La Fiction Médiatique de l’Homologie
La communication du Changement n’hésite pas à jouer à fond sur la suggestion frauduleuse d’une homologie parfaite qui existerait entre Sarkozy et Yayi Boni. Avant d’être Président, Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, soucieux de se donner une carrure d’homme d’Etat, avait fait un voyage africain qui le conduisit à Cotonou. Il fut accueilli alors par Yayi Boni, Président béninois fraîchement élu à une écrasante majorité de 75%. On imagine que le candidat à l’élection présidentiel française avait échangé avec son hôte sur le secret d’un tel plébiscite, et que celui-ci n’a pas été avare de conseils et de tuyaux. Peut-être en tant qu’originaire du pays du Vodou, lui avait-il donné la formule magique du charme qui le porta triomphalement au pouvoir. En tout cas, c’est à partir de cette réception controversée du futur Président français au Bénin, – Ministre de l’intérieur et repreneur légataire des idées de Lepen – que data la mystification de la suggestion d’homologie entre les deux hommes.
Sur le plan personnel, cette homologie ne manque pas d’éléments. On peut citer le fait que les deux hommes appartiennent à la même génération. Il y a aussi le fait qu’ils ont un besoin narcissique de hanter les médias et sacrifient selon leurs critères culturels respectifs à un certain degré de culte de la personnalité...
Mais jusqu’à tant que Sarkozy n’accède à l’Elysée l’homologie était seulement une image muette démunie de sens. Elle se fondait sur le simple complexe du Noir vis-à-vis du Blanc, de l’ex-colonisé vis-à-vis de l’ex-colonisateur. Le fait que quel que soit l’écrasante majorité des consciences politiques et morales africaines en désaccord avec la personnalité et les idées de Sarkozy, ce qui comptait pour le Président béninois était qu’il fût en odeur de sainteté avec un grand Blanc, petit certes par la taille et les idées mais grand par son pays. Et cette grandeur, seule suffisait à faire l’honneur du Président d’un petit pays pauvre et dominé comme le Bénin. Ces accointances qui furent consolidées et prolongés par le choix du Bénin comme un des pionniers de la politique d’immigration choisie allaient définitivement, et en dépit du bon sens, faire perdre la tête à la partie béninoise à commencer par son chef, qui n’hésitait pas à se penser à tu et à toi avec le nouveau Napoléon Français.
A partir de là, il s’est agi pour la communication du Changement – un régime terriblement friand de manipulation et de tromperie médiatique – d’exploiter méthodiquement chaque événement ou chaque fait qui peut donner sens au discours fantaisiste de l’homologie entre les deux hommes. Montrer que Yayi Boni est un grand homme dans la mesure où il fait les mêmes choses que le Grand Sarkozy (pardonnez du peu) de la Grande France !
Les médias sont les promoteurs, les colporteurs et la courroie de transmission de l’homologie. C’est eux qui inventent au quotidien, nourrissent et entretiennent cette construction qui est d’abord et avant tout un artefact tributaire de notre sujétion symbolique. Sujétion héritée de l’histoire et qui se perpétue dans le présent. Sinon pourquoi ne sommes-nous pas un tant soi peu réalistes dans le choix de ceux que nous comparons à notre Chef de l’Etat. Après tout il serait bien plus cohérent et réaliste de comparer Yayi Boni à ses homologues Togolais ou Burkinabè par exemple. Mais ceux-ci n’ont aucun intérêt, par rapport à la surestimation de soi et l’automystification qui sont engagées dans la démarche mimétique et le choix de son objet. Comparer un nain à un géant voilà qui nous grandit. D’ailleurs l’attitude irresponsable des Africains a toujours consisté à entrer dans le jeu des apparences formelles établies dans le monde politiquement correct de la diplomatie internationale, dans la mesure où celle-ci voile les vraies différences et les grands écarts qui les séparent des autres. Et puis du fait que par la domination symbolique de la langue, la dépendance politique héritée du passé, l’infériorité et la fragilité économiques qui en découlent, les pays Africains sont tous tournés vers leurs anciennes puissances coloniales. Toutes les représentations sont ainsi médiatisées par ces réalités extérieures et leurs acteurs qui s’imposent à nous. Donc Yayi Boni n’a rien à voir avec Faure Gnassingbé, ni Blaise Compaoré mais avec Sarkozy.
