La transhumance de Rachidi Gbadamassi défraie actuellement la chronique et pour cause, l’acte est d’une portée politique, éthique et mentale considérable. Mais à y voir de près, le débat est unilatéral, et subtilement biaisé. A l’instar du débat sur l’Esclavage et la Traite des Noirs. En effet, le débat sur l’esclavage des Noirs a focalisé l’attention sur l’inhumanité du Blanc acheteur d’esclave, exploiteur méchant, traiteur et maltraiteur, et plus tard, ségrégationniste, raciste et lyncheur du Noir, etc. Mais jamais l’attention ne s’est arrêtée trop longtemps sur la part de responsabilité du Noir lui-même, en tant que vendeur de ses propres congénères
C’est que notre société, très pusillanime sur les questions éthiques, veut se donner l’air de s’indigner à bon compte mais sans aller au fond des choses. Elle préfère le jugement médiatique inducteur qui s’attache au spectaculaire, à l’effet d’annonce pour mieux cacher le fond. A l’instar des médias, la société préfère s’entendre dire que c’est Rachid Gbadamassi qui se serait vendu, et comme cela se répète sur tous les tons, « aurait ravalé ses propres vomissures» Et Dieu sait qu’en l’occurrence il en a vomi des tonnes, l’intrigant honorable ; un de ceux-là qui rendent ridicule le nom d’honorable que l’on a cru sensé conférer à nos députés, parce que chez nous comme ailleurs le ridicule ne tue pas.
Mais pourquoi cette focalisation sur la trahison sans insister sur l’ignominie de l’acte consistant à acheter avec l’argent du peuple la conscience des ses représentants ? Au moment où les côtes de la Somalie sont infestées de pirates qui sèment la mort et la désolation, voilà qu’au sommet de notre état la piraterie se donne libre cours sans complexe et sans état d’âme dans le silence le plus abject des instances morales et de la société civile du pays !
Peut-il y avoir des enfants prostitués s’il n’y avait pas de pédophiles qui les harponnent, les harcèlent et les violent au mépris de la décence et des lois ? Quand accepterons-nous, même dans la politique de nous regarder dans le miroir de la morale sans lorgnette ni masque complaisant ? Après avoir tronqué la problématique de l’esclavage nous voilà à nouveau en pleine dénégation de nos responsabilités d’Etat en choisissant de considérer le mal de la corruption d’Etat à travers le regard borgne d’une appréhension partiale et complaisante.
Le fameux discours de la Baule, on s’en souvient, a levé un vent d’espoir de démocratisation en Afrique. Ce discours toutefois n’a pas connu les mêmes réceptions partout. Deux types de réceptions bien distinctes se sont manifestés. Il y a eu d’une part la réponse des nations arabo-musulmanes de l’Afrique du Nord plus autocentrées politiquement et culturellement et, d’autre part, la réponse des Etats négro-africains du sud du Sahara aux structures symboliques hétéroclites et au fonctionnement sociopolitique plus hétéronome. Les Africains du Nord ont opposé aux injonctions du discours de la Baule une fin de non recevoir, catégorique ou plus ou moins nuancée selon les cas. Entre le paternalisme monarchique d’un Hosni Moubarak de l’Egypte à la dictature sans complaisance d’un Ben Ali de la Tunisie en passant par la pseudo-démocratie personnalisée d’un Abdelaziz Bouteflika de l’Algérie, les réponses offertes par les dirigeants des pays arabo-musulmans font très peu de concession à la démocratie, en dépit de la variété de leurs caractères et situations nationaux.
En Afrique noire en revanche, on a répondu à l’injonction du maître colonisateur d’hier et du marionnettiste d’aujourd’hui par ce qu’il convient d’appeler un accord de principe hypocrite. Le Bénin a donné l’exemple de cette apparente porosité des nations négro-africaines au discours de la Baule et à sa traduction dans les faits ; du moins tout le monde a-t-il donné son accord de principe même si se sont manifestées de grandes différences dans la pratique. La démocratie en tant que forme de gouvernement est perçue et reconnue comme un modèle de gouvernement rationnel, moderne et éprouvé. Cette perception de la démocratie, résultat de l’hétéronomie symbolique et de la dépendance économique des Africains, a donné lieu à une naturalisation implicite de sa valeur. Le discours de la démocratie est placé au centre des discussions politiques, de façon incantatoire ou idéaliste. Soit pour s’en affirmer le modèle, soit pour se plaindre de ses violations et réclamer son application.
Mais l’hypocrisie de cet accord de principe ne tardera pas à apparaître au grand jour. Dans la plupart des pays africains, le trucage des élections, l’inexistence d’une opposition réelle, la mise sous scellés ou la violation des libertés individuelles, la pratique de révision intempestive de la constitution par le chef pour se maintenir au pouvoir ont très vite refroidi les ardeurs des peuples et montré le caractère parodique de l'acceptation du principe démocratique par les dirigeants africains.
Pour peaufiner cette parodie, un certain nombre de pratiques visant à conférer les apparences de la démocratie au jeu politique sont mises en œuvre dans la plupart des pays. Le plus souvent dans le but de se concilier les exigences des bailleurs de fonds. Parmi ces pratiques figure en bonne place l’achat des députés pour la confection d’une majorité à l’Assemblée nationale. Cette marchandisation de la représentation nationale a conduit à un autre travers : la trahison des députés, pour ne pas dire le déshonneur des honorables. Le mal existe et sévit dans tous les pays africains prétendument démocratiques. Au Bénin, depuis le début de l’ère du Renouveau démocratique, ce fléau a traversé tous les régimes sans exception, de Soglo à Kérékou I et Kérékou II. Maintenant, avec Yayi Boni, le mal entre dans une phase nouvelle. Le pouvoir du Changement y met la dimension décomplexée de l’ostentation doublée d’une monstrueuse surenchère. Alors que jadis, du côté du pouvoir, la chose faisait l’objet d’une discrétion pudique maintenant, tout se fait au grand jour, sans complexe comme si on voulait institutionnaliser le marché de la vente des députés. Contrairement à ce que font croire à tue-tête les médias, ce n’est plus le député qui trahit son camp d’origine, son parti, son groupe parlementaire, ses idées, sa conscience ; ce n’est plus l’honorable qui se déshonore, comme au bon vieux temps des Soglo et Kérékou. Non, c’est le pouvoir qui rapt, corrompt et viole les consciences. C’est le pouvoir qui amène le député à résipiscence ; c’est lui qui, à coup de milliards, de harcèlement, de chantage, de menaces, de démarchage, de montée vertigineuse des enchères organise le marché et réifie le député. Ce marché n’est rien moins que la traite des honorables.
En l’espace de quelques années, avec le pouvoir de Yayi Boni, le caractère parodique de la démocratie en Afrique noire s’est naturalisé dans notre pays. Le marché des députés et des consciences, pièce maîtresse de cette parodie, a subi une mutation. Nous sommes passés de la transhumance bon enfant à la traite des honorables. Il s’agit-là d’un changement de nature.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008,© Bienvenu sur Babilown
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