Mon Cher Pancrace,
Merci pour ton dernier courrier. Je vois que, comme tout le monde, tu es indigné par le meurtre de la Volontaire américaine du Peace Corps, et je partage ta tristesse et ton indignation. Les Béninois étant respectueux des étrangers, un tel acte, on l’imagine, ne peut être vécu qu’avec tristesse et colère. Mais au-delà des sentiments, tu as manifesté une claire volonté de savoir ; tu me demandes des éléments d’information sur la victime, et les circonstances du drame.
Il s’agit manifestement d’un acte crapuleux, comme cela peut hélas arriver partout : que ce soit dans un pays pauvre d’Afrique comme dans un pays occidental développé. Comme le dit Emile Durkheim, le crime, même et surtout crapuleux, est une chose normale dans toute société. Mais on ne peut pas non plus faire abstraction des situations objectives, c'est-à-dire sociales, susceptibles d’expliquer le meurtre ou son mobile. En dépit des airs furibonds que prennent certains proches du pouvoir lorsqu’on évoque la dimension sécuritaire de tels drames, il reste que le meurtre de cette jeune femme apparemment sans histoire relève bel et bien d’un problème de sécurité. La Volontaire Américaine n’était pas tombée d’une échelle en essayant de sauver une salamandre poursuivie par un rat géant. Elle a été victime d’un meurtre. Et en dépit qu’il en aie, un meurtre est à la charnière de problèmes sociaux et sécuritaires. Donc la discussion que tu as eue avec le sieur G., grand thuriféraire du régime actuel devant l’éternel, où tu as évoqué le lien avec la problématique sociétale de la sécurité dans notre pays me paraît fondée. Inutile de se laisser impressionner par les borborygmes douteux de ces Messieurs qui, sous prétexte de défendre la vertu offensée, montent d’autant plus vite sur leurs ergots qu’ils défendent leurs intérêts.
Kate travaillait pour Peace Corps au Bénin depuis juillet 2007. Elle est originaire de la Géorgie. Elle est née en Allemagne où ses parents étaient des enseignants détachés au département de la défense. A 7 ans elle s’est retrouvée à Okinawa avec ses parents dans le sud du Japon, où elle a fait sa scolarité jusqu’au Lycée, qu’elle a terminée avec brio. Elle est diplômée de la William & Mary College en Virginie.
Enfin, je dois te dire que Kate était une bloggeuse de talent. Il y a quelques mois, j’avais fréquenté son blog, dont le titre, Being in Benin : "trials and tribulations of a mud hut princess" montrait bien son caractère et sa sensibilité poétique.
Pour te faire sentir un peu ces qualités, voici un extrait d’un de ses nombreux posts, où Kate parlait de son expérience des bruits du Bénin :
« Je me suis rendu compte depuis quelque temps, que ce que j’apprends ici va bien au-delà de la langue et des coutumes locales. Je me familiarise aussi avec de nouveaux sons. Je sais maintenant le cri d'un poulet qu’on égorge, d’une chèvre qui met bas, d’un bébé quand il a faim. Je connais le son des répétitions tonales dans la langue locale que s’échangent deux amis qui se croisent en passant, le bruit du moulin provenant d’un lieu distant de deux maisons, et le bourdonnement d'un générateur de proximité, le bruit des souris et des lézards qui courent autour de mon plafond la nuit et le boucan du tonnerre qui s’ensuit lorsque l’un chasse l'autre (je suis toujours du côté du lézard), le son du marché en face qui suit son cours dans la nuit, le son guttural des bovins lorsqu’ils paissent devant chez moi, le faible claquement de langue du berger leur intimant des ordres ; geignement des chevreaux contre bêlement des chèvres, et je peux jurer qu’une chèvre semble toujours dire d'une voix grognonne et profonde "Baddddd!"; sans oublier tous les divers appels d’oiseau et d’insecte. J'apprends même à discerner la voix de chaque étudiant qui, en passant et me voyant préparer mon dîner à la lueur d’une bougie me lance au cœur de la nuit un vibrant "Bonsoir Madame Catherine!" »
Que te dire de plus sur Kate, cher ami ? Que sa disparition précoce est chose choquante qu’il faut que sa mort soit vite élucidée, et que le ou les coupables soient châtiés, afin que la confiance revienne dans les esprits, à commencer par ceux de nos partenaires au développement. Et Pour Kate quelques mots : Mays Your Soul Rest in Peace !