Une fois la cible de l’homologie choisie, les médias font le reste. Tout le monde y trouve son compte ; les médias qui font référence au Chef d’Etat d’un grand pays d’Occident ont le sentiment d’être au cœur de l’événement, de la réalité du monde : ils s’adonnent volontiers au rêve des grandeurs, échappent par là à leur misère réelle par procuration onirique, le temps d’une construction pseudo-intellectuelle, d’un bavardage gratuit qui leur donne l’impression de se coltiner à quelque chose de valable. L’homme politique qui est objet de ces ratiocinations est, dans son rôle, sur la même longueur d’onde que le griot qui le fait rêver : il n’est plus Président d’un pauvre pays du tiers-monde avec toutes ces misères terribles qui nous collent à la peau et nous étouffent, ces difficultés monstres dans lesquelles le pays réel se débat, mais il est tout simplement Président, comme Sarkozy, Obama et consorts, ses homologues, certifiés conformes sous le label international des Nations-Unies.
Dans le cas spécifique de la propagande de Yayi Boni pudiquement baptisée « propagande du changement », ce filon de la comparaison avec Sarkozy ou la France a été utilisé avec astuce. L’utilisation a connu ses moments fastes et plus discrets. Sarkozy n’ayant pas bonne presse en Afrique noire, il sied de prendre dans son image ce qui peut l’être tout en manipulant avec des pincettes ce qui l’est moins. Le jeu vise essentiellement à mettre Yayi Boni sur un piédestal de façon que son nanisme intrinsèque fasse illusion auprès du gigantisme du président français. Ce genre d’artefact est censé assurer la promotion de son image. D’un point de vue de la psychologie des complexes, le seul fait de comparer un Noir à un Blanc, n’est-ce pas déjà le rehausser ? Alors, avec une certaine complaisance, des écrivaillions souvent stipendiés ou en quête de prébende s’en donnent à cœur joie de dérouler les tableaux de cette juxtaposition des homologues. Tous les thèmes de l’action politique y passent. Parfois on donne l’impression que les deux hommes, comme s’ils émargeaient au même parti, se seraient concertés pour mener le même type de politique. C’est le mode de comparaison qu’on peut qualifier de non-hiérarchisé : les deux hommes sont sur la même longueur d’onde, et le même pied d’égalité. Ensuite vient le mode dissymétrique où le géant imite le nain ou le nain imite le géant. Dans tous les cas, côté béninois on a des motifs d’en tirer fierté. D’ailleurs, et c’est là l’une des particularités de ce genre d’artefact médiatique, le discours de l’homologie en tant que construction médiatique n’émane que d’un seul côté. Les Français dans leur large majorité ne connaissent pas le Président Béninois, mais les Béninois par la force des choses connaissent le nom du Président Français. Dans ce cas parler même d’homologie est déjà un abus de langage. Mais nos spécialistes en comparaison ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Au contraire, saisissant les thèmes de l’actualité au vol, ils se lancent au quotidien dans des fabrications alchimiques douteuses, refont le monde à leur façon, en apportant leur pierre à un édifice de dénégation de la réalité, dans la construction duquel tout le monde – constructeur et édifice – trouve son compte. Tous les thèmes y passent au gré de l’imagination de ceux qui les soulèvent comme des lièvres. Le thème du changement est-il évoqué ? A l’instar de Yayi Boni on nous fait comprendre que Sarkozy s’est fait élire sur la promesse de changement. Là-dessus Chirac est pour l’un ce que Kérékou serait pour l’autre. Sarkozy délocalise-t-il le conseil des Ministres à Strasbourg ? Eh bien il le fait en imitation de Yayi Boni qui a délocalisé son conseil à Porto-Novo. Le parallèle de l’hyper-présidence, du président infatigable qui est sur tous les coups a longtemps défrayé la chronique. Le vice de la transhumance encouragé subtilement par Yayi est comparé sans crier gare au thème sarkozien de l’ouverture et du débauchage de ténors socialistes médiatiquement bien côtés. Certains de ces romanciers audacieux pour pousser la vérisimilarité de leur parallèle jusqu’à son terme ultime n’hésitent pas à tremper leur plume dans l’encre noire des défauts des deux hommes. Ainsi, l’obsession des médias – appelée communication ou propagande du changement – leur caractère autoritaire, le peu de cas qu’ils ont tendance à faire du strict respect de la loi, les actions mal mûries, leur goût des improvisations, l’habitude des effets d’annonce, la dérive autoritaire, un certain penchant à la brutalité ou à la provocation sont considérés comme autant de traits négatifs partagés par les deux hommes. Enfin Sarkozy a-t-il modifié la constitution en France ? Eh bien toute initiative prise dans le même sens au Bénin par Yayi Boni est perçue comme la traduction de cette imitation de l’un par l’autre. Tout ça pour entretenir les Béninois dans l’illusion que Yayi Boni et Sarkozy, sont des alter egos. Or quand on regarde la réalité des éléments mis en parallèle, on s’aperçoit que la comparaison ne tient pas souvent la route. Par exemple si on considère le culte de soi propre aux deux hommes, qui les pousserait à avoir un faible pour les médias, on se rend compte que si Yayi Boni aime à se faire appeler « Docteur » ou à apparaître comme un génie, tel n’est pas le cas de Sarkozy, qui se moque comme d’une guigne de l’excellence académique. De même le rapport à la mise à nu de la vie intime n’est pas le même chez les deux hommes. Yayi Boni a déjà fait envoyer en prison plus d’un journaliste accusé d’avoir parlé indument de tel ou tel membre de sa famille alors que Sarkozy ne dédaigne pas exposer sa vie familiale, y compris dans ses aspects les moins agréables. Il s’agit-là de différences psychologiques non-négligeables et qui dès lors rendent sujette à caution toute recherche d’homologie.
