Incantations et Inconscient du Discours Politique
Pour ne pas avoir à le regretter, il est impératif de traquer et de mettre à nu pour ce qu’ils sont les sous-entendus, non-dits et impensés des déclarations des hommes politiques à l’approche des élections. Surtout au regard des rodomontades qui commencent à fuser, sitôt le candidat de l’UN connu. N’a-t-on pas entendu un Ministre du gouvernement, se faisant pour lors porte-parole du candidat Yayi en campagne précoce, déclarer sans avoir froid aux yeux : « Unis ou Séparés, la Situation sera la Même » ? Nous savons que les élections déclenchent un prurit de rodomontades mais ce n’est pas sérieux. Comment peut-on prononcer de telles monstruosités logiques si on veut avancer sans se cacher derrière son petit doigt ? Avancer, c’est-à-dire faire avancer notre pays dans la lumière et la justice, hors des sentiers battus des incantations ?
En fait, de quoi s’agit-il ? En 2006, lors du premier tour des élections, Yayi Boni sortit en tête avec 36 % des voix. Adrien Houngbédji, son concurrent direct du second tour, fut crédité de 24% des voix. Ainsi, les challengers du second tour totalisaient à eux deux 60% des voix avec un substantiel avantage pour Yayi Boni ; une substantialité à la fois numérique et symbolique dans la mesure où ce dernier était jusque-là inconnu dans le paysage politique et n’était le candidat d’aucun parti constitué. D’où venait cet avantage ?
1. de la volonté populaire de tourner la page Kérékou ; 2. de l’espoir que le Bénin allait, avec un banquier, sortir de la misère et même s’enrichir ; 3. du désir de changement moral – notamment dans le fait de mettre un coup d’arrêt à la corruption et à l’impunité ; 4. de la complaisance implicite entre les partis du zou/atlantique vis-à-vis de Yayi Boni, qui non seulement passait pour un fils technocratique de Soglo et son avatar moral ; et du fait que la stratégie de la RB aux élections avec son candidat Léhady était ambiguë, plus marquée par la volonté de sauver les meubles que l’espoir d’une prise de pouvoir ; cet espoir étant investi en l’avatar Yayi, dont Léhady n’était qu’un auxiliaire et un sous-marin politiques.
Au second tour, toutes ces raisons ont milité massivement en faveur de Yayi Boni. Et l’heureux nouvel homme, méconnu de tous, fut élu à 75 % des voix ! Ce qui, soit dit en passant, a été la grande erreur des Béninois. Car sans doute fallait-il montrer à l’ancien système que le nouvel homme fort était vraiment fort du soutien populaire, mais de là à basculer dans le plébiscite, il y avait un pas qu’il n’eût pas fallu franchir. En effet, tous les délires et excès, tous les abus de pouvoir que l’on reproche à Yayi Boni aujourd’hui et qui ternissent l’image de notre démocratie dérivent de l’ivresse suscitée par ce plébiscite.
Soit. Voilà Yayi Boni élu à 75%. Les 39% qui séparent ce score faramineux de ses 36% du premier tour lui viennent d’où ? Sans aucun doute de la coalition négative allusivement baptisée « wologuèdè », que l’on pourrait aussi appeler « Tout sauf Houngbédji ». Or, aujourd’hui, tout ce beau monde, échaudé par la dangerosité éthique, politique et personnelle de Yayi Boni, déçu par son incapacité d’être à la hauteur de la mission qui lui fut confiée par le peuple, tout ce beau monde, disons-nous est passé avec armes et bagages du côté de Houngbédji.
Par un calcul théorique portant sur l’issue des élections de 2011, on pourrait estimer le score de Houngbédji au premier tour. D’abord en considérant le score au premier tour des membres de l’ex-coalition wologuèdè : 32%( 16,52+8154+3.24+2.07+1,76). Si on ajoute ce score à celui du premier tour de Houngbédji on a : 24+32 = 56 %. Il apparaît alors trois catégories de scores théoriques. 56% de Houngbédji, 36% de Yayi Boni, et 8% pour la kyrielle des autres candidats originaires du Nord comme du Sud. Mais en 2011, de nouveaux candidats entreront probablement en lice, comme Bio Tchané ou d’autres nouveaux acteurs de poids relativement non négligeable. On peut situer le poids maximal de ces candidats à 15% A ce poids chacun des candidats des trois catégories précédentes doit contribuer. Sans entrer dans les détails, on peut supposer que Houngbédji pourrait y contribuer à hauteur de 6% Yayi Boni de 8% ( en raison de l’influence de Bio Tchané dans le Nord) et la Kyrielle de 1%.
