Par DESMOND TUTU
L'attente de la délivrance d'un mandat d'arrêt contre le président Omar Hassan al-Bashir du Soudan par la Cour pénale internationale place les dirigeants africains en face d’un choix - sont-ils du côté de la justice ou du côté de l'injustice? Sont-ils du côté de la victime ou du côté de l'oppresseur? Le choix est clair, mais à ce jour la réponse de nombreux dirigeants africains n’a été rien moins que honteux.
Parce que les victimes au Soudan sont des Africains, les dirigeants africains devraient être les ardents partisans de l'action menée pour voir les coupables traduits en justice. Pourtant, plutôt que derrière ceux qui souffrent au Darfour, jusqu'à présent les dirigeants africains se sont ralliés derrière celui qui a transformé ce coin d'Afrique en un cimetière.
En réponse à la nouvelle faisant état en Juillet dernier de la volonté de Luis Moreno-Ocampo, le procureur en chef du tribunal, de lancer un mandat d'arrêt contre le président Béchir pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, l'Union africaine a publié un communiqué du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies demandant la suspension de la procédure devant la Cour. Plutôt que de condamner le génocide au Darfour, l'organisation a choisi de souligner sa préoccupation que les dirigeants africains sont injustement montrés du doigt et de soutenir les efforts du Président Bashir pour retarder les procédures judiciaires à son encontre
Plus récemment, le Groupe des 77, une influente organisation de l’ONU composée de 130 États en développement et dont sont membres presque tous les pays d'Afrique, porta le Soudan à sa tête. Cette victoire fut obtenue après que les membres africains eurent approuvé la candidature du Soudan, en dépit de l'imminence des accusations criminelles contre son président.
Je regrette que les accusations contre le président Béchir soient utilisés pour attiser le sentiment que le système de justice - et, en particulier, le tribunal international - est un parti pris contre l'Afrique. La justice est dans l'intérêt des victimes et les victimes de ces crimes sont des Africains. Prétendre que la procédure d'accusation est un complot de l'Occident est humiliant pour les Africains et sous-estime l'engagement pour la justice partie qui fait tâche d’huile sur le continent.
Faut-il rappeler que plus de 20 pays africains ont été parmi les fondateurs de la Cour pénale internationale, et que des 108 pays qui ont adhéré à la cour, 30 sont africains. Que les quatre enquêtes en cours à ce jour soient tous en Afrique n'est pas le fait de procédures basées sur des préjugés – mais plutôt parce que trois des pays impliqués (République centrafricaine, Congo et Ouganda), ont eux-mêmes requis l’intervention du procureur. Seul le cas du Darfour a été déféré au Procureur par le Conseil de sécurité. Le procureur de sa propre initiative, examine les enquêtes en Afghanistan, en Colombie et en Géorgie.
Les dirigeants africains font valoir que l'action de la Cour ne fera qu’entraver les efforts visant à promouvoir la paix au Darfour. Toutefois, il ne peut y avoir de paix véritable et de sécurité tant que les gens au Darfour ne jouissent pas de la justice. Il n'y aura pas de paix parce que justement il n'y a pas eu de justice. Aussi pénible et gênante que puisse être l’administration de la justice, nous avons vu que l'alternative – par laquelle la responsabilité est mise de côté - est encore pire.
La délivrance d'un mandat d'arrêt contre le Président Bashir serait un moment extraordinaire pour le peuple du Soudan - et pour ceux du monde entier qui en sont venus à douter que les puissants et les gouvernements peuvent être appelés à rendre des comptes pour les actes inhumains qu’ils ont commis. Les dirigeants africains devraient soutenir cette occasion historique, au lieu d’œuvrer pour la faire échouer
Desmond Tutu, l'ancien archevêque anglican du Cap, a reçu le prix Nobel de la paix en 1984. (image Brian Stauffer /Copyright 2009 NYT )
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
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