Changement, Cauris et Emergence
En 2006, Yayi Boni fut élu Président de la République. Dirigé depuis 10 ans par Mathieu Kérékou, le Bénin, était au bord de la faillite ; la corruption qui avait gangréné tout l’appareil d’Etat avait aggravé la misère des masses, et menaçait les classes les plus vulnérables. C’est dans ce contexte qu’émergea le personnage providentiel de Yayi Boni dont les qualités tout aussi providentielles faisaient de lui le candidat idéal de la masse avide de changement. Quelles étaient ces qualités ? Elles étaient au moins au nombre de trois :
1. Yayi Boni le Banquier. 2. Yayi Boni le Docteur. 3. Yayi Boni le Nouveau !
Banquier, Nouveau, Docteur !
Nouveau, Docteur Banquier !
Docteur, Banquier Nouveau !
De quelque manière qu’on considérât la trilogie, ses composantes portèrent le candidat sur la vague du succès. Chacune de ces qualités avaient sa spécificité et correspondait à un aspect précis des attentes du citoyen électeur.
1. Le Banquier auréolé du concept mythique de cauris renvoyait au rêve béat de l’argent, de la richesse dont la multitude frustrée bavait, alors que n’y a accès dans la réalité qu’une minorité de rapaces qui se passent le relais de génération en génération.
2. Le Docteur, du moins cette race de vaniteux complexés, ayant laborieusement passé le doctorat du 3ème cycle, et sans égards aux médecins qui sont les plus socialement reconnus sous ce titre, s’en donnent à cœur joie de claironner l’exploit à tout bout de champ, Docteur, par-ci, Docteur-par là, sans vergogne ni retenue, comme si la notion s’épuisait dans le titre.
3. Enfin, last but not least, la Nouveauté. Yayi Boni resté à la périphérie ou plus exactement dans le sous-bois de la sphère politique, profitant subtilement de ses avantages, comme c’est souvent le cas en tirant à fond sur le filon de l’appartenance régionale, a tout fait pour rendre à sa nouveauté affichée ses lettres de crédit.
En cette qualité se retrouve celle subsidiaire quoique non-négligeable de la nouveauté générationnelle sur laquelle allait s’étayer de façon tapageuse la dénonciation manichéenne et la stigmatisation de ses opposants comme appartenant à la vieille classe.
A l’évidence, ces qualités ont fait mouche pendant et tout de suite après les élections de 2006. Mais elles ont aussi fait illusion. D’abord, en portant Yayi Boni au pouvoir, elles ont rendu possible le jeu de l’alternance, et le départ de Kérékou dont les intrigues de perpétuation au pouvoir furent ainsi déjouées pour le plus grand bien de la démocratie béninoise. Ces qualités ont aussi eu un effet psychologique dans la mesure où elles ont contribué à redonner de l’espoir aux Béninois qui jusque-là étaient habités par le doute et le désespoir.
Mais, aussi désirables qu’elles fussent, ces qualités contenaient en germe leur propre négation sinon leur propre contraire.
Pour ce qui est de la nouveauté supposée de Yayi Boni, comme on le voit, les plus influents suppôts de son régime, se révèleront n’être que les barons de l’ancien régime, les anciens hommes forts du système corrompu de Kérékou, dans ce qu’il avait d’irrationnel et de malsain, depuis la coterie fébrile des évangélistes jusqu’au club des Azonhiho et consorts.
Pour ce qui est du Docteur en économie, les maladresses, les erreurs, l’indigence théorique, la cécité prospective par rapport à la crise économique et alimentaire, la propension à la précipitation, l’anarchie budgétaire, la gabegie, et la corruption qui les sous-tend, bref tout ce tableau irrationnel et sombre donne une idée claire du standard intellectuel sous-jacent à la revendication ostentatoire du titre de Docteur en Afrique, coquille vide qui, avec Yayi Boni, s’est hissée avec malice au sommet du pouvoir d’état, pour mieux faire état de sa concavité.
