauvé notre pays du gouffre de l’anomie et du désordre sociopolitique créé par les apprentis sorciers de la Révolution socialiste ; ceux-ci s'étant révélés de véritables laveurs de chèque et des fossoyeurs de la nation ont été balayés par le vent de la liberté. En ce qu’elle a jeté les bases du Renouveau démocratique, la conférence nationale a été un succès au Bénin. Et, relayant le discours de la Baule, l'initiative béninoise a fait école en Afrique, à défaut de faire des émules.
En effet, dans d’autres pays africains, plus ou moins proches de nous, le succès n’a pas toujours été à la hauteur des espoirs investis. L’initiative a fait long feu, et la révolution de velours attendue a tourné court, favorisant la reprise en main des pouvoirs d’antan, parfois à visage découvert, souvent avec un ravalement de façade à peine trompeur.
La conférence nationale au Bénin dément le proverbe qui veut que les cordonniers soient toujours les plus mal chaussés. Avec cette idée, force est de constater qu’en matière d’initiative politique ou sociale on doit se garder des effets de formule. Aussi pertinente que soit une initiative visant les sociétés humaines, il ne faut pas oublier qu’elle résulte de réalités spécifiques qui ne sont pas toujours transposables sans solution de continuité.
Dans l’histoire politique récente de l’Afrique, une autre initiative originale vient à l’esprit en même temps que l’idée de sa transposition éventuelle : il s’agit de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. Le principe de cette commission est de recueillir les aveux de crimes commis pendant la période d’oppression blanche en Afrique du Sud, et de les absoudre dans la mesure où ces aveux ont été spontanés, sincères et faits dans les délais impartis. Outre la reconnaissance des victimes et de leur souffrance par la communauté nationale tout entière, l’État, en assumant un effort symbolique d’indemnisation de celles-ci, reconnaissait sa responsabilité dans ce drame et aidait du même coup à son dépassement.
Reconnaissance, tel est donc le maître mot du système mis en place par l’Afrique du Sud au lendemain de la libération de Nelson Mandela pour tenter de cicatriser les blessures d’un passé douloureux, fait de violence, de crimes contre l’humanité, d’oppression politique et de règlements de compte en tout genre. Reconnaissance des victimes ; reconnaissance des bourreaux ; reconnaissance par l’Etat ; reconnaissance par la Nation. Au-delà du symbole, il y a dans ce rituel quelque chose qui touche à la thérapie collective et à l’âme d’un peuple. Car qui dit reconnaissance dit objectivation et qui dit objectivation dit libération intérieure.
La Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud est la traduction en acte de la conscience que Libération extérieure (politique) et Libération intérieure (psychique) sont les deux faces d’une même médaille : la Libération nationale qui passe par la réconciliation.
Or donc, si depuis la libération de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud, en dépit de ses problèmes continue d’étonner le monde entier avec son expérience Arc-en-ciel, c’est sans doute aussi grâce aux effets de cette libération intérieure apportée par l’initiative originale de la Commission Vérité et Réconciliation. Or donc si, depuis la conférence nationale, et surtout depuis les deux dernières législatures qui ont vu le retour en force des pilleurs sans foi ni loi aux commandes du pays, le Bénin n’étonne plus personne avec son expérience de démocratie, mixte de kleptocratie et de médiocratie théâtrale, c’est sans doute que quelque chose ne va pas dans notre for intérieur. Malgré toutes les réserves qui s’imposent, nous avons peut-être besoin d’une C.V.R version béninoise. Pourquoi avons-nous besoin d’une Commission vérité à la Sud-Africaine ? Parce que la culture de vol de deniers publics est un crime. Un crime en noir et blanc. Apartheid d’autant plus révoltant qu’il est administré sous couleur de démocratie. Alors, pour une réelle libération nationale, une CVR au Bénin ne serait ni un luxe ni de trop. En cette période préélectorale où les candidats et les partis par dizaines fourbissent leurs armes, c’est tout de même étonnant que le crime qui pèse sur notre conscience et empêche sa libération ne soit pas reconnu à sa juste valeur et ne fasse l’objet de sérieuses propositions d’éradication.
C’est pour cela que le peuple béninois qui a souffert et qui souffre de la misère qui pour partie découle du crime de la corruption doit se lever et exiger une CVR. Comme son modèle sud-Africain, cette CVR doit contenir un C comme commission, une instance crédible pluraliste et autonome ; un V comme vérité, une vérité spontanée, exhaustive qui permette, entre autres choses, d’étudier les motivations, les circuits et les pratiques des fossoyeurs de l’économie nationale ; et enfin un R qui ne soit pas prioritairement un air de réconciliation entonné sans suite pour endormir le peuple, mais l’ère du Remboursement effectif et la fin de l’ère de l’impunité.
Ceux qui auront dit la vérité spontanément et complètement sur leur crime seront reconnus comme criminels, et devront rembourser par tous les moyens. Les nostalgiques de l’ère de l’impunité, les petits malins qui se croient intouchables seront balayés par le vent de purification morale nécessaire à la libération de la conscience nationale. Non seulement ils rembourseront, mais ils devront connaître les rigueurs de la loi. Ce qui suppose qu’il y ait un consensus sur cette loi et des hommes et des femmes intègres pour la servir, l’appliquer.
Les milliards et les milliards qui dorment dans les comptes occultes ici ou ailleurs ; les châteaux et les villas construits un peu partout par les chevalier d’industrie politiques, tout cela sera converti en autant d’écoles, de dispensaires, de centres culturels, de marchés, de centres d’apprentissages, d’infrastructures pour le bien-être du peuple.
Voilà le programme précis et clair d’une législature digne de ce nom. Faute de quoi, le cauchemar de la misère et de l’injustice se perpétuera, comme s’est perpétué pendant des siècles, sous nos cieux l’esclavage de notre race.
Comme on le voit, cette Commission Vérité béninoise évite les écueils d’une transposition mécanique ; en même temps, elle réalise les conditions de l’éradication d’un crime récurrent dans l’histoire de notre pays et dont l’impunité perpétuelle hypothèque son destin.
Aliou Kodjovi
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