Je te remercie pour ta confiance. Et j’espère que ces quelques éléments d’information, glanés ici et là de façon sommaire, contribueront à étancher ta soif de savoir qui va de pair avec tes sentiments.
Amitiés
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
Cet aspect de la normalité du meurtre, c'est-à-dire in fine de son universalité a été évoqué dans la note. Et l’exemple de ce qui se passerait en Suisse ou au Pérou me paraît l'illustrer à nouveaux frais. Mais pour rebondir sur l’exemple suisse, les gendarmes suisses demandent-ils à un citoyen helvète qui est allé porter plainte de mettre de l’essence dans leurs engins avant d’aller attraper le voleur ? Sans doute non, mais hélas ce genre de choses a cours chez nous, au moment même où on nous bassine à longueur de temps avec le changement et les échangeurs. Quel que soit le drame qui l’illustre, le problème de la sécurité se pose et on ne saurait botter vite en touche son étiologie politique. Et cette étiologie est de source multiple. Le problème de la sécurité se pose en effet aussi dans l’état de délabrement de nos hôpitaux, dans la mesure où ce lieu qui devait être un lieu de soin et d’accueil est devenu pour nombre de nos concitoyens un mouroir. Et nous préférons volontiers accueillir des bateau-hôpitaux humanitaires sur nos côtes, pendant que nous sommes occupés à faire la pub pour des ponts et des échangeurs plutôt que de hiérarchiser nos priorités socioéconomiques, plutôt que de prendre nos responsabilités en faveur du peuple. Plutôt que de donner du pain au peuple, nous préférons lui donner du rêve et des jeux... Et c’est ce procédé qui date du temps de Néron que l'on appelle " Changement" sous Yayi Boni... Quand on en arrive à ces points cruciaux et hautement discriminants, alors toute comparaison ou tentative d’universalisation de nos problèmes relève d’un tour de passe-passe. La dimension politique entre fatalement en jeu. Et on ne peut pas user indéfiniment de l’argument de l’ancienneté des phénomènes pour ne pas répondre de ses responsabilités. Qu’est-ce qu’il y avait à changer dans notre pauvre pays si ce n’étaient ces choses-là ? Eviter que nos vendeurs de Dantokpa ne soient assaillies, tuées ou pillées tous les petits matins par quelques malfrats venus au large ; éviter que ne se commettent des meurtres sur nos routes nationales, dans nos villes et nos villages, car malgré l’universalité de tels crimes, certains sont évitables. Que voulez-vous qu’il arrivât dans un pays où, du Président de la République au petit maire de commune en passant par les députés, et autres présidents de sociétés, tout le monde essaie – et pour le coup, la Suisse peut être ramené dans le propos – de posséder un compte secret dans les paradis bancaires où l’on entasse sans retenue le fruit de rapines devenues l’activité principale de nos dirigeants ? Que voulez-vous que fît l’homme ordinaire qui voient les hommes politiques piller les ressources du pays ? A part voler lui aussi et tuer le cas échéant... Personnellement, je n’ai à m’atteler à rien dans ce domaine, chacun son travail : il y a un mec qui a été élu pour changer ces choses, c’est à lui d’en répondre, à lui de le faire. Moi j’essaie seulement de constater ; et c’est déjà beaucoup !
Rédigé par : B. A. | 16 mars 2009 à 18:02
Tout béninois est profondement peiné par la mort de cette jeune femme éprise de partage et de générosité.
Le problème de la sécurité ne date pas de l'ère du changement. Il n'est pas non plus la tare exclusive du Bénin. Dans un pays de haut niveau sécuritaire comme la Suisse, l'on juge actuellement un jeune pour le meurtre d'une jeune fille du nom de Lucie. Certes il faut empoigner le problème sécuritaire plus vigoureusement et le résoudre plus efficacement partout où cela se pose. Attelons nous y plus conscieusement pour honorer la mémoire des victimes.
Rédigé par : Thomas coffi | 16 mars 2009 à 10:55