Toute déduction faite, nous avons alors quatre catégories de scores, qui sont : Houngbédji (50%) ; Yayi (28%), (Bio Tchané & Consorts) 15% ; Kyrielle ( 7%)
Mais ce modèle théorique doit tenir compte de la réalité. Du côté de Yayi Boni, l’homme ne fait plus rêver comme en 2006. Et c’est peu dire... De plus, il ne peut plus compter sur la complaisance bienveillante des Fon du Zou et de l’Atlantique officiellement embarqués dans le vaisseau de l’Un sous l’Egide symbolique des Soglo, et autre Adjovi. Bien sûr le fait d’être au pouvoir, et d’avoir investi à fond dans une politique clientéliste ; le fait d’avoir donné dans la propagande à outrance lui apportera quelque gain. Mais il s’en faudrait de beaucoup que cet atout enraye la chute objective due à l’usure du pouvoir et au fait qu’il ne représente plus un objet de rêve ou d’espérance pour le peuple béninois. Donc en toute logique, dans le cadre d’élections libres et transparentes, sans Lépi ou à tout le moins sans Lépi truquée, Yayi Boni ne dépasserait pas 60% de son score du premier tour de 2006 ; soit 22%.
Dans le même temps, comme un vin bonifié, Houngbédji apparaît comme un homme expérimenté, mûr, et plus rassurant, contrairement à son image de 2006, victime du cercle vicieux d’une coalition négative. En 2011, Houngbédji devrait au contraire bénéficier de l’effet positif d’un cercle vertueux, celui de l’Unité retrouvée, de la Démocratie restaurée, du vrai Changement éthique au niveau de la Corruption, et du Progrès basé sur une politique socioéconomique à la fois concertée, réfléchie et planifiée, en tout cas débarrassée de la frénésie propagandiste et populiste qui l’a caractérisée sous le régime Yayi. De ce fait, en 2011, il est vraisemblable que Houngbédji améliore son score intrinsèque de premier tour de 20% par rapport à 2006. Ce qui le ferait passer de 24% à 29% ; soit un gain de 5 points. D’où un score probable et possible de 55% au premier tour pour le candidat de l’UN qu’il est devenu. Ce qui pourrait lui conférer la victoire dès le premier tour !
Toutes ces projections sont théoriques ; et varieront au gré d’événements et de situations qui ne sont pas encore toutes connues. Quoi qu’il en soit, elles laissent supposer qu’il y aura un changement dans la distribution des voies en 2011, notamment sur les candidats comme Houngbédji et Yayi Boni qui ne sont pas nouveaux. Et ce changement en grande partie proviendra de deux ou trois sources. D’une part, Yayi Boni n’aura plus l’avantage de la nouveauté qui a pesé dans la dynamique du rêve collectif de changement. Parce que les Béninois étaient persuadés qu’on ne pouvait changer l’ancien que par le nouveau sinon l’inconnu. 2. La coalition démographiquement et électoralement décisive qui s’était portée sur son nom au second tour des élections de 2006, non seulement ne sera plus de son côté, mais pire, se portera du côté opposé. 3. Avec l’amère expérience et la désillusion que Yayi Boni a fait vivre au Béninois, la grande majorité d’entre eux savent maintenant que la meilleure façon de changer un système c’est encore par la volonté librement consentie du système lui-même, de façon interne, et ce conformément à la philosophie curative des Chinois qui préconise de guérir le mal par la mal. En l’occurrence, l’ancien par l’ancien. Les conditions exceptionnelles de passage de témoin entre Adrien Houngbédji, l’un des plus jeunes de l’ancienne génération à Léhady Soglo l’un des plus jeunes de la nouvelle génération, telles que clarifiées par les accords qui fondent l’UN, donnent à ce nouveau départ des perspectives stables, à mille lieues de la gouvernance à vue de Yayi Boni.
Dans ces conditions, dire comme l’a fait le Ministre Topanou, en parlant des partis de l’opposition unifiée qu’« unis ou séparés ça ne changera rien » est au mieux de la rodomontade à usage polémique ; contribution vocale à la guerre psychologique ouverte entre les deux camps ; ou même une incantation sous forme d’autosuggestion à usage anxiolytique.
Mais une telle affirmation ne laisse pas d’avoir un côté inquiétant pour la paix nationale. En effet, trahissant sur le mode inconscient les secrets desseins de Yayi Boni et sa clique, il se pourrait que le Ministre entendît par « la situation sera la même » le fait que Yayi et les siens sont décidés à faire dire à une Lépi truquée et à une Cour Constitutionnelle complaisante, un résultat qui sera le même quelle que soit la configuration politique des élections de 2011 !
Dans ce cas, ce genre de propos ne doit pas tomber dans l’oreille d’un sourd ; il ne doit pas être pris à la légère ; attention et vigilance doivent aller de pair, car il se pourrait que les Béninois n’eussent pas à se le faire répéter deux fois !
Prof. Cossi Bio Ossè
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