L’Origine du Monde Racontée à ma Cousine Assiba
J’ai une cousine qui jadis vivait au Bénin. Mais il y a de cela quatre ans, elle s’est retrouvée en France, via l’Allemagne. En Allemagne, où elle a émigré grâce à l’aide d’une de ses amies mariée à un Allemand, elle a eu des démêlées avec la police pour cause de papiers, alors elle a préféré fuir vers la France, où d’autres amis l’ont accueillie.
Son arrivée à Paris m’a été signalée par sa grande sœur, lors de l’un de mes passages à Cotonou. Comme cela se fait souvent, on me remet des cadeaux pour elle avec un numéro de téléphone où je pouvais la joindre. Sa profession en France est coiffeuse, cela lui allait bien. Et, à 23 ans, elle cherchait à s’inscrire dans une formation de styliste modéliste. Puisque j’étais enseignant, ses parents m’invertissaient un peu naïvement de la délicate mission de la remettre dans le cursus scolaire. Pour cela, ils étaient prêts, à diminuer l’âge de leur fille, comme cela se fait chez nous. Des ambitions et des rêves pour une enfant qui a la chance de se retrouver au pays des Blancs !
De retour à Paris, je prends contact avec Assiba que j’invite chez moi, et accueille comme une enfant vu qu’à défaut de l’être vraiment elle pouvait en avoir l’âge. Je lui remets les cadeaux de la part de ses parents. Entre quelques amabilités, je mis sur le tapis la question de sa formation ; et lui présentai – parce que m’étant bien renseigné sur le sujet – la possibilité de s’inscrire dans des écoles de formation en stylisme modélisme, dont je lui dis les noms et les conditions d’inscription. Elle avait l’air intéressée, et désireuse de parfaire sa formation. Au cours d’un autre rendez-vous chez moi, je réussis à lui présenter un montage pour une inscription dans une école pas chère et qu’elle pouvait payer mensuellement grâce au petit revenu de son travail au noir de coiffeuse dans le 18ème arrondissement à Paris, mais très vite je devais déchanter. Après ce rendez-vous, ma mignonne me planta là et ne donna plus signe de vie. Son silence de mort dura trois belles années. Au début, j’essayai de lui téléphoner mais en vain, et y voyant là le comportement sournois de bien des nôtres, je jetai ma langue au chat. Chaque fois que j’essayais de m’enquérir de ses nouvelles auprès de sa sœur avec laquelle elle était pourtant en contact, celle-ci restait dans le flou, se contentant de m’assurer que sa sœur n’allait pas mal.
Puis tout à coup, mes rapports avec la Cousine Assiba revinrent brutalement d’actualité. En voyage au Bénin il y a peu pour une raison familiale, je rencontrai naturellement la grande sœur de la Cousine Assiba, qui contrairement à son attitude vague et distante sur la question de sa sœur devint tout à coup diserte sur le sujet, et se mit à m’entretenir de la vie de sa sœur en France. Lors de l’une de nos nombreuses rencontres, la Cousine Assiba de Paris téléphona et très spontanément sa sœur me passa la communication pour faire le pont de toutes ces années d’un silence pour le moins obscur. Et c’est ainsi que je pus reprendre langue avec cette jeune cousine qui avait plongé corps et âme dans le maquis des sans papiers de France. Elle s’excusa de son long silence qu’elle mit sur le compte d’une perte de son portable où se trouveraient tous ses numéros ; spécieux argument s’il en est, que j’avalai sans insister, vu qu’il avait le mérite d’exister. Et comme si l’histoire se répétait, lors de mon retour à Paris, je fus investi de la même mission de lui remettre un cadeau de la part de sa sœur ; de même sa mère me demanda de veiller à voir comment elle vit là-bas et si tout se passait bien pour elle. Quand la vieille me parlait, je sentais qu’elle avait quelque chose sur le cœur mais qu’elle n’osait pas aller plus loin, peut-être pensait-elle que je savais quelque chose et qu’elle me laissait deviner le reste. Je lui promis que je ferai le nécessaire et le cas échéant, ne tarderai pas à lui donner des échos.
