Pourquoi Porto-Novo a perdu Badagry et d’autres Bleds de son versant Oriental ?
I. Comment Lagos fut Cédé aux Anglais
A. Point d’Histoire
La question peut bien s’inverser. En effet, on peut dire pourquoi Porto-Novo ne fait-il pas partie d’un ensemble culturel et territorial goun qui serait partie intégrante du Nigeria d’aujourd’hui ? Car les Anglais avaient férocement guigné sur Porto-Novo, et avaient usé de toutes sortes de manigances, de ruses et de menaces pour parvenir à leur fin. Mais ils avaient trouvé face à eux la France, un autre pays au moins aussi rusé qu’eux et déterminé à faire de Porto-Novo sa tête de pont dans la conquête des terres de l’intérieur, à commencer par le redoutable royaume de Dahomey. Pour les Français, Porto-Novo a été le terrain où ils donnèrent un coup d’arrêt aux velléités expansionnistes de l’Angleterre et ses rêves de relier l’est à l’Ouest africain où ils possédaient déjà quelques points d’attache comme la Sierra Leone et le Ghana. Pour comprendre comment l’Angleterre perdit Porto-Novo tout en réussissant à le dépouiller d’une partie de ses quartiers ou dépendances, il serait intéressant de voir d’abord comment l’Angleterre prit pied à Lagos, l’autre ville-royaume important du coin dont la possession facilita ses manœuvres. Pour ce faire, il convient de laisser la parole à un témoin de l’époque, l’abbé Pierre Bouche :
Le 1er janvier 1852, Akitoyi fut établi roi de Lagos. Dès ce moment, le consul anglais eut une influence prépondérante. Le navire de guerre qui stationnait dans les eaux de Lagos, tout en protégeant contre les attaques de Kosioko le roi Akitoyi, empêchait celui-ci d'agir en maître avec les étrangers, en attendant que ces étrangers trouvassent l'occasion de se déclarer maîtres. Qui cherche trouve : les Anglais trouvèrent. Akitoyi, fatigué par les attaques incessantes de Kosioko, découragé par la guerre civile qui éclata, le 7 août 1853, entre lui et ses chefs, à l'instigation de son ennemi; Akitoyi mourut subitement, le 21 du même mois, empoisonné, dit-on. Son fils, Docimo, fut placé sur le trône par le consul anglais. Mais ce même consul ne tarda pas à se plaindre de la faiblesse du roi : « La traite des nègres continuait en secret, la propriété n'avait pas de protection effective, on ne réussissait pas à obtenir le payement des dettes..., etc. » Les consuls Campbell (1853), Brand (1859, Foote (1860). ne cessaient de faire parvenir des doléances au gouvernement de la Reine ; ils insistaient probablement dans le sens d'une occupation, puisque lord John Russell écrit au consul Foote. en 1861 : « Ne commettons pas envers Docimo l'injustice de changer le protectorat en une occupation ouverte. » On resta dans la voie des traités. Celui qui intervint, le 6 août 1861, entre Docimo et les Anglais, est signé par Docimo et ses chefs, d'une part; par Norman B. Bedingfield, commandant du Prométhée, et par Mac Coskey, agent consulaire, de l'autre. Il est rédigé en trois articles. Le premier cède et transfère « à la reine de la Grande-Bretagne, à ses héritiers et successeurs, à tout jamais, le port et l'île de Lagos, avec tous les droits, revenus et territoires en dépendant ». L'article second « laisse à Docimo le titre de roi, et autorise ce prince à régler les différends survenus entre les naturels de Lagos, eux y consentant, et demeurant libres de faire appel aux lois britanniques ». Le troisième article promet, en compensation, à Docimo, une pension dont le chiffre sera fixé ultérieurement. Il le fut par un article additionnel du 1er juillet 1862. On y promettait à Docimo, toute sa vie durant, une pension de douze cents sacs de cauris.
