La Page oubliée, une œuvre en acte
Dans son roman, La page oubliée, Francis D. Sossouhounto projette une lueur inédite sur un aspect du passé récent du Bénin jusque-là très peu éclairé. Aujourd’hui en effet, le Bénin, jouit d’un régime démocratique marqué par un niveau assez convenable du respect des Droits de l’homme, des libertés publiques et de la liberté d’expression. Mais avons-nous en mémoire ce qu’il en a coûté d’être ainsi loti aujourd’hui ? Est-ce que les jeunes ont une idée claire des sacrifices consentis par leurs aînés pour la liberté et la paix qui semblent aujourd’hui aller de soi ? Au vu des risques de retour en arrière que nous observons ces temps-ci, rien n’est moins sûr. C’est dire qu’une page de notre histoire politique a été oubliée, mise de côté sinon dans l’ombre. Et pourtant cette page n’est pas négligeable, parce que sans elle nous ne pouvons rien comprendre au présent et rien préparer pour l’avenir. Après l’échec de l’aventure révolutionnaire, il y a eu le Renouveau. Cette nouvelle période dans laquelle nous sommes actuellement est certes le fait de la résistance du peuple contre la tyrannie. Mais parce que cette résistance et les luttes auxquelles elle a donné lieu se sont inscrites dans une logique suprême de paix, le Renouveau Démocratique à tôt fait de passer la mémoire des exactions et des violences d’Etat en pertes et profits de ses urgences du moment : redresser l’économie du pays ruinée par la gabegie, la corruption, et la mauvaise gestion des apprentis sorciers de la Révolution. Ce choix est certes compréhensible mais elle se paie du risque de l’impunité et de l’oubli. Il ressemble à une manière de feu vert au mal et à l’injustice, et consacre ce faisant la raison des malfaiteurs et des barbares – autocrates sanguinaires, potentats lubriques, pilleurs de l’économie, prévaricateurs en diable, maîtres de sérail, et voleurs sans vergogne. Le Renouveau Démocratique est certes intervenu en 1990, et le concept sud-africain de Vérité et Réconciliation viendra un eu plus tard après la libération de Nelson Mandela et le démantèlement de l’Apartheid ; mais que diable n’avions-nous eu avant les autres l’idée d’une Commission Vérité et Réconciliation après toute cette sombre période de violence et d’injustice ? Assurément une telle idée nous airait sauvé de l’oubli et des ses injustices.
Dans sa préface, Séraphin AGBAHOUNGBATA nous rappelle les risques et les écueils de l’oubli. Selon lui, « l’oubli est l'humus fertile qui fait refleurir l'horreur et l'ignominieux, le parapluie qui protège le tortionnaire des peines correctrices qu'exige sa forfaiture. L'oubli est le gage de l'impunité, laquelle permet la répétition du crime. » Heureusement, par son œuvre Francis D. Sossouhounto nous préserve de ces écueils. La page oubliée est rouverte. Elle est devenue un livre admirablement écrit, un roman mené de main de maître par un écrivain talentueux dont la sensibilité nous touche au plus profond de nous. Il véhicule en un seul geste la profondeur de la souffrance, la force de l’amour et la nécessité d’un oubli sain, c’est-à-dire un oubli en pleine lumière de la mémoire.
Le Roman met en scène un couple que tout unit mais que les perversités du système politique ambiant conduiront à la haine, la trahison et la séparation. « Malgré la puissance du pouvoir, l'opulence et les charmes de Marie-Ange, Léonce n'a pas oublié ses années de prison, de torture, d'exil et de privation » Malgré son emprise romanesque indéniable, La page oubliée a une empreinte de témoignage vivant. Témoignage authentique sur la cruauté et la barbarie dont est capable l'autocratie basée sur le système du Parti-Etat animé et dirigé par des bourreaux prétendument marxistes. Comme le dit le préfacier, « ces bourreaux transforment les rues en guet-apens, les domiciles en antichambres des prisons et les prisons en abattoirs pour les fils du peuple. »
Toutefois dans La Page oubliée la fiction l’emporte sur l’intention de témoignage. En effet, dans sa démarche d’exposition, l’auteur privilégie une méthode intensive plus propre au roman à une méthode extensive qui sied mieux au témoignage... Et par certains côtés l’acharnement du sort et la récurrence de la fatalité sur les seuls personnages principaux, s’ils nous insèrent de plain pied dans l’univers de la fiction romanesque nous éloigne de la richesse du témoignage.