Aussi, comme lors de notre première rencontre, aussitôt revenu à Paris, j’invitai la Cousine Assiba chez moi où elle arriva un soir. C’était un dimanche, et je la reçus en famille. Elle avait grandi et était plus belle ; bien sapée, bas noir et robe noire ample et courte, manteau de fourrure élégant elle se donnait les airs d’une jeune bourgeoise fraîchement baptisée. Elle travaillait toujours m’a-t-elle dit comme coiffeuse au noir dans le 18ème à Paris. Au cours de nos échanges, elle tenait un discours hautain et même ouvertement méprisant sur ceux qu’elle appelait « les Noirs » dont elle semblait désormais se démarquer de toutes les façons possibles : façon de vivre, de penser, de parler, de se vêtir, etc... Elle ne cessait de vitupérer la paresse des Noirs, leur malhonnêteté, leur tricherie aux Assedic, leur dépendance au RMI où la CAF, leur inculture, et des lieux communs sur les Noirs du même tonneau. Elle vantait ses joies de nageuse à la piscine, alors que nager est souvent un tabou chez nous, ses visites de musée, ses fréquentations des théâtres, et bien d’autres gracieusetés culturelles du même genre. Tout cela dans un parler rageur, un français plus que jamais amélioré, fleuri, riche, vivant adapté, naturalisé, et alerte. Attitude qui trahissait une bonne volonté sociologique, une sorte d’odyssée de classe pour le moins fantastique. Enfin pour tout avouer, elle finit par me dire qu’elle s’était mise avec un Monsieur français, Blanc de chez Blanc mais qui n’était pas un jeunet, vu qu’il avait ses 68 ans bien sonnés ! Mon bébé de cousine vivait avec un pépé ! Quelle pitié, me dis-je avec un pincement au cœur. Infâme curiosité, c’était d’ailleurs le vieux qui l’avait véhiculée en bas de chez moi mais par discrétion, il était resté planqué dans sa voiture pendant une heure ou deux à attendre sa belle ! Quand je descendis dans la rue, où il avait garé, je vis le Monsieur qui, bondissant de l’obscurité de sa voiture, se mit à faire assaut d’amabilité à mon égard et, n’eût été ma gravité de Parisien ulcéré mais s’efforçant de le cacher, il m’eût sauté au cou comme si nous avions gardé les vaches ensemble. Nous en restâmes aux amabilités et au strict respect des droits de l’homme...
Bref ma Cousine Assiba – et cela ne m’étonna pas – était entrée dans le circuit classique d’une certaine catégorie de jeunes filles noires africaines, qui se mettent en vente sur le marché du sexe – ou de l’amour comme aiment à dire les Blancs par acquis de conscience – marché sur lequel les mâles Européens règnent en maîtres incontestés. Cette catégorie de jeunes filles africaines, pourvu qu’elles correspondent aux canons de la beauté fixés par l’Occident en ce moment sont littéralement happées par ce marché de dupe, et se retrouvent au nom de l’Amour dans les griffes de vieux libidineux ou de Blancs teigneux ou rabougris, qui en font leurs jouets sexuels au nom du mythe fallacieux de l’Amour... Cet amour qui curieusement ne fonctionne qu’en faveur des hommes les plus solvables de la terre, en l’occurrence le Blanc, originaire d’un pays où même un vulgaire cordonnier, un balayeur de rue, un chauffeur de taxi, n’ont rien à envier pécuniairement à un banquier ou à un ingénieur de chez nous. En clair et à ce train, si on n’y prend garde, toutes nos plus belles filles iraient prioritairement à un cordonnier Blanc ou à un retraité de France avant de reconnaître en un ingénieur d’Afrique un être digne d’être aimé. Et le Blanc maître sur ce marché de l’amour ainsi biaisé s’en donne à cœur joie, de se servir, de choisir les femmes d’Afrique au nom de l’universelle égalité des hommes. Comme au temps de l’esclavage, ce que les Noirs ont de plus intime, de plus riche, leur trésor de force, de beauté sont détournés et saisis en priorité par ceux-là qui nous ont toujours mal traités, traités en animaux, exploités à sang et à mort ; par ceux-là qui continuent de nous exploiter, de nous mépriser, de nous piétiner à la face et dans le silence bestial du monde. Comme pour les matières premières en pourvoyeuse desquelles l’Afrique noire est réduite par les Occidentaux, les Blancs se permettent d’extraire en notre sein, dans la riche terre de notre chair intime, ce que nous avons de plus cher et prétextant qu’il s’agit d’amour, nous les prennent souvent avec notre bestial consentement, notre débile complaisance.
