Ouidah, Kilibo, Savè, Porto-Novo... : Signes Avant-coureurs d'un Danger à Eviter
De plus en plus de foyers de tensions s’allument au Bénin. Ces tensions ont des formes et des sources variées mais, comme des rivières, elles convergent vers le même océan politique. Comme le souligne l’Abbé Quenum dans son éditorial du 27 mars, « les causes nouvelles de ces conflits sont liées aux pratiques politiques de division et de régionalisation qui, si elles ne datent pas d’aujourd’hui, ne font que s’aggraver depuis le changement. » Les partis politiques étant atomisés, les lieux et les mécanismes de mobilisation des masses, selon l’éditorialiste, se sont déplacés pour se cristalliser sur la politisation excessive de l’administration, de l’ethnie, du village, du sang, de la terre et de la foi.
Que celui-là même qui en est garant en vienne à mettre en danger l’unité nationale est un véritable sujet de préoccupation. Pourquoi Yayi Boni, par sa méthode de gouvernement augmente-t-il le risque de tension nationale ? Quelle est cette conception de la démocratie qui creuse un peu plus chaque jour le lit du régionalisme ? Pourquoi un tel engouement à troubler la paix dans les familles et les partis, les localités et les régions au nom du changement ? Et ce besoin passionné d’avoir le Peuple de son côté peut-il tout justifier ? Yayi Boni doit-il faire supporter sans vergogne à la nation entière son inexpérience et son impréparation politiques ?
Toutes ces questions convergent vers la personne du chef de l’Etat et les conditions de son élection en 2006. Inconnu jusque là dans le paysage politique, et même considéré de façon péjorative comme une génération spontanée, Yayi Boni se fait élire à la surprise générale à 75% des voix. Dès lors, le nouvel élu estime avoir conclu un pacte avec le peuple ; et comme un nouveau marié qui s’isole pour consommer son amour, Yayi Boni s’enferme dans un tête-à-tête exclusif avec le peuple. Cette idylle, le Président veut la perpétuer tout au long de son règne, et la renouveler coûte que coûte pour la prochaine mandature. Et ce en dépit du temps qui passe, en dépit du vent politique qui tourne. Ainsi, aux législatives se débrouilla-t-il pour justifier la prééminence de son rapport avec le peuple. Par des voies dont l’honnêteté reste sujette à caution, il réussit à conquérir l’Assemblée nationale où sa mouvance régna sans partage quelque temps. Mais le peuple ne vivant pas d’amour et d’eau fraîche, l’idylle finit par faire long feu. Du moins la réalité le voulait ainsi, sauf l’amant éconduit qui, fou d’amour, s’enferma aveuglément avec l’effigie de sa bien-aimée. Commença alors une période forcenée de masturbation politique sur fond de violence faite au peuple et aux règles de la démocratie. Une ère où, sur le mode magique, le Chef espérait que le peuple reviendrait habiter son effigie, pour autant du reste qu’il l’en distinguât Pendant ce temps, les incantations sur les bienfaits du changement fusent de toute part. Une presse stipendiée ou aux ordres est chargée de les relayer. En chœur, elle embouche les mots d’ordre du régime, dit ses louanges et annonce ses prouesses plus ou moins invisibles avec une alacrité servile et un cynisme pour le moins désopilants. Le but de la manœuvre ? Eliminer « les anciens » à travers une révolution dont le promoteur est manifestement à court de moyens constitutionnels. Pour cela, il faut conditionner le Peuple, le droguer dans la nuit de la propagande. A défaut d’être dans le réel, et le mieux vivre du peuple, le changement s’est installé dans les marches, les dithyrambes, les kermesses et les promesses, les soutiens et les effets d’annonce, des actions spectaculaires qui, malgré l’utilité de certaines, n’ont rien changé au malheur tenace du peuple. Le timonier et ses sbires brassent du vent sans que l’effigie du peuple en vienne à bouger d’un empan. Un ensemble de rituels propitiatoires en vue de donner vie à l’effigie du peuple est mis en œuvre : marches de soutien déferlantes dans tout le pays ; envois de Ministres et Présidents de société à la tête de cohortes dithyrambiques dans leurs villages, hameaux et régions d’origine pour prêcher la bonne parole et l’imminence des miracles du Messie. Marche verte du Messie lui-même contre la Corruption, cache-misère d’un fléau auquel le changement n’a rien changé. Mais tout cela n’empêcha pas la bérézina aux municipales. Qu’à cela ne tienne ; les institutions de la République instrumentalisées ou la jacquerie politique au sommet seront la réponse du pouvoir au scepticisme du peuple. Les Cour constitutionnelle et Suprême taillées sur mesure ne marchanderont pas leur contribution à l’ère de l’autoritarisme magique et du populisme sans peuple. La rectification juridique des élections, le refus d’installer les conseillers, l’achat ou le kidnapping des conseillers, seront autant d’armes d’une même panoplie de domination sans partage.
