Critique de la Rhétorique de Banalisation de l’Échec de Yayi Boni
Mon Cher Pancrace,
Aussitôt reçue la nouvelle de ton retour sain et sauf au bercail, me voilà déjà aux prises à ta fougue de questionnement qui comme d’habitude interpelle. Merci pour ta confiance qui te porte à me soumettre ces questions dont je n’ai pas, à dire vrai, souvent le sentiment d’être à la hauteur de la pertinence. Mais quand tu me demandes ce que je pense de ceux qui disent que Yayi Boni n’est pas pire que ses prédécesseurs, alors je me dis que la question est plus sérieuse qu’il n’y paraît. Elle mérite une véritable mise au point, que je m’efforcerai de faire en toute sincérité et en toute rigueur.
Mon cher Pancrace, Yayi Boni n’a pas été élu à 75% pour qu’on accepte aujourd’hui, comme une banalité sur laquelle on n’aurait pas le droit d’insister, le fait qu’il ne soit pas pire que ceux que le peuple a rejetés en 2006. Cette comparaison négative que ses thuriféraires invoquent à sa décharge est au contraire un élément à charge d’importance capitale : et pire, il s’agit là, à n’en pas douter, d’un défaut rédhibitoire, à forte charge logique, psychologique, politique et éthique. Dès lors – et maudit soit celui qui ferait croire que le temps aurait en quelque manière refroidi les événements – on doit à l’honnêteté de reconnaître que Yayi Boni doit subir les foudres du peuple et passer par les fourches caudines de la raison critique. Et, à moins de vouloir distraire la galerie, il n’est pas sérieux de changer la question de fond. La question de fond que pose l’élan du peuple qui a élu Yayi Boni en 2006 à 75% n’est pas : “Est-ce que Yayi Boni est égal ou pire que les autres ?” On ne pense tout de même pas sérieusement que le peuple aurait élu avec tant d’espérance un homme dont il n’exigerait que d’être égal ou pas pire que ceux qui il a rejetés catégoriquement !
Donc que l’on soit ami ou ennemi de Yayi Boni, dès lors qu’on est Béninois ou ami du Bénin et surtout ami de la Raison, on doit admettre que la question procédurale ainsi posée implique un jugement sans appel : Yayi n’est pas pire que les autres, Yayi n’est pas mieux que les autres, donc à l’instar du jugement sans appel de 2006, Yayi doit partir à 75 %. Il doit céder la place pour une autre réflexion plus synthétique sur la manière de sortir notre pays de l’ornière, sociale, politique et économique dans laquelle il se trouve. Pour ce faire il y a débat sur la méthode et les moyens. Trois points de vue rivalisent de position. Il y a ceux qui derrière leur façon d’euphémiser l’échec de Yayi Boni cachent une subtile volonté de continuité dans la médiocrité ce qui ne serait rien moins qu’un accaparement du pouvoir par un homme dont la personnalité et le style ne sont pas particulièrement en phase avec les idéaux du Renouveau Démocratique. Or à médiocrité commune, nous devons privilégier l’attachement scrupuleux à ces valeurs fondatrices. Après tout si Kérékou garde une certaine sympathie aujourd’hui, c’est d’avoir fait siennes à sa manière ces valeurs. Et puis il y a ceux qui pensent qu’il faut toujours continuer à faire une fuite en avant dans le rêve de trouver l’oiseau rare technocratique et gestionnaire chevronné qui avec son savoir faire et sa bonne volonté prométhéenne hisserait à notre place le Bénin de l’abîme économique et social dans lequel il se trouve actuellement. Cette option ne fait pas cas du verdict de la réalité, du coût d’entrée de la nouveauté, des risques et déconvenues d’une mise en selle et en scène de la génération spontanée en politique. Enfin, il y a ceux qui, faisant preuve de sagesse, croient que la vérité et le progrès peuvent sortir des erreurs et errements du passé, dès lors que ceux-ci sont passés par une longue étape de prise de conscience mûrement élaborée et sous-tendue par une volonté forte.
