Mon cher Pancrace,
Dans ta dernière lettre, citant quatre candidats potentiels à l’élection, tu me demandes lequel d’entre eux serait un bon Président. Par bon Président, je suppose que tu veux dire celui dont l’action ferait enfin avancer notre pays et bénéficierait au Peuple béninois qui, depuis son indépendance attend le berger d’une conduite raisonnée et responsable vers le vert pâturage du progrès et de la prospérité pour tous. Je crois que le Bon Président est celui-là qui peut améliorer la performance de l’actuel. Tu me dis que pour ta part, tu ne serais pas loin de pencher pour Bio Tchané. Oui, je comprends ton inclination à penser ainsi. En raison de leur parcours similaires, on est en droit de penser que celui-ci fera bien moins mal que celui-là. Mais si Bio Tchané veut être Président de la République, outre l’ambition personnelle, c’est sans doute qu’en tant que Béninois et observateur de la vie politique du pays, il est comme bien d’autres ulcéré par la gouvernance calamiteuse, l’obsession populiste et le style autoritaire de l’actuel locataire de la Marina. Un autre facteur peut expliquer l’apparente opportunité de la candidature de Bio Tchané. C’est l’effet de la psychologie sur les performances et réalisations du Président de la République en exercice.
A observer le fonctionnement de Yayi Boni, il apparaît que le timonier du changement a produit le meilleur de lui-même exclusivement avec l’ombre portée de l’épée de Damoclès de la réélection sur sa tête ; surtout dans le contexte dramatique du précédent de Soglo, et aux prises avec les démonstrations de force de la cohorte bigarrée de ses opposants qui, bien – et parce – que étiquetés anciens se refusent à mourir de leur belle mort. Donc force est de retenir que les choses positives annoncées, initiées, ou réalisées par Yayi Boni le furent sous la piqûre ardente de l’aiguillon populiste du challenge de la réélection ; challenge érigé en obsession. A contrario, si Yayi Boni avait la garantie qu’offrent les systèmes dictatoriaux d’une réélection sans faille, il n’est pas sûr qu’on aurait eu ou vu grand-chose de positif sous son règne. Même s’il faut reconnaître aussi que les travers, les choses négatives ou mauvaises sous Yayi Boni le furent aussi dans cet état d’esprit. Puisque la peur de déplaire au Peuple ou aux alliés politiques pléthoriques en prenant des décisions impopulaires quoique nécessaires pour le pays a pu conduire bien souvent à les mettre sous le boisseau.
Suivant ce raisonnement, un Président avec lequel le Peuple n’a plus de réélection à négocier durant sa législature peut s’avérer d’une médiocrité sinon d’un cynisme navrant. Et, non content d’être médiocre, il pourrait aussi laisser libre cours à ses fantasmes et ses démons, sans craindre ce qu’il faut bien appeler l’effet de surmoi de la réélection.
Donc si on considère la brochette des quatre grands candidats potentiels à l’élection présidentielle, que tu as cités soit en raison de leur notoriété, de leur parti, de leur expérience ou du fait qu’ils ressortissent d’une filière devenue de façon insidieuse une marque déposée au Bénin, – j’ai nommé : Yayi Boni, Adrien Houngbédji, Bio Tchané et Léhady Soglo ; on constate qu’on peut les répartir dans deux catégories distinctes en rapport avec le critère du surmoi de la réélection. D’un côté, il y a Yayi Boni et Adrien Houngbédji, et de l’autre Bio Tchané et Léhady Soglo.
La première catégorie, comme cela tombe sous le sens, est celle des Présidents qui, pour une raison ou une autre, n’auront pas à se poser la question de la réélection. Yayi Boni en fait logiquement partie parce que, à moins de traficoter la Constitution pour se maintenir – éventualité qui n’est hélas pas entièrement farfelue, compte tenue des tendances despotiques du personnage – il ne peut briguer un troisième mandat. Et Maître Adrien Hougbédji, le Président du PRD, parce qu’alors frappé par la limite d’âge des 70 ans impartie par la Constitution – clause que soi dit en passant, je trouve parfaitement imbécile, même si elle a montré ponctuellement son utilité dans les circonstances inaugurales du Renouveau Démocratique.
Dans l’autre catégorie, viennent les deux candidats qui tombent sous le jour favorable du critère du surmoi de la réélection. En effet, dans l’hypothèse où l’un et l’autre estélu, son légitime désir et son droit d’être réélu peuvent être mis à prix, exploités, et servir d’aiguillon pour développer le pays. Le peuple pourra faire un « chantage à la réélection » pour obtenir qu’il fasse coïncider autant que faire se peut ses promesses et son action.