Or puisqu’on nous parle de la magie mystérieuse de l’Amour pourquoi la magie de l’Amour, si vraiment magie il y a ne fonctionne-t-elle jamais que dans un seul sens ? Combien de filles blanches, belles et sans vices cachés, se jettent si systématiquement dans les bras d’hommes Noirs ici en Occident comme le fleuve se jette dans la mer ? On en trouvera peut-être quelques exemples douteux mais ils ne seraient au mieux jamais que l’exception qui confirmerait la règle de la vigilance raciste des Blancs, de leur refus de concéder au Noir tout ce qui peut le faire jouir, à plus forte raison le modèle même de ce qu’ils trouvent beau.
C’est alors que se pose la question de la définition esthétique du beau. Cette pression de l’Occident sur notre imaginaire finit par nous pré-imposer des modèles esthétiques qui ne sont pas forcément de notre sensibilité mais qui nous influencent d’autant plus fortement qu’ils nous paraissent aller de soi, et nous finissons par y céder bêtement. Or en y cédant au lieu de nous en tenir consciencieusement à ce qui est beau pour nous, nous préparons les conditions symboliques de notre exploitation. Autrement dit, pour peu que nous soyons vigilants dans la définition de nos modèles esthétiques et les concevions à notre goût et non pas selon un goût suggéré ou imposé de l’extérieur, nous aurions franchi le premier pas de notre protection de ce fléau qui consiste à subir, comme nous le fûmes pieds et poings liés pour l’esclavage, et l’exploitation impérialo-colonialiste de nos ressources, la loi de l’exploitation sexuelle de nos enfants formatés au goût et à l’appétit insatiable des Blancs.
Il s’agit d’une question d’éducation. L’un des aspects de cette question est axé sur la frauduleuse naturalisation du modèle de la fille mince et grande avec des traits prétendument non négroïdes, modèle imposé par et convenable au parti-pris raciste des Européens. En assurant l’intrusion de ce modèle dans nos imaginaires, le Blanc s’assure du même coup du droit de prélèvement des tendres rameaux du bois d’Eros correspondant à ses fantasmes à la fois dominateurs et cupides, malins et léonins. Le fait que l’exploitation et l’esclavage des Noirs continuent toujours de nos jours n’est un secret pour personne. Comme l’atteste la toute-puissance protéiforme du néocolonialisme, cette exploitation sexuelle de notre race au travers du canal symbolique de l’intériorisation des modèles esthétiques occidentaux, n’est que l’un des aspects modernes de l’esclavage des Noirs. Comme le sont la fuite des cerveaux ou l’immigration des bras valides du continent vers l’Occident pour cause de la misère qui découle des handicaps du passé et de la domination néocoloniale du présent, même si l’on doit faire la part de la responsabilité des dirigeants et élites africains dans le désordre qui sévit en Afrique. Un exemple culturel et mondain des conséquences de l’assujettissement symbolique qui prépare à l’exploitation érotique de notre race par les Blancs est donné par le succès des concours de Beauté, les Miss nationaux où les critères de beauté sont calqués sur le modèle unique de la femme telle que la conçoit la sensibilité du Blanc. Même si, à l’instar de maintes institutions qui participent de notre modernité aliénée et si étrangement fière de l’être, nous avons adopté ce type de concours sur le modèle des Blancs – est-il du reste une seule chose de stupide que nous fassions sans en avoir pris copie sur eux ? – étions-nous tenus de reconduire pieds et poings liés les mêmes critères de beauté qu’eux ?