Les Anglais étant maîtres de Lagos, Kosioko put rentrer dans cette ville. Le 7 février 1863, il y signa une déclaration par laquelle il s'interdit d'élever aucune prétention ultérieure sur Palma et Léké, qui passèrent ainsi à la colonie anglaise. Kosioko ne manquait pas de fierté; il me disait, en parlant de Docimo : c Je n'ai jamais vendu mon pays, moi! » II se plaignait de ne pas recevoir régulièrement la pension que les Anglais lui avaient promise ; il subissait le joug des oppresseurs, mais il ne voulait pas se dire Anglais. Il se montra très-sympathique à la mission catholique, qu'il appelait la mission française, et nous confia plusieurs de ses enfants.
Le traité conclu avec les chefs de Badagry, le 7 juillet 1863, donna à la colonie les limites qu'elle avait lors de mon départ d'Afrique (1875). Par ce traité, les chefs de Badagry, agissant en leur nom et au nom de leurs subordonnés, cèdent « en toute propriété et souveraineté » à S. M. la reine de Grande-Bretagne la ville de Badagry, ses dépendances et revenus. Ils agissent de la sorte, aux termes du traité, « afin de garantir la paix et la tranquillité aux personnes bien disposées résidant à Badagry, pour assurer une plus grande sécurité à leurs personnes et à leurs biens. et pour enlever tout prétexte aux prétentions du roi de Porto-Novo ou de tout autre qui croirait avoir droit de régner dans le district de Badagry ». Naturellement on promit une pension à ces chefs complaisants qui renonçaient à leurs droits et aux droits présumés d'autrui.
Après ce traité, la colonie de Lagos s'étendit de la rivière Ochoun, à l'est, à celle de l'Ocpara, à l'ouest, le long de la côte. Bornée d'une manière certaine par l'Océan au sud, elle n'admet guère de bornes bien fixées du côté du nord et de l'est. Le gouvernement de la colonie cherche toujours à s'étendre de ce côté ; surtout, il voudrait mettre la main sur Porto-Novo. La possession de cette ville lui assurerait tout le commerce dans ces régions.
Le territoire de la colonie, défendu par la lagune à l'est et au nord-est, reste découvert sur les autres points, où il n'a d'autre protection que l'amitié promise par Ado, Okia-dan et Pocra. Lagos est administré par un lieutenant-gouverneur, dépendant du gouverneur de la côte d'Or. A mon départ, le capitaine Lees, véritable gentleman, remplissait les fonctions de lieutenant-gouverneur.
Un capitaine anglais a le commandement des troupes, recrutées parmi les Haoussas. La police a un chef particulier. Le service de la santé est sous la direction d'un chirurgien colonial. L'hôpital colonial et celui des varioleux sont bien tenus »(1)
B. Leçons d’Histoire.
Quelques leçons peuvent être tirées de cet épisode.
Premièrement, il y a la question récurrente de la division, et la manipulation qu’en fait l’étranger. Souvent ces divisions existaient mais l’étranger peut les créer de toutes pièces ou les attiser. Et il y a le fait que le désir de l’emporter ne connaisse pas de limite, et pousse l’Africain à s’acoquiner avec un étranger venus du large, sous prétexte qu’il est puissant et est supérieurement outillé. On se rend à lui sans demander son reste, y compris en livrant des guerres fratricides.
Deuxième leçon, il y a sous-jacents la question de la traite des Noirs et le rôle actif que les Noirs eux-mêmes y ont pris, le côté lucratif de la chose, toutes les instittions locales créés pour la soutenir, côté très obscur de notre histoire, dont il ne suffira pas de tourner la page aujourd’hui pour croire que nous sommes débarrassés des séquelles.
1 Sept ans en Afrique occidentale : la côte des esclaves et le Dahomey / par l'abbé Pierre Bouche, édition Plon, Nourrit, 1885
A suivre…
Binason Avèkes
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