Il y a un non-dit qui obscurcit l'idéal de la fonction politique : c'est l'aspect du profit personnel, essentiellement sous l'angle matériel, et accessoirement symbolique. La politique est exposé à un dilemme qu'elle assume confusément, voire même obscurément. D'une part, c'est la lutte pour la réalisation de certains idéaux de progrès et de sécurité matérielle et morale pour une communauté ; et d'autre part la politique est inséparable de la lutte pour la satisfaction matérielle et le bon
plaisir égoiste du personnel politique. Quand un député ou un président de la République est élu, il peut se réjouir qu'enfin les idéaux pour lesquels il se battait vont avoir la chance d'être appliqués. Déjà, cette idée d'idée est sujette à caution. Car quand on creuse on est souvent bien en peine d'y trouver quelque chose de bien transcendant embrassant la forme générale du bien ou des aspirations d'une collectivité dans son ensemble. Dans le meilleur des cas, rien que des intérêts mesquins, parcellaires et partiaux, déguisés en idée et qui s'opposent - même démocratiquement - à d'autres idées tout aussi mesquines. Et cette mesquinerie dans son idéalité aveugle restreint la nation à la région, la région à l'ethnie, l'ethnie à la tribu, et ainsi de suite jusqu'à la personne en passant par la famille plus ou moins étendue. Et c'est à ce terminus égocentriste que l'on se réveille du long voyage de non-dits et de dénégations symboliques, le deuxième point d'achoppement de la politique. Celui qui est le plus universel, celui qui, depuis que l'homme est devenu un animal politique, transcende à la fois les époques, les cultures et les régimes politiques : l'intérêt égoïste matériel et symbolique du politique ; le bon plaisir narcissique de l'élu ou de l'homme de pouvoir ( Président, Ministre, Député, Directeur de sociétés, etc.) Max weber a mis l'accent sur une fonction et une finalité personnelle de la politique comme étant d'abord une lutte pour l'occupation de postes de pouvoir, dans ce qu'ils impliquent de satisfaction matérielle et symbolique. Et le pouvoir ayant une structure hiérarchisée, à chaque niveau intervient un système structuré d'opportunités de postes à pourvoir, octroyer, occuper, distribuer. Honneur mais surtout bonheur matériel sont l'enjeu de cette course au poste. N'eût été l'existence intrinsèque quoique déniée de l'emprise magnétique de ces postes on ne comprendrait pas la violence de ces luttes. Combien de gens dans un espace politique donné, totalement dénué non pas d'opportunités de postes, mais de toute jouissance matérielle associée, et où, dépouillé de sa valeur symbolique ou honorifique, le poste se réduirait à sa seule fonction, combien de gens iraient au-devant d'une lutte mettant en jeu un tel poste ? Combien d'hommes politiques se mouilleraient pour une simple fonction ? Si la jouissance matérielle associée au poste du Président de la République sous nos tropiques était exactement la même que celle associée au poste d'instituteur de la République, il serait très facile de compter les postulants au poste de Président, très facile de compter les vrais patriotes. Cette équivalence idéale et pratique à la fois, rêvée par Thomas Sankara et qui ne lui a pas survécu dans la République des Hommes Intègres, est sans doute trop idéale pour être réalisée ; mais elle montre très bien la source de nos problèmes : que ce soit ceux qu'entraîne la corruption comme ceux que génère pêle-mêle la mauvaise gouvernance, dont on sait que l'un des travers les plus absurdes est de faire fi de la règle de "l'homme qu'il faut à la place qu'il faut". Mais comment saurait-il en être autrement lorsqu'on sait la toute puissance du facteur matériel et personnel dans les déterminants de la motivation à la fonction politique ? Une toute puissance universelle mais qui sous nos cieux prend des proportions paralysantes, et à terme suicidaires.
Pour éviter cette paralysie et ses conséquences funestes, il serait sans doute utile de repenser la fonction politique afin d'en séparer l'or de la fonctionnalité de la gangue de la matérialité qui l'étouffe. Dématérialiser la fonction politique sous nos cieux, tel est le défi éthique qui conditionne notre progrès, dans un monde qui bouge.
Binason Avèkes
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