L’éducation s’impose aussi dans l’image de soi de la femme africaine, et des cadres de vision de son esthétique.
Par exemple le document ci-dessus d’une télévision nigériane nous donne à voir une palette représentative de ce qui est présenté comme la femme nigériane. Même s’il est vrai qu’il faut prendre en compte un certain nombre de biais non négligeable ; comme le biais de l’idéalisation à des fins de manipulation qui est le propre des médias télévisuels ou de la publicité ; ou le biais sociologique de la classe sociale à laquelle s’adresse ce type d’émission, souvent cantonnée à la bourgeoisie sélecte des beaux quartiers des grandes villes. Quoi qu’il en soit, et nonobstant tout le respect que l’on peut avoir pour la révolte de ces gentes dames, il reste que ce n’est pas leur façon d’être, leur style et esthétique qui se signalent à notre attention au premier coin de rue de nos villes grandes et moins grandes.
Sur Youtube où ce document est choisi, on peut voir une série de documents thématiques intitulé African Women, et qui se décline par pays : Côte d’Ivoire, Sénégal, Nigéria, Somalie, etc. Et tout naturellement on peut voir que ce qui est privilégié c’est le même modèle de femme prétendument universel, le plus proche possible de la femme européenne quelles que soient ses différences naturelles. La série, qui se donne les airs encyclopédiques d'une étude à caractère anthropographique existe dans la catégorie « Femmes africaines », et « Femmes asiatiques. » Les femmes qu’elles soient africaines ou asiatiques, sont toujours présentées, posées et positionnées du point de vue d’une esthétique aliénée, hétéronome, exogène et exotique, qui n’a rien à voir avec le regard intime et authentique de l’Asiatique ou de l’Africain. Et le plus révélateur est que, dans cette série qui se voulait si subtilement encyclopédique, il n’y eût pas de catégorie réservée aux « Femmes Européennes. » Et pour cause, puisque là-dessus les clients à qui ce genre d’image était adressé en dépit qu’il en aie n’ont rien d’original à apprendre d’une telle catégorie : celles qui sont proposées selon un filon exotique consacré n’étant que des points de vue exotiques sur le même objet érotique du même mâle Européen. Ce qui prouve si besoin est que derrière l’idée fallacieuse de valoriser les femmes d’ailleurs on est plus dans l’antichambre suggestive de la pornographie que dans une étude des formes esthétiques de la féminité sous l’angle de la diversité nationale, culturelle et raciale. Et que tout est conçu selon les seuls désirs du mâle le plus puissant de la terre parce que le plus solvable à savoir le Blanc.
Comme on le voit, la vulnérabilité de nos sociétés su Sud, exposées aux assauts libidinaux des hommes des pays du Nord est aggravée par l’arrivée en force des nouvelles technologies. Avec le téléphone portable, Internet, Facebook et autres réseaux sociaux qui fleurissent sur Internet, c’est par milliers que se font aujourd’hui les transactions amoureuses internationales, qui hier encore se faisaient timidement et à une échelle artisanale. Et c’est tout naturellement que nos plus belles filles se retrouvent ici par milliers selon un flux dont l’intensité croissante est on ne peut plus inquiétante. Elles se retrouvent transplantées ici à leur risque et péril, à se mettre en ménage avec des hommes teigneux ou des vieillards libidineux qui pourraient être leur grand père, dans une relation que rien ne distingue de la pédophilie que le discours de l’amour, le consentement supposé des deux parties et la majorité, souvent douteuse de la contractante.
