Postes et Zones Érogènes du Corps National
Ah, que serait la politique s’il n’y avait des postes à capter, pourvoir, distribuer ou à défendre ! La politique opère en plein dans le champ de l’aliénation. En abdiquant la noblesse de ses idéaux. Elle a de nos jours peu à voir avec la vie de la Cité comme du temps des Grecs. La politique sert aux politiciens à avoir des postes et, une fois en place, de leurs postes haut perchés, à distribuer des postes à tous ceux qui sous eux ne seraient rien sans eux : clients, amis, familles, tribus, etc ... Voilà la lutte finale de la politique.
Avec des scandales comme ceux qui, au Bénin, défraient en ce moment la chronique, la chose saute aux yeux. Untel est-il mouillé ? Il perd son poste. Un autre est-il pris la main dans le sac ? Il est viré. C’est ce que demande le peuple. La moindre des choses, dirait-on.
Et toute l’agitation de la politique tourne autour de cette frénésie postière. Il y a deux types de statuts d’homme politique : ceux qui sont en poste, et ceux qui, postés dans l’ombre, convoitent ces postes et sont prêts à s’en accaparer à tout moment. A tel point que lorsqu’un homme en poste commet un crime, s’impose le désir des hommes postés, désir offert en pâture au peuple qui le brandit aux cris de « Démission ! Démission ! »
Pourtant lorsqu’un instituteur est suspecté de crime, tout le monde en convient, la première chose qui vient à l’esprit ce n’est pas de le faire partir de son poste ! Ce qu’on réclame est que le présumé coupable soit remis à la justice. Donc, le fait qu’un élu ayant commis un délit ou un crime doive démissionner de son poste ou écoper d’une sanction administrative devrait être secondaire par rapport à (et séparé de) la nécessité d’être jugé comme n’importe quel citoyen !
Mais il n’en va hélas pas ainsi, parce que tout le monde est obnubilé par l’emprise libidinale des postes. Prenez le cas de l’OPM. Certes, il ne s’agit pas d’une histoire de malversation, mais quelques-unes des dispositions régissant cet organe et votées par les députés viennent d’être déclarées contraires à la constitution par les sages. Les mauvaises langues disent déjà que les sages utilisent l’OPM comme bouc-émissaire ; qu’en attendant le grand soir de la félonie, ils saisissent l’occasion de donner à peu de frais des preuves de leur fausse indépendance vis-à-vis du pouvoir. Tout cela est peut-être vrai, car les sages eux aussi doivent mériter leur poste, mais là n’est pas le propos. Dans cette affaire de l’OPM, on se retrouve dans le même travers de l’obnubilation par le désir des postes. En effet, il s’agit d’abord d’une affaire de personne. Monsieur Tévoédjrè se débat comme un diable pour légaliser son joujou. Dans le même temps, du côté de ses adversaires, on assiste à une levée générale de bouclier. Et parce que tout se focalise sur le désir de poste caché derrière l’écran de grandes idées, on en arrive à occulter l’utilité intrinsèque de la chose. Or il suffit de dissocier l’OPM du désir du rebouteux professeur d’en occuper le poste jusques et y compris à son dernier souffle pour voir que l’OPM est un organe de grande utilité républicaine.
Oui, la politique opère dans le champ de l’aliénation. De la notion d’aliénation, il y a plus d’une approche, plus d’une acception, selon les écoles et les personnalités. Les philosophes comme Hegel, Marx ou les utilitaristes ont chacun leur point de vue original sur le sujet. Mais de toutes ces acceptions c’est la conception freudienne qui retiendra ici notre attention. Selon Freud, il y a aliénation lorsque le sujet n’est plus maître de son désir. Désir, voilà le maître-mot ! La politique est un enjeu de désir. Béhanzin, qui n’était pas seulement un grand roi mais un poète hors pair, un communicateur avant la lettre l’avait compris qui disait « Le Monde Tient l’Œuf que la Terre Désire » Depuis Béhanzin, les choses ont changé, le monde marche sur la tête et les choses avec. Maintenant, c’est le terroir qui tient l’œuf que le Monde, tout le monde désire. Un désir dont hélas le Peuple est frustré. Désir individuel de quelques-uns qui s’oppose au désir collectif de la multitude. Désir qui, au niveau des professionnels de la politique, se travestit en obsession de postes.
Selon le paradigme érocentrique de la psychanalyse, les postes peuvent être assimilés à des zones érogènes du corps de la nation. Et cette façon des hommes politiques de ne penser qu’à eux-mêmes et à leurs plaisirs mesquins n’est rien moins que de l’autoérotisme. L’obsession narcissique de la volupté a tôt fait le lit de la perversion.
De ce point de vue, la frénésie postière qui est la libido de la politique conduit à une frénésie masturbatoire qui dénature le corps de la nation et hypothèque son harmonieuse évolution.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008,© Bienvenu sur Babilown
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.