Mais comme nous le savons, dans cette affaire, les médias à l’instar de Yayi Boni et son système ont besoin de cet artefact du parallèlisme entre le nain et le géant, le chef d’un pays pauvre et dominé d’Afrique et celui d’un grand pays riche d’Occident.
Et comme cela arrive dans toute fiction, celle-ci finit par avoir un effet sur la réalité elle-même. Le système prend le jeu au premier degré et le joue dans le but délibéré d’en tirer des bénéfices politiques et médiatiques. La structure devient structurante.
Ainsi peut s’expliquer la nomination de Ministres de la société civile dans les gouvernements de Yayi Boni. Celle de Roger Gbégnonvi, Président de Transparency-Bénin semble bien faire écho à celle de Fadela Amara, la présidente de l’Association « Ni putes ni soumises. » Alors que jusque-là et en dépit de la tentation populiste, Yayi Boni évitait d’affronter les critiques sur la collusion avec la Société civile, la possibilité qu’en France un membre de la Société civile soit nommé au Gouvernement a fait sauter les verrous de la prudence, en même temps qu’elle offre l’occasion d’un clin d’œil sur la théorie implicite de l’homologie. Mieux encore, après le premier coup d’audace, fort de la jurisprudence Sarkozy, Yayi Boni nomme une jeune femme au Gouvernement – sans doute la plus jeune Ministre que le Bénin ait jamais eue – Et comment ne saurait-on faire le rapprochement avec la nomination en France de la jeune Rama Yade comme Secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme ? Certes la comparaison entre les deux jeunes femmes ne se limite pas au niveau de leur médiocrité relative, qui dans le cas français saute aux yeux mais plutôt au niveau de l’aspect cosmétique de midinette politique censé faire bander les imbéciles ou rêver les demeurés. Pas moins au niveau de la connivence sexuelle dont les rumeurs les plus tenaces gratifient la partie béninoise alors que la chose n’est pas pensable côté français. Etait-ce même pour faire diversion à ces rumeurs que la Ministre Béninoise, aussitôt en poste s’improvise écrivaine et pond un livre, qu’il faut nécessairement éditer à Paris alors que les éditeurs ne manquent pas au Bénin, et en lancer la promotion à partir du pays de Sarkozy ? Et comme par un hasard du calendrier, c’est ce moment de la promotion du livre destiné selon toute vraisemblance à exorciser les rumeurs salaces que choisit la Ministre française pour se faire l’hôte de son homologue et auteure béninoise... Echange de bons préocédés. En effet, quoi de mieux qu’un livre pour s’élever de la tourbière infecte des rumeurs vers le ciel pur de la pensée ; et quoi de mieux qu’une homologue pour en appuyer en douce la promotion ?
Tenons-nous le pour dit : il n’y a pas plus d’homologie entre l’Aéroport Cardinal Bernardin Gantin de Cadjehoun et l’Aéroport de Roissy Charles de Gaule qu’il n’y en a entre Yayi Boni et Nicolas Sarkozy. Le discours de l’homologie est un artefact, une fiction structurée et structurante. Les hommes de médias souvent stipendiés le colportent et les politiques l’utilisent. Dans cette affaire, il n'y a pas de doute, on veut nous faire oublier qu'on baise. Mais au fond, qui baise qui ? ...
Aminou Balogoun
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