Jadis, lorsque l’immigration était exclusivement et prioritairement masculine, c’étaient nos plus beaux hommes qui, perdus dans le maelström du Noir en Occident, devenaient l’objet amoureux naturel du rebut féminin, femmes à nègres, résidus et résiduelles, invendues du marché de l’amour, et qui trouvent dans le beau mâle noir, un bien beau parti. Maintenant – ironie du progrès des techniques et des mœurs – ce sont nos plus belles filles qui vont aux hommes Blancs les plus teigneux, les plus vieux ou les plus ordinaires, les plus indignes d’eux si seulement il y avait une justice dans ce bas monde ; des hommes en rade dans leur propre société et qui pour se donner des airs de conquérants se positionnent sur le terrain du discours anthropologique de l’égalité universel des hommes – concession payée en retour par le droit de participer au pillage érotique de l’Afrique selon un phénomène qu’ils auront beau jeu de s’excuser de n’avoir pas inventé, vu qu’il s’inscrit dans l’ordre naturel des tendances humaines. Mais il a beau correspondre à une tendance naturelle, le phénomène n’en demeure pas moins virulent dans son occurrence, son rythme et sa banalité, et je n’en veux pour preuve que ce qui se passe autour de moi. Dans la copropriété du 9ème arrondissement de Paris où je vis, sur 20 propriétaires 7 propriétés abritent des couples mixtes de Noirs/Blancs. Parmi eux deux sont des couples mixtes dont l’homme est noir et la femme est blanche. L’un des hommes est antillais et l’autre africain, tous des jeunes hommes d’une trentaine avancée, vigoureux, beaux et tout. En revanche les deux femmes de ces couples n’ont rien de particulièrement renversant, rien de bandant, même s’il est vrai qu’en matière d’amour le ciel des goûts est impénétrable. Quant à parler de l’esthétique de ces femmes, on ne peut même pas les qualifier d’ordinaire. « Il faudrait vraiment qu’on me subventionnât pour que je me la tapasse » blaguait un de mes amis facétieux avec lequel nous en étions arrivés à discuter ce genre de chose. Et pourtant mon ami parlait de la femme qui était la moins moche des deux couples en question.
Vu la beauté, la jeunesse et la vigueur esthétique de leurs maris noirs, il va de soi que ces deux femmes blanches n’avaient pas perdu au change.
Tel est le cas des 5 autres couples où les hommes sont tous de vieux gringalets ou des teigneux et les femmes des Noires d’une beauté de nymphe, de ravissantes jeunettes entre 18 et 26 ans, Camerounaises et Ivoiriennes pour la plupart, belles grandes, toujours tirées à quatre épingles, bien parfumées.
Toutes choses qui montrent là aussi que les Blancs n’ont pas perdu au change. Du reste jamais, que ce soit en matière d’amour ou en toute matière, le Blanc ne perd au change. Depuis trente ans que je suis en France, je n’ai jamais eu une fille blanche dont la beauté fût comparable au seizième de la beauté de ma Cousine Assiba, et je ne connais aucun de mes amis qui ait pu avoir mieux. Et ce n’est certainement pas lorsque j’aurais 68 ans que je pourrais réussir davantage ce que la logique raciste et matérialiste qui sévit ici a implacablement empêché entre 20 et 40 ans ! Il y a donc quelque chose qui cloche dans ce type d’échange, qui est emblématique des échanges entre Noirs et Blancs, entre l’Afrique et l’Occident.
L'Origine du Monde, Gustave Courbet, 1866
On comprend qu’avec toute cette réalité et l’écœurement qu’elle m’inspire, j’ai du mal à accueillir avec joie le fait que le mal ait, avec ma cousine Assiba, frappé de si près. Depuis lors, très embarrassé, et ne voulant pas non plus être les empêcheurs de s’aimer en rond, conscient qu’au pays, les parents de ma Cousine Assiba, attendent de moi une certaine caution du choix de leur fille, je n’ose pas leur parler et préfère faire profil bas et me terrer dans un silence gêné.