La division en catégories ne signifie ni que les membres d’une même catégorie partagent le même sort sous le rapport de l’effet de surmoi ni que les catégories soient absolument disjointes. En fait, une observation attentive quoique peut-être subjective conduit à considérer les deux membres de la première catégorie comme les extrêmes d’une proportion ou d’un syllogisme, là où les deux autres membres en seraient les moyens.
Et, Yayi Boni, de part sa trajectoire, son histoire et sa situation actuelle est le pôle négatif de cet extrême ; en effet, il est le plus mal loti, dans la mesure où rien ne le forcera à faire un second mandat plus positif pour le peuple, plus effectif que le premier. Au contraire, ayant passé tout le premier mandat dans la tension permanente d’obtenir le second, grand sera son désir de relâchement une fois son but atteint – juste retour psychologique des choses. Dans la même catégorie, mais sous l’angle qu’on pourra considérer comme positif, Adrien Hougbédji n’ayant pas d’autres occasions d’exercer le pouvoir présidentiel que celle-ci, cherchera en toute logique à mettre un point d’honneur à faire rimer l’historicité de son élection tant espérée avec l’historicité du changement tant attendu et dont le peuple reste frustré, après l’expérience pour le moins étrange de Yayi Boni à la tête du pays. Par ailleurs, comme tout l’oppose à Monsieur Yayi Boni – en termes d’expérience cumulées, de sagesse, de maturité politique, d’éthique, de culture – il est fort à parier que Maître Adrien Houngbédji n’aura de cesse de faire la preuve du visage du vrai changement. Occasion aussi pour lui de démentir les préjugés, lieux communs, consensus frauduleux et malentendus pour la plupart sciemment accumulés comme un lourd nuage sur sa tête par ses détracteurs avec, il faut le reconnaître, une désastreuse habileté qui n’a pas fait de concession à l’honnêteté morale ou à la justice.
C’est dire finalement, cher ami, que le plus fort potentiel de l’effet de surmoi se trouve paradoxalement concentré sur celui-là même qui n’a plus rien à prouver que ce dont il est capable, celui-là qui ne peut faire l’objet du chantage à la réélection, ni de la part du peuple ni de la part – et cela est plus important – de ceux-là même qui selon tes propres termes sont la tourbe infecte des politiciens de métier, et dont c’est la culture et la spécialité.
La deuxième catégorie des candidats susceptibles d’être sous l’emprise du surmoi de la réélection est composée de membres qui réunissent à la perfection les critères qui définissent leur appartenance. Mais – et c’est le lieu de rebondir en exprimant mon scepticisme quant à ton penchant supposé – d’un côté avec Bio Tchané l’effet de miroir est si fort ( il ne manque d’ailleurs que le Y pour confondre les initiales des deux hommes) avec Yayi Boni que le peuple Béninois, au demeurant si prompt à se défier des illusions, peut craindre à juste titre de tomber de Charybde en Scylla. Et il n’est pas jusqu’à l’insidieuse institutionnalisation de ce qui se donne à comprendre sinon comme la voie royale du moins le modèle déposé de l’accès à la présidence au Bénin : fonctionnariat international de préférence dans le secteur financier, Présidence de la BOAD érigée en antichambre de la Marina, bref toutes choses dont je crains qu’elles ne fassent l’objet de la part de l’électeur, d’un phénomène de rejet massif.
Enfin, Léhady Soglo quant à lui, bien qu’étant en réalité politiquement plus expérimenté que Yayi Boni, a encore bien des choses à apprendre avant d’avoir l’étoffe d’un Président. Ce manque d’expérience, comme on a pu le voir avec Yayi Boni, a été la source de ce qu’il faut bien appeler la cruelle déception de son exercice du pouvoir, eu égard à l’espérance qui a nourri le rêve de son élection et que celui-ci, une fois réalisé a à son tour suscitée. En vain...
Donc, cher ami, même si je respecte ton penchant de départ, j’espère avoir contribué à le faire évoluer, en déconstruisant, ce qu’il pouvait y avoir de naïf, quoique fort compréhensible. Je crois sincèrement que le meilleur Président pour le Bénin est celui des quatre Mousquetaires qui, au-delà du complexe de la réélection qui a marqué l’actuelle législature, n’aura plus rien à prouver que ce dont il est capable. N’oublions pas que même battu en 2011, Yayi Boni peut toujours rester à l’affût pour 2016 comme le sont actuellement ses opposants. Et cette situation est aussi une dynamique de progrès politique et économique pour notre pays, car, en l’occurrence ce n’est pas l’obsession de réélection qui fera agir celui qui lui aura succédé, mais la volonté agissante de ne pas faire regretter au Peuple son prédécesseur.
Avec l’expression sincère de ma profonde gratitude pour ton amitié sans faille et l’honneur que tu me fais d’y répondre, je te prie de croire, cher ami à la vigueur de mes sentiments.
Binason Avèkes
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