Quoi qu’il en soit n’oublions pas La Page oubliée. Le geste est salutaire, l’intention pertinente. La page oubliée est poignante par le vécu que l’auteur nous y livre avec talent ; il s’agit d’une œuvre en acte qui dit ce qu’elle fait, c’est-à-dire en somme ce qu’il ne faut pas faire...
Quelques Pages de La Page oubliée
« Dans le pays actuellement, beaucoup de choses avaient commencé par changer. La société était en pleine mutation. Le peuple longtemps brimé, spolié, trahi, commençait à bouder le Bien-Aimé-Camarade-Président. La Révolution perdait pied, malgré la répression. Plus personne n'avait peur de bruits de bottes et des ceinturons. Le pays était en effervescence. Un seul mot était sur toutes les lèvres : Liberté. Les manifestations étaient nombreuses. Les fils du pays en avaient assez de ce régime policier. Tous les discours officiels étaient vains. L'université les lycées, les collèges et les écoles avaient fermé leurs portes pour protester contre l'autocratie le pillage de l'économie, la banqueroute. Les réunions extraordinaires du Comité Central du Parti se succédaient à un rythme accéléré. Les communiqués officiels invitaient le peuple à reprendre le travail. Rien n'y fit. Que s'était-il passé pour que, d'un seul coup, le bel équilibre, la forteresse édifiée contre les « ennemis du peuple » vienne à s'écrouler ? Les lézardes étaient béantes et ne dataient pas d'hier.
L'opposition s'organisait, les syndicats réclamaient huit mois d'arriérés de salaires. Les étudiants, dix mois de bourses. L'émeute était totale. Les rues s'étaient transformées en champ de bataille. Les voitures flambaient. Les vitres des bâtiments administratifs et des villas de quelques privilégiés éclataient en mille morceaux sous les pierres jetées par des mains rageuses. La brigade anti-émeute, les casques étincelants, le bouclier dans une main, le fusil dans l'autre, s'évertuait à arrêter les manifestants. Excédés, certains agents lançaient des gaz lacrymogènes pour disperser la foule enragée. Plusieurs manifestants étaient molestés, arrêtés ; d'autres tombaient sous les coups des crosses des fusils.
A cette crise sociale tendue s'ajoutait l'insécurité, les vols à main armée, les vols à l'arraché, les rapines. Le Président du Comité Central, Chef Suprême de l'Etat, tentait de calmer le jeu. Il invita l'opposition au dialogue, procéda à plusieurs remaniements ministériels, releva certains barons corrompus du Parti de-leurs postes et proposa de nouvelles réformes. Le peuple était demeuré sourd à l'appel. Le soulèvement populaire gagnait toujours du terrain.
La contrebande organisée amenuisait les recettes de l'Etat. C'était l'asphyxie économique. Les intellectuels et les chefs des partis clandestins, la tête pleine de théories, martelaient le peuple de discours enflammés. Ils parlaient tous de liberté, de démocratie, d'alternance au pouvoir, enfin, de tout ce qu'ils trouvaient de malveillants pour inciter les opprimés à renverser le tyran.
Contraint par la rue, le Bien-Aimé-Camarade-Président prit une décision d'amnistie générale. Les détenus politiques étaient libérés et promesse fut faite de démocratiser le pouvoir. Le Parti Révolutionnaire pour l'Instauration d'une Société Nouvelle (P.R.I. S.O.N) miné de l'intérieur par les luttes d'influence entre modérés et radicaux avait perdu tout crédit et autorité. Le Comité Central réuni en session extraordinaire décida de restituer aux anciens propriétaires les biens meubles et immeubles saisis par le Parti. Les exilés politiques étaient aussi amnistiés et invités à rentrer au pays pour participer à sa reconstruction.
Tout cela était impensable quelques mois auparavant. Un monde s'écroulait avec ses certitudes idéologiques et ses fastes révolutionnaires.
La chasse aux sorcières menaçait. Le peuple exigeait qu'on fasse rendre gorge à tous les barons du Parti et à tous ceux qui ont pillé les ressources du pays. Le Camarade Président qui tenait coûte que coûte à sauver son fauteuil signa un décret instaurant le multipartisme intégral et dépouillant le Parti-Etat de toutes ses prérogatives. La liberté de presse était acquise. Les journaux privés foisonnaient. Une commission nationale des Droits de l'Homme était installée. Dans les grandes capitales de l'Occident, la diaspora s'organisait pour rentrer au pays en vue de participer au partