Le Vent a Soufflé et nous avons vu l’anus du poulet
Binason Avèkes : L’Affaire CENSAD revient au devant de la scène politico-médiatique et fait l’objet d’un grand déballage de la part de l’ancien Ministre SML. Pour clarifier un peu les choses et fixer les esprits, votre point de vue de sociologue et de médiologue averti est nécessaire. Pouvez-vous éclairer notre lanterne sur ce qu’il faut retenir de toute cette agitation ?
Prof CBO : Eh bien merci de l’intérêt que vous portez à mon regard sur cette question. C’est vrai, l’Affaire CENSAD, comme Phoenix, renaît de ses cendres, avec son lot de déballage et de mise à nu du fonctionnement de la gouvernance de Monsieur Yayi. Cette affaire qu’on avait cru enterrée avec un rapport aux conclusions et préconisations douteuses, un rapport dont on sait maintenant qu’il a été amputé d’une partie de sa substance. Le parti pris de l’instrumentalisation des institutions de la République se voit renforcé dans ces affaires de corruption, que ce soient les commissions – dont on sait leur usage de pompes funèbres des affaires indésirables par le pouvoir – ou une institution comme l’IGE qui passe à côté de son devoir de rationalité légale, et qui apparaît comme un machin à la disposition du pouvoir, de sorte que son action ne rend plus que difficile la manifestation de la vérité..
Binason Avèkes : Justement pour l’opinion se pose le problème de la vérité...
Prof CBO : Oui, mais l’idée même de cette vérité est sujette à caution. En effet, comme dans un retour de balancier, Yayi Boni qui passait pour le chevalier blanc de la lutte contre la corruption – et sa machine propagandiste n’y a pas peu contribué – apparaît comme le loup trompeur, sinon le diable inducteur qui a berné tout son monde. Par son déballage l’ancien, Ministre se donne les airs d’un innocent qui révèle la vérité que cache Yayi le dissimulateur, maître à penser des basses œuvres qui constituent le scandale. Donc dans l’opinion, la question de la vérité apparaît de façon manichéenne : d’un côté le bouc émissaire Soulé Mana Lawani, sacrifié pour cacher les actes criminels dont il serait innocent ; et de l’autre Yayi Boni le roi vicieux entouré de sa cour de Ministres corrompus et rompus aux actes les plus vils, y compris ceux qui, comme le Ministre Koupaki flottent dans l’éther virginal de l’innocence du technicien chevronné, îlot providentiel de propreté dans un océan de détritus…
Binason Avèkes : Alors justement, Professeur si SML n’est pas l’innocent qu’il prétend et que l’approche manichéen-ne dans laquelle l’opinion peut être facilement enfermé ne tient pas, quel est donc l’intérêt de tout ce déballage ?
Prof CBO : On peut comme le font certains observateurs accuser Soulé Mana Lawani de produire une vérité qui n’est pas spontanée, une vérité réactive qui a pris tout son temps pour se dire. On peut considérer, comme certains le disent que l’ancien Ministre de l’Économie produit un discours défensif, et essaie de lier ou de faire dépendre son sort juridique de celui de son supérieur hiérarchique qu’est Yayi Boni. Son exposé a l’intérêt d’élargir et de battre en brèche la vision étriquée et sacrificielle qui avait été donnée de l’Affaire CENSAD dont il a été le seul bouc émissaire. Et du fait qu’elle découle d’un discours de défense, on peut considérer sa vérité comme sujette à caution. Mais en vérité, la vérité éventuelle de l’exposé de Soulé Mana Lawani n’est pas importante. En l’occurrence, ce qui est important et ce que révèle ce grand déballage, c’est le fait que le poisson a pourri par la tête, la puanteur indéniable de la gouvernance de Yayi Boni, le fait que des pratiques illégales, irrationnelles et criminelles y sont monnaie courante, initiées par ou sous le couvert du chef de l’État lui-même. Mais en dépit des protestations vertueuses ou passionnées des uns et des autres, bien malin celui qui dira le degré d’innocence de tel ou tel protagoniste de cette foire au scandale.
Binason Avèkes : Et puis, il y a tout le temps que SML a mis pour se décider à parler. S’il détenait la vérité comme il tend à le faire croire maintenant, tout au moins sur sa propre innocence, que ne l’a-t-elle dite bien plus tôt ?