Alors, dira-t-on, quel est le rapport entre l’Origine du Monde et ma cousine Assiba ? En fait l’origine du monde réfère ici le fameux tableau peint en 1866 par Gustave Courbet.
En fait, centré sur l’importance de l’éducation dans la consolidation de notre liberté, le rapport entre le tableau de Gustave Courbet et la Cousine Assiba porte sur la relativité spatiotemporelle de l’esthétique. Par conséquent il renvoie aussi à la notion de conscience de soi sans laquelle la liberté est un vain mot, le vin d’une ivresse illusoire et trompeuse. De quoi s’agit-il ? Depuis quelque temps, dans les milieux de l’art on discute sérieusement sur l’état gravidique supposé de la femme de l’Origine du Monde. Thierry Savatier, un spécialiste du peintre, dans la 4ème édition de son ouvrage, L’Origine du Monde (Histoire d’un Tableau de Gustave Courbet, édition Bartillet) avance que la jeune femme serait enceinte. L’auteur pense avoir repéré sur le côté gauche de l'abdomen ce qu'il appelle une "boursouflure". Comme elle ne se voit que du côté gauche, il en déduit que ce ne peut être une simple "masse adipeuse" qui aurait été répartie de façon régulière et non dissymétrique. Aussi en conclut-il à la grossesse.
Philippe Dagen, dans un article au quotidien le Monde met en doute cette affirmation et en éclaire les raisons cachées. Voici l’argumentaire du journaliste :
Quelques remarques viennent à l'esprit. D'abord, il s'agit de peinture, et Courbet pourrait fort bien avoir pris plaisir à faire un peu "tourner" le volume en s'écartant d'une imitation littérale du modèle - à supposer qu'il y ait eu modèle, ce qui n'est pas établi. Ensuite, la "boursouflure" latérale est loin d'être avérée. Quant à sa dissymétrie, l'angle de vue ne permet pas d'en juger. Alors que se tenait, en 2007, au Grand Palais, la rétrospective Courbet, on avait entendu défendre avec vigueur une hypothèse au moins aussi convaincante : d'après l'état des seins de la dame, la situation serait précoïtale.
Autre objection : Thierry Savatiersuggère, lui-même, que la toile aurait pu être peinte à partir d'une photographie obscène, comme il s'en faisait et diffusait en grande quantité dans le Paris du Second Empire. Or ces images respectent les canons du charme féminin en usage à l'époque : rien de la minceur à la mode actuelle, mais des formes abondantes, des seins et des ventres que l'on tiendrait aujourd'hui pour bien trop lourds. Si le nu peint par Courbet n'est pas maigre, ce pourrait être pour cette simple raison, pour se conformer aux goûts masculins de son temps »
En fait, comme on le voit l’affirmation de l’état gravidique de la femme de l’Origine du Monde est d’une orientation idéologique indéniable. Elle vise à dénier la relativité spatiotemporelle du goût esthétique. Tout se passerait comme si la femme mince, fine, et grande a existé de tout temps comme canon de la beauté, sans doute au moins depuis Ève. Et donc pour justifier que sur une toile datant de 1866 et présentant la femme dans sa nudité représentative, toute boursouflure, tout signe de grosseur devrait être justifié comme accidentel, une atteinte provisoire à la forme naturelle de la femme idéale, surtout si elle prétend être l’origine du monde.
Voilà une discussion intéressante. Elle devrait nous déciller les yeux, et nous rendre plus libres de prendre nos distances vis-à-vis des normes esthétiques qu’on nous présente comme allant de soi, dans le seul but de nous assujettir, nous dominer. Et perpétuer ce faisant sous d’autres formes la récurrente exploitabilité au travers de laquelle le Blanc a toujours perçu le Noir, perçu et malheureusement traité.
ADANDOZAN Boniface
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