À priori, comme Yayi est reconnu par tous y compris par ses sympathisants sérieux comme n’étant pas pire ni meilleur que les autres, en apparence on peut lui reconnaître le droit à l’amendement. Mais la validité de ce droit est fonction de sa qualité intrinsèque. De ce point de vue, force est de reconnaître que parce qu’il est dans l’action, Yayi Boni n’a pas le temps de la réflexion ni de la prise de conscience sur soi. Du coup, il lui faut passer par le purgatoire, et on ne peut pas lui donner le bon Dieu sans confession. Attention, il ne s’agit pas de renvoyer Yayi Boni dans les vestiaires sans ménagement, il peut rentrer au vestiaire sous les applaudissement du public, comme quelqu’un qui a fait ce qu’il a pu. Car la vérité sur lui, si elle est plausible, elle n’est pas toujours dans les caricatures que l’opposition à tort ou à raison en fait. Le verdict qui renvoie Yayi Boni est un verdict à la fois catégorique et, comme le dirait Kant, assertorique. Pour autant Yayi Boni, s’il n’a pas fait ce que le peuple attendait de lui dans les 75% de vote qu’il a mis en son nom, a quand même eu une utilité historique qu’il faut dire haut et fort : celle d’avoir été l’homme grâce à qui le Bénin s’est débarrassé de la teigne Kérékou. Celui-ci, en dépit des complaisances rituelles et des mièvreries émotionnelles dont certains clients ou obligés le couvrent n’a pas lieu d’être historiquement tenu pour un objet de fierté nationale. Ne pas tuer symboliquement Kérékou c’est pactiser avec le désordre, le sous-développement, la médiocrité, l’immoralité et la bêtise qui se parent insidieusement de vertu pour se frayer des voies vers l’histoire la tête haute ; et cela aussi, cela surtout fait parti des torts auxquels le politiquement correct et les contraintes de la Realpolitik béninoise ont conduit Yayi Boni pour le pire.
Pour toutes ces raisons, mon cher ami, il ne reste sérieusement au Bénin et aux Béninois qu’à se regarder en face et à cesser de chercher une solution de rêve. Il s’agit de faire la synthèse de tout ce qui a été fait jusqu’à présent et de voir les voix sérieuses qui émergent de cette synthèse, et ce sans préjugé ni parti pris ou plus exactement avec le préjugé favorable que l’être humain est libre et peut se libérer de ses démons et changer pour le meilleur. Certes, il y a ceux qui pensent que les anciens sont irrécupérables et vont fatalement rééditer la même médiocrité qu’avant. Mais dans la mesure où ce sont les sympathisants du régime actuel qui jettent cet anathème irrévocable sur le passé, il sied de dire que désormais, Yayi Boni est aussi un homme du même passé médiocre, à la différence près que lui n’a pas eu assez de temps ni d’expérience pour se sublimer, alors que les autres ont le bénéfice du doute par rapport à cette sublimation décisive.
Et cette sublimation se donne à voir dans la démarche rationnelle d’unification qu’ils nous proposent. Démarche inédite, basée sur une prise de conscience salutaire qui force le respect et l’admiration du peuple, elle embrasse aussi sa masse critique sinon majoritaire dont les luttes fratricides et la division ont servi de paradigme à la division du pays tout entier. Houngbédji avec toute son expérience d’homme politique, malgré ses hauts et ses bas, ses défauts, soutenu par Soglo et consolidant l’unité effective du sud, non pas en tant qu’il serait opposé au Nord, mais parce qu’il s’est retrouvé et donne ainsi l’exemple de l’unité nationale, ce Houngbédji qui a traversé le désert et s’est sublimé et n’a qu’un seul mandat pour rentrer dans l’histoire la tête haute ou en sortir définitivement la tête basse, ce Houngbédji-là, montrera toutes ces qualités d’homme d’État et fera un très bon Président. C’est le Président que la sagesse suggère de se donner pour mettre fin à nos errements, tirer partie du passé et enfin aller à l’essentiel : Prendre le chemin du Travail pour une Prospérité vraiment Partagée, dans une Gouvernance véritablement Transparente, débarrassée des scories de la Corruption d’État, condition sine qua non pour éradiquer la Corruption ordinaire liée à la misère et ancrée dans les mentalités.