Et la dernière qualité, celle du Banquier censée assurer le pôle actif du renflouement des caisses de l’état a tôt fait de s’inverser en son contraire : l’art de siphonner sans états d’âme les caisses de l’état. Certes, dans un premier temps, l’économiste a redressé les comptes, mais très vite, à l’instar de ces paysans pressés qui n’attendent pas que la récolte mûrisse avant de tout manger sur pied, Yayi Boni s’est laissé aller à une compulsion dépensière pour le moins anarchique ; une compulsion dont les conséquen-ces sur les comptes de la nation risquent, si on n’y prend garde, de nous ramener aux plus sombres années de prostration financière et budgétaire d’avant le Renouveau démocratique.
Comme on le voit, toutes les qualités qui, dans l’esprit du citoyen, avaient constitué les atouts de l’élection massive de Yayi Boni en 2006 se révèlent en fait des défauts. Et tout se passe comme si ces qualités apparentes n’étaient qu’un maquillage dont il suffisait de gratter la surface pour découvrir la vraie nature cachée, défectueuse pour ne pas dire dangereuse.
Mais dans le fond, ce ne sont pas ces qualités en elles-mêmes qui sont en cause. Docteur ne veut pas forcément dire Frimeur ; Nouveau ne signifie pas automatiquement novice ; et Banquier ne veut pas dire blanchisseur d’argent sale. Il faut reconnaître à ces qualités la présomption d’honnêteté et les considérer a priori comme des qualités intrinsèques.
Même si Docteur peut être pris sous l’angle de la creuse ostentation dans laquelle s’illustrent nombre de diplômés africains ; même si sous la roche de la nouveauté se cachent la même hydre tentaculaire et mafieuse, la même pieuvre insatiable de la corruption. Même si Banquier peut se révéler un laveur de chèque patenté, doublé d’un suborneur sans vergogne, un détrousseur en diable, un brasseur indélicat de milliards d’état, bref un promoteur de la culture cauris, qui n’est en fait qu’un culte de l’argent roi et de l’enrichissement personnel.
Et inévitablement vient à l’esprit une question qui, à défaut d’être simple, est logique, à savoir : comment se fait-il que des qualités considérées en elles-mêmes comme bonnes peuvent s’inverser en leur contraire, et par leur négativité en arriver à devenir des défauts absolus ?
Question philosophique s’il en est. On sait en effet avec Hegel que cette évolution porte le nom d’inversion dialectique. A partir de qualités absolues, l’inversion dialectique se produit avec la médiation de la réalité. Au Bénin, en 2006, cette réalité et ses aspects convergent vers une seule et même personne, un certain Yayi Boni : Docteur, Banquier, Nouveau venu sur la scène politique ; un homme sur lequel se sont cristallisés tous les espoirs du peuple, mais aussi ses inquiétudes et ses rêves les plus légitimes. Malheureusement, à l’expérience toutes les qualités apparentes qui ont servi de vecteur se sont révélées des défauts intimes et réels.
Il va sans dire que la trilogie qualitative du Nouveau, du Banquier et du Docteur, qui s’insère dans l’espace à trois dimensions – politique économique et intellectuelle –est en vérité un sous-espace dont la dimension principale est celle de la nouveauté. En effet, un Docteur-Président voilà qui est censé nous changer de la situation de nos hommes politique intellectuellement contrariés, dont le président sortant, militaire de la vieille école, donne l’exemple. De même, un Président-Banquier, voilà qui, par la culture de rigueur comptable dont il est auréolé dans l’esprit des gens – et pas seulement les plus simples – constitue à n’en pas douter un homme à la fois nouveau et idoine dans le sérail politique, eu égard à la tâche qui lui est assignée.
Et le peuple dans son intelligence collective a cru trouver en cette hypostase la solution finale à l’incurie des hommes politiques. Hélas, mal lui en a pris, car le temps de pousser un ouf de soulagement, il s’aperçoit, ahuri et sans doute un peu tard que la solution finale était devenue un problème initial. Moralité, on l’a dit, en politique, il n’y a pas de génération spontanée. Cette vérité, le peuple béninois l’a payée au prix fort. Puisse-t-il en tirer une leçon pour sa bonne gouverne, et sa bonne gouvernance !
Binason Avèkes
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