Parallèlement, pour justifier la fiction d’un peuple en marche sous la bannière du changement on se lance dans une course effrénée à ses médiateurs ethniques, sociaux, culturels et religieux. Ainsi, les religieux, les chefferies traditionnelles, les régions, et les chefs de tribus sont invités dans la danse. Souvent ils sont ressuscités ou créés de toute pièce pour les besoins de la cause. Et quelle cause ? Pas des moindres : réinsuffler vie à l’effigie du peuple qui dans le réel a laissé la clé sous le paillasson de la chambre nuptiale du Pouvoir. Cette course insensée a semé un peu partout dans le pays des foyers de tensions, de division et de guerres fratricides. Comme le montre l’exemple des Soglo, les familles sont divisées ; les partis, dévidés ; dans les villages et les régions tout ce qui était uni avant est scindé, forcé de prendre parti pour ou contre le théâtre itinérant et loufoque du changement qui ne change rien.
La dernière trouvaille médiatique du pouvoir pour faire croire à la présence en chair et en os du Peuple dans sa chambre nuptiale en lieu et place de l’effigie sur laquelle il se masturbe jour et nuit depuis des années est l’annonce d’une élection au premier tour en 2011. Fiction dangereuse que cette trouvaille. En effet de deux choses l’une ; ou bien le peuple n’est plus dans l’intimité du pouvoir et alors cette annonce n’est rien moins qu’une rodomontade à relent masturbatoire au travers de laquelle, dans les cercles du pouvoir en perte de vitesse, on se plaît à prêcher le meilleur pour éviter le pire. Ou bien, la masse est toujours dans l’intimité du Pouvoir et alors, on ne voit pas pourquoi après avoir consommé cet amour sans conviction, elle confierait sa destinée sans témoin à un époux dénué de charme plus qu’elle ne le fit au fiancé auréolé de tous les fantasmes et espérances que la réalité s’est chargée de décevoir.
Le raisonnement paraît rigoureux, mais il n’est pas imparable et on ne peut hélas lui appliquer le fameux principe du tiers-exclu. C’est dire qu’une troisième hypothèse est fort possible : celle du passage en force d’un Pouvoir n’hésitant pas à prendre ses vessies pour des lanternes. Et, de simple hypothèse, le risque d’embrasement du pays deviendra alors réalité. Les foyers allumés de-ci de-là par la « politisation excessive de l’administration, de l’ethnie, du village, du sang, de la terre et de la foi » entreront en activité d’un commun désaccord.
Ouidah à titre purement accidentel, comme naguère d’autres villes ou régions, a offert cette semaine dans le sang et la violence fratricide une préfiguration de ce qui peut se passer.
Et pourtant nous pouvons éviter le pire. Pour parer au danger qui guette notre pays et dont nous ne sommes pas conscients tout à fait, il n’est pas trop tard de dénoncer avec vigueur le populisme sans peuple, qui est la seule méthode de gouvernement du Président Yayi Boni.
Binason Avèkes
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