Cela étant dit, mon Cher Pancrace, tu peux considérer ce point de vue comme un tantinet subjectif ou pire, partisan, bien qu’il ne vise que l’intérêt du Bénin, en y arrivant par les voies de la raison et de la réflexion. Et je comprendrai ta bienveillante réserve, qui n'est rien à côté de la propable suspicion ou réfutation aveugle des passionnés. Aussi, pour appuyer l’objectivité de ma réflexion, suis-je prêt à aller plus loin dans le désintéressement aux personnes, en n'ayant en vue que le seul amour du Bénin, notre cher et beau pays. Étant donné qu’il y va de la situation actuelle du pays, de la condition du peuple acculé à la misère et laissé à son propre sort depuis des décennies, de l’avenir de nos enfants et petits-enfants, il faut être brave et honnête. Le point de vue soulevé ici n’est qu’une hypothèse, tu t’en doutes. Il ne signifie pas qu’on doit s’immoler à la nécessité de privilégier des intérêts de personne ; il ne vise pas à faire de Houngbédji nécessairement Président de la République. Et on espère que les personnes concernées doivent faire preuve de suffisamment de sagesse pour épouser cette réserve qui n’est pas seulement méthodologique mais éthique. Maître Adrien Houngbédji n’a pas besoin d’être Président, mais le Bénin, nous le pensons sincèrement, a besoin de son expérience, de son énergie et de sa sagesse actuelles. Il suffit pour cela qu’il soit partie prenante d’un gouvernement futur qui prenne à bras le corps l’unité et le développement harmonieux de notre pays dans un climat de démocratie apaisée. Il y a aussi Abdoulaye Bio Tchane ou Simon Pierre Adovelandé ( dont nous espérons que, de la part de Monsieur Yayi Boni, grand emprisonneur devant l'Eternel, ses déboires actuels n’ont pas une motivation régionaliste ou ethnique, même si elles sont évidemment politiciennes) pour rester dans le schéma éculé et presque mythique des prétendants économistes au poste de Président que l’on a naturalisé au Bénin avec les conséquences calamiteuses que nous voyons. Il y a aussi Léhady Soglo et bien d’autres qui peuvent valablement faire figure d’alternative crédible.
Au total, le Bénin est un pays d’avenir et qui a toutes ses chances. Entre 2006 et maintenant il s’est passé bien des choses. Le peuple a élu massivement Yayi Boni pour qu’il éradique la corruption et le sorte de la misère. Mais, outre que la lutte contre la corruption est complexe, on a vu, on a senti que Yayi Boni est aussi corrompu que les autres ; qu’il n’est pas plus propre que la moyenne des autres. Et, le plus navrant est qu’il utilise le prétexte de la lutte contre la corruption pour procéder à une épuration politique sinon ethnique de ses ennemis politiques. Avec un sans-gêne et un cynisme ahurissants dans le deux-poids-deux-mesures, qui font douter de son sens de la justice sur terre. Quand la lutte contre la corruption touche ceux qui le supportent ou ne l’inquiètent pas, il se tait et fait le mort. Sur le plan du développement économique, il a agi dans la précipitation parce que toujours ses actions visent à se faire apprécier électoralement plutôt que d’être pensées pour l’amélioration effective, durable et décisive de la condition du peuple. Il a dépensé l’argent public de façon inconsidérée, et géré les caisses du pays de façon patrimoniale comme un mauvais banquier. Depuis le début du Renouveau démocratique de Soglo à Kérékou1 et Kérékou2 on n’a jamais vu président aussi accapareur des médias, aussi impulsif et agressif en ce qui touche aux libertés publiques, et qui a à ce point ruiné le crédit considérable dont le Bénin jouissait sur le plan de la démocratie et de la liberté d’expression. Ces défauts, mon cher Pancrace, sont trop graves pour être placés sur le seul compte de l’inexpérience ou de la volonté naïve de bien faire. Dans l’optique de l’espérance de 2006, ils sont purement et simplement rédhibitoires. Pour cela Yayi doit partir. Et dans l’ordre décroissant entre Maître Adrien Houngbédji, Abdoulaye Bio Tchané, Léhady Vinagnon Soglo ou Pierre-Simon Adolèlandé, peu importe celui qui le remplacera. Le Bénin s’en portera mieux !
Porte-toi bien, cher ami et au plaisir d’avoir de tes nouvelles
Amicalement
Binason Avèkes
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