Mon Cher Pancrace,
Tu rentres au pays après une longue mission au Canada ; et tu appréhendes comme toujours de retrouver le pays dans sa misère, sa pauvreté et la médiocrité congénitale de ceux qui sont censés le diriger vers le bon port. Et tu demandes : “ Ont-ils même un schème de ‘bon port’ dans leur esprit ? “ Tu évoques à juste titre l’ordre inchangé des choses et tu parles de la faim de changement de notre peuple, faim que nul ne parvient à satisfaire. Et tu demandes : “Pourquoi nos dirigeants n’ont pas pitié du peuple ? Pourquoi le laissent-t-ils sur sa faim et dans le même état, comme des bêtes, depuis des décennies ?”
La situation est souvent invisible à ceux qui sont restés au pays, dans la mesure où ils baignent dedans. Mais pour quelqu'un qui vit dans un pays occidental ( car si on vit au Togo ou au Zaïre, ça n’y change rien) depuis un certain temps, et qui a l’occasion de revenir au pays, la chose saute aux yeux, prend à la gorge, et pour peu qu’on ait un peu de cœur, vous l’étreint d’une sourde tristesse. Cette permanence dans le même état concerne le pays réel, pas la classe des repreneurs néo-coloniaux spécialisée dans l’art subtil et violent de s’enrichir sans se soucier de la misère du grand nombre. Mais comme la forme d’une réalité peut varier sans que ne change le rapport entre elle et le fond, la situation cache sa permanence derrière certaines mutations sociales ou économiques qui font croire à un avancement intrinsèque alors qu'il s’agit au mieux d’un frémissement extrinsèque qui masque la permanence de la stagnation dans la pauvreté. Par exemple, au tournant des années 90, on a assisté à une invasion de véhicules venus de France qui ont transformé nos villes sinon le pays tout entier en un véritable anus du marché de véhicules des pays développés. Avec toutes les conséquences écologiques, économiques, sanitaires et sociales que nous connaissons aujourd’hui. La question est de savoir si cette économie de dépotoir, basée sur la régression au stade anal et la récupération des déchets des autres peut tenir lieu de progrès. Surtout si cet état, loin d’être transitoire, s’est enraciné comme l’une des sources d’enrichissement illicite qui font saliver les hommes politiques, véritables rapaces à l’affût de la moindre proie. Le fantasme des fonds de “l’escorte des véhicules d’occasion”, comme chacun sait, enflamme les imaginations du landerneau politico-médiatique et anime les filières occultes de la corruption et de la mal gouvernance jusqu’au plus haut sommet de l’État.
Pour un compatriote qui, vivant en France, au Japon, au Canada mais aussi au Brésil au Maroc, en Inde, en Russie ou même au Botswana, revient au Bénin ou fait un saut au bercail, vive est la sensibilité à la permanence dans l’Etat de misère de notre pays. Bien que tu n’aies quitté le pays que pour quelques mois, telle est ton appréhension, étalon de ta sensibilité. Oui cher ami, cette permanence intemporelle provoque émoi et tristesse et, en même temps, il y a dedans du tragicomique et de la consternation quand on y réfléchit. Le tragique est pour la condition difficile du peuple, habitants des villages et campagnes, de la grande masse des citadins qui survivent au jour le jour, exposés à la maladie, à la faim à la misère, à la violence et à l’insécurité grandissante depuis quelque temps. Le comique quant à lui concerne la posture éthique des hommes politique et leur agrippement au gouvernail de l’État depuis des lustres. Comme si cela ne les dérange pas d’être ceux qui depuis 50 ans dirigent quelque chose qui ne se dirige pas ; ceux qui développent quelque chose qui ne se développe pas; ceux qui plantent une plante qui ne pousse pas. Et ils sont là depuis 50 ans à semer la même graine sans se poser de question ou sans passer la main ! Pourquoi ne changent-ils pas de métier ? Pourquoi ne prennent-ils pas leur retraite ? Non, ils restent là en place comme s’ils étaient payés pour mimer la permanence de l’état des choses. Comme ce personnage du comique français Raymond Devos, acteur monté sur scène dont le rôle était de ne rien faire ! Comme si le pays était un musée dont ils seraient les conservateurs à vie. C’est cela qui est comique, mon cher ami, parce que proprement insensé ! On a pas idée que c’est pour les prébendes, avantages et passe-droits que nos hommes politiques autoproclamés tirent de leur position privilégiée au gouvernail de l’État qu’ils restent là comme scotchés aux premières loges du théâtre politique.
Mais, mon cher Pancrace, à y voir de près, tous les hommes politiques ne sont pas entrés en scène depuis 50 ans. En dehors de quelques rares comme le vieil et intrigant Albert Tévoédjrè, la plupart, aussi anciens soient-ils, sont venus sur scène au fur et à mesure de l’enchaînement dramatique des sombres épisodes de l’histoire politique de notre pays : de Kérékou à Soglo en passant par les Amoussou, Houngbédji, Agbo, Adjovi, Kolawole, Sehoueto, mais aussi Sacca Kikara, Candide Azannaï, Célestine Zannou, Pierre Osho, Bio Tchane, Marie-Élise Gbèdo, etc…
En revanche, ce qui est plus permanent qu’on ne le croit, c’est le système politique lui-même, c’est-à-dire le moule, l’éthos, la motivation, les mœurs, les raisons de faire la politique. Cette vérité fonde l’état de permanence de la pauvreté endémique de notre pays. La permanence en soi n’est pas une chose mauvaise. Lorsque la permanence conserve le bien et l’utile pour tous, alors elle est positive. Il ne s’agit pas de prêcher ici l’idéologie ruineuse du mouvement à tout crin avec laquelle les Occidentaux sont en train d’achever le monde, de l’altérer pour le rendre conforme à leur nature, exorciser l’angoisse de dégénérescence spécifique qui les hante depuis des siècles. Non, là où la permanence devient préoccupante, c’est lorsqu’elle bascule dans le travers opposé, dans une immolation inconsciente à la nature stagnante, à l’ordre bestiale des choses. Lorsque, comme dans notre cas, la permanence dans la pauvreté matérielle et technique du Peuple fait écho à la permanence de la pauvreté éthique et mentale des dirigeants, alors la permanence est négative.
C’est contre cette négativité d'une mort sûre que le Changement est un impératif catégorique de vie. C’est contre cette permanence-là que ce dresse la faim de Changement du peuple béninois. Une Faim à laquelle il faut mettre fin.
Dans le vent inédit de conscience qui souffle sur les esprits, et qui pousse des hommes politiques mûrs et aguerris à se libérer des démons du passé, il y a fort à parier que les jours de cette permanence négative sont comptés. Fort à parier que le Changement, le vrai arrive à grands pas ! Tu vas donc atterrir dans notre beau pays, le Bénin dans 2 heures, 0 minute et 11 secondes : chronique d’un heur annoncé, l’heure du vrai Changement !
Joyeux Noel, cher ami !
Binason Avèkes
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