La Rhétorique du Discours crypté
La politique c’est du ping-pong par-dessus les nuages.
Prenez par exemple l’intention prêtée au gouvernement d’élaborer un projet de loi interdisant toute activité politique aux douaniers. Il s’agirait de l’extension au corps des douaniers d’une restriction constitutionnelle qui jusque-là concerne les militaires. Constitutionnellement les militaires ne font pas de politique. Ils n’en font pas, justement parce qu’ils disposent d’un moyen technique de faire irruption dans le champ politique, souvent pour le pire que pour le meilleur : le coup d’état. Et le législateur a estimé qu’en fermant la boîte de pandore, il pourrait réduire les risques de voir le diable semer le pire dans le champ du politique. Une restriction destinée à sublimer les pulsions démoniaques inhérentes à cette capacité des militaires de s’aventurer dans la sphère politique par la force des armes. Soit dit en passant, cette contrainte est partagée par la plupart des constitutions démocratiques ; elle est d’autant plus bienvenue sous nos tropiques, que nos militaires qui sont très doués en peu de choses, le sont dans l’art d’user et d’abuser de l’ambigüité du prétexte de la sauvegarde de l’unité nationale, qu’ils mettent à toutes les sauces de leurs fantasmes d’accaparement du pouvoir.
Pour autant, cet argument n'est le cas échéant qu'un premier niveau de vérité et la manière de l'agiter ou de l'assumer fait partie intégrante d'une occultation concertée des sources du discours. En vérité, la question soulevée par cette affaire va bien au-delà des personnes – que ce soit celles du chef de l’état ou de ses thuriféraires comme de celle de ses opposants déclarés ou non. Ne pas accepter cela, c’est renoncer à comprendre en quoi la politique est un match de ping-pong par-dessus les nuages.
Par là, nous entendons le fait que les disputes auxquelles la politique donne lieu sont de purs joyaux d’échanges cryptés qui volent par-dessus la tête des non-initiés. Ainsi, dans cette affaire mettant en jeu le droit à l’activité politique des douaniers, à peine l’idée en a-t-elle été bruitée dans les milieux gouvernementaux en guise de ballon d’essai que, du côté des opposants déclarés ou non, elle suscite déjà une levée de boucliers générale. Si l’on considère que la balle est à terre, cette réaction est absurde parce que l’idée en elle-même mérite d’être discutée ; elle ne présente a priori rien d’irrecevable d’un point de vue rationnel, légal et démocratique. Si, du côté du pouvoir, comme il a été suggéré plus haut, on peut se douter qu’il y a anguille sous roche, dans le camp d'en face, ceux qui bondissent sans attendre leur reste et crient à l’atteinte aux droits ne sont pas des anges. Les deux parties cachent la vraie raison et le vrai sujet qu’ils connaissent, mais ils se gardent bien de le dire ouvertement. Ce n’est pas un dialogue de sourds, mais tout le contraire d’un dialogue de sourds. Car, sur les sources occultes du sujet, en l’occurrence, les deux parties s’entendent comme larrons en foire, elles ne s’entendent que trop bien ! En revanche, puisque la politique est un spectacle, c’est la multitude des spectateurs, le peuple, qui est frappée de surdité, parce que le discours est volontairement crypté. Et, le peuple n’y comprend que dal ; tout au plus est-il invité à comprendre les choses sous l’angle naïf des explications à caractère légal ou moral alors que la vérité de ce qui se joue dans les nuages est tout sauf légale ou morale.
Le pouvoir excipe de son droit de faire avancer la rationalité légale par une rationalisation plus accrue de l’organisation de l’état. L’opposition quant à elle joue les veuves effarouchées, ceux qui sont blessés dans leur valeur démocratique ou dans la haute idée qu’ils se font des libertés politiques garanties par la constitution. Comme il en est toujours des questions politiques – car le cas des douaniers abordé ici n’est qu’un exemple – de part et d’autres, les deux parties se lancent dans une dispute cryptée et chacun enfourche son cheval de bataille le plus blanc, en excipant de raisons et de justifications toutes plus honnêtes et désintéressées les unes que les autres.
Mais haut, très haut, au-delà de ce brouhaha de vociférations et de protestation de sainteté politique, d’honnêteté démocratique et de sincérité patriotique, haut, disons-nous, gît la vraie vérité, enrobée dans les nuages de la politique politicienne ; celle qui depuis au moins un demi-siècle met le pays réel hors jeu dans un match nébuleux entre initiés.
Et ces initiés se chamaillent, savent pourquoi ils se chamaillent mais chacun prend soin de ne surtout pas révéler l’ultime raison de la dispute. Entente sacrée et moralement inepte. C’est cette ineptie qui fait le sens de la politique sous nos tropiques. Et même si la tendance au discours crypté n’a rien d’original en politique, nous autres Africains, économiquement marginalisés, et en retard de développement, nous avions de sérieuses raisons de ne pas en abuser. Or c’est tout le contraire qui se passe. Tel est le sens de la politique chez nous : la politique qui met hors-jeu le peuple ; la politique ordinaire c’est-à-dire la politique de l’ordinaire et du ventre, la politique des échanges cryptés où les parties s’échangent des arguments nébuleux qui passent par dessus la tête du peuple, au vrai sens du mot, comme des balles de ping-pong au dessus des nuages.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008,© Bienvenu sur Babilown
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.