Médiologie du Président
Professeur ZONON : Deux petites questions au sujet de l’Interview du Président Yayi
DR H2O : Laquelle d’interview ?
– Celle qu’il a donnée le 1er août
– Alors, elle a quoi, cette interview ?
– Eh bien, elle m’intrigue et m’amène à poser deux questions !
– La première ?
– La parité des genres, même dans les interviews…
– En tout cas la chose est bizarre quand on veut bien s’arrêter et y penser. N’y a-t-il pas assez de journalistes hommes pour équilibrer génériquement le panel des interviewers ?
– Ah, ça, difficile à dire !
– Ou bien, le Président a-t-il craint que des journalistes hommes lui posent des questions politiquement viriles ? Ou, se prenant pour le plus bel homme que la terre ait jamais porté, et confiant en son charme, il préfère l’atmosphère douillette des femmes...
– Oh ! Bien d’hommes se croient le centre du monde en matière d’élégance et de charme... et Yayi, l’émule de Narcisse n’est pas en reste.
– De toutes les façons le charme c’est pas ce qui charme les dames, mais le blé, oui !
– Charme ou pas, il faut bien que le mec montre son pouvoir de jouissance mâle
– C’est vrai, la compagnie des femmes doit rassurer le Président. Et comme il est à la tête du plus grand grenier à blé du pays, elles doivent, on l'imagine, venir s’immoler comme des sauterelles égrillardes dans le champ de son désir...
– De toutes les façons le Présidsent a choisi un terrain favorable
– Oui, non seulement au niveau du genre, mais au niveau du soupçon régionaliste qui marque son attitude, et sous-tend sa philosophie politique...
– Régionaliste, dis-tu plaît-il !
– Oui, Regarde un peu, alors que le sexe des journalistes crève les yeux, tu ne remarques pas que leurs noms – Balley et Kokodé – selon toute vraisemblance sont d'extraction nago...
– C'est fort possible, car depuis l'élection de ce Président, nous sommes entrés dans l'ère du grand romantisme politique nago ; à croire que la nagoterie est le centre de gravité démographique et culturelle du pays, et on nous la joue sur l'air de la grande revanche historique d'anciens opprimés qui relèvent la tête et se serrent les coudes pour dicter sournoisement leur loi...
– En tout cas, à mon avis, il n'y a pas que la préférence sexuelle qui est visée là, l'aspect subtilement régionaliste, c'est-à-dire outrageusement anti-démocratique de Yayi est peut-être aussi en acte, qu'il ne faut pas sous-estimer ni passer sous silence
– Oui, certes, mais les noms ou les origines nago éventuels des journalistes ne se voient pas, tandis que leur sexe est visible...
– Tout à fait d'accord avec toi, l'aspect genre est plus plausible
– Et puis, il faut dire aussi que le prégo n'est pas télégénique pour un sou. Sa tronche pas terrible, et il n’arrête pas d’agiter les bras et les mains à tout bout de champ en parlant... tout ce désordre gestuel, les femmes sont là pour l’absorber...
– Je vois...
– De plus la présence d’un mec comporte un risque pour un homme si narcissique
– Lequel ?
– Eh bien, elle peut induire un complexe de comparaison, et souligner les imperfections esthétiques et stylistiques de celui qui se veut le seul beau, le seul fort de la partie... cela peut aussi induire un risque de décalage identitaire de la part du téléspectateur moyen ; à savoir s'il a une tronche proche de celle de Yayi ou de celle du journaliste mâle qui serait en face de lui...Danger politico-médiatique de face, en quelque sorte...
– Qui est fou, le roi ne veut pas risquer sa face…
– Cela dit, au-delà de toutes ces interprétations, nous avons surtout affaire à un mec qui fait ce qu’il veut. Après tout, il y a bien des hommes politiques qui se font interviewer par un panel de journalistes mâles
– Comme le Président Houngbédji…
– Oui, justement, voilà un contre-exemple parfait de Yayi Boni. Elégance vestimentaire, harmonie physique et stylistique, économie et maîtrise gestuelles, bref, Houngbédji n’a rien à se faire absorber par la féminité pléthorique, qui pour le coup, loin de rehausser son charme le lui volerait plutôt. Et plus important encore le déséquilibre n’est pas le même
– Comment ça le déséquilibre n’est pas le même ?
– Yayi Boni en se faisant interviewer par deux femmes est dans un contexte de complémentarité sinon d’opposition sexuelle. Symboliquement, il s’agit d’un harem médiatique qui le rassure. Avec lui, c’est toujours ainsi. Il faut qu’il soit toujours en terrain de conquête. L’ORTB, la chaîne dont il est l’hôte est sa chasse gardée, il y est en terrain de conquête et de possession ; il possède cette chaîne ; de même les journalistes en tant que femmes sont des êtres qu’il peut, de par la différence sexuelle, naturellement et normalement posséder. Alors que se faire interviewer par deux mecs quand on est mec soi-même, il faut avoir des couilles pour le faire car il n’y a rien à posséder, et l’exercice est risqué. On peut aussi comparer avec l’interview de Maître Houngbédji sur Canal 3 qui est une sorte de réplique et d’exacte opposée de celle du Président : Canal 3 n’était pas une chaîne possédée par le Président Houngbédji, et les journalistes en tant qu’hommes, n’offraient naturellement et symboliquement pas de prise à la possession.
– Alors conclusion... ?
– Eh bien vu à travers sa prestation et la définition même du contexte de l’interview, c’est que Yayi est un possessif, possesseur, obsédé de posséder...
– Alors, venons-en à la deuxième question ...
– Eh bien, justement, la transition est bien trouvée ; la deuxième question est en rapport étroit avec l’idée de possession...
– Quelle est-elle ?
– Eh bien : pourquoi Yayi Boni n’a-t-il pas été interrogé sur l’affaire de l’avion présidentiel ?
– Eh oui, la question ne manque pas de sens, d’autant plus qu’il y a anguille de corruption sous la roche
– Oui, sujet d’une gravité symbolique. Parce que portant sur un objet, l’avion, symbole aérien de l’émergence : je vole donc j’émerge est le cogito yayiste. Parce que symptomatique de la précipitation avec laquelle le Président aborde toute chose, et de l’optique propagandiste dans laquelle s’inscrit la moindre de ses actions. Evidemment lorsque la campagne mord la poussière comme là, le propagandiste se fait tout discret...
– C’est vrai, imagine un peu si cet avion avait tenu les airs pendant quelque temps...
– Eh oui ! Il aurait été l’un des fleurons de l’illusionnisme émergentiste du magicien Yayi. Mais là, manque de bol, rien n’a émergé. L’avion a du plomb dans l’aile, et motus bouche cousue, personne n’en parle. Quand on songe que c’est avec l’argent du contribuable qu’on a acheté cette épave, la moindre des choses c’est d’expliquer ce qu’il en est... C’est tout de même curieux que les journalistes n’aient pas osé poser la moindre question au Président à ce sujet...
– Elles étaient sous le charme ...
– Le charme, façon de dire qu’elles ne faisaient que tenir le crachoir au Président ; ce qui n’aurait pas été le cas d’un homme.
– Sans doute, mais, cher ami, je ne vois pas le lien entre tes deux questions…
– Le lien ? Tu ne vois pas ?
– Non !
– Et pourtant c’est gros comme le nez au milieu de la figure...
– Alors c’est quoi ?
– Eh bien ! Les journalistes se sont fait posséder... Et qui d’autre peut se faire si naturellement posséder, si tu veux te donner la peine d’y réfléchir un peu ?
– Des femmes bien sûr... !
– Car les mecs ont des couilles, ce que les femmes n’ont pas...
– Ah, là, ça tombe sous le sens !
HODONOU ODJO
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