Prof CBO : Oui, c’est le grief qu’on peut lui faire, et que certains journaux s’empressent de faire. Mais si vous songez que cette résurrection de l’Affaire CENSAD et le grand déballage auquel elle donne lieu ne sont qu’un dommage col-latéral, et qu’elle ne peut parvenir à audibilité effective que par rapport à la tension générée par l’Affaire ICC Services, vous comprendrez alors que toute tentative pour l’ancien Ministre de l’économie de dire sa vérité avant la survenue de l’Affaire ICC Services et surtout avant son interpellation devant la Haute Cour de Justice aurait été vouée à l’échec. Elle aurait purement et simplement été étouffée par le déluge de charivari que sait fomenter la redoutable machine propagandiste du régime Yayi. Et dire plus tôt et de façon précoce ces vérités aurait privé l’ancien Ministre d’arguments neufs susceptibles de le faire passer aux yeux de l’opinion pour le diseur de vérité, et le casseur de baraque qu’il apparaît.
Binason Avèkes : Au total que retenir de ce déballage ? Pensez-vous que Yayi Boni s’en relèverait ?
Prof CBO : L’homme était venu au pouvoir prétendument pour balayer la maison, mais voilà qu’il la salit encore plus qu’elle n’était. Je pense que Yayi Boni a bien berné tout le monde. Mais il l’a fait si j’ose dire avec cette bonne foi naïve des imposteurs. Ayant œuvré longtemps à la tête de la BOAD, il a vu et bien compris le mécanisme de l’enrichissement, les techniques de détournement et de blanchiment d’argent. Et il a aussi compris que pour s’enrichir de façon rapide et massive, il n’y avait pas mieux que l’alliance entre la technique du banquier et le pouvoir du Chef d’Etat. Avec sa culture cauri, et son niveau d’économiste, Yayi Boni pensait sincèrement qu’il pouvait présenter un semblant de gestion rationnelle et assurer son enrichissement personnel dans le même élan. L’Affaire ICC n’est que le volet populaire et populiste de cette idéologie, un fantasme jeté en pâture à la multitude, pendant qu’au sommet, la corruption bat son plein, les détournements, la kleptomanie intense, les prestidigitations comptables et budgétaires, toutes choses qui génèrent cet incroyable maelstrom, ce déluge d’affaires et de scandales que nous connaissons maintenant. Le Bénin subit les conséquences de son choix d’avoir confié sa direction à un homme inconnu sur la foi seulement de l’apparence et du faciès. C’est comme dans les contes, il aurait mieux valu se méfier de l’inconnu : en politique la génération spontanée, sans contrepoids est dangereuse. Et nous sommes dans ce danger maintenant. D’un autre côté, si ces affaires éclatent c’est parce que Yayi Boni, en dépit de sa furia de cachottier, a en face de lui un aréopage de politiciens chevronnés, intelligents, qui connaissent bien leur métier et qui ne sont pas seulement mus par l’intérêt personnel. Au total, est en train de se réaliser par devers lui, ce que Yayi Boni a promis de faire : la lutte contre la corruption. De ce point de vue, le danger Yayi Boni duquel nous ne sommes malheureusement pas encore sortis, aura au moins cette utilité. Comme le dit mon ami Wole Soyinka, le vent a soufflé et nous avons vu l’anus du poulet : plus rien ne sera comme avant…
Propos recueilli par Binason Avèkes
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Attention! Attention! Dire que plus rien ne sera comme avant est un voeu certes louable mais qui risque de demeurer pieux je le crains car l'on ne change pas une société par decret. Nous avons affaire à un système, une maison, un bastion difficile à changer. Ce qui se passe n'est hélas que la manifestation des manoeuvres opportunistes dont les uns et les autres usent pour tirer leurs avantages du système. Attaquons nous au système, la pieuvre comme l'appelle Joel Aivo, mettons-le à terre et les dirigeants se plieront à la nouvelle donne. Faute de quoi nous aurons beau remplacer Thomas par Pierre le statu quo prévaudra toujours...
Rédigé par : Thomas Coffi | 24 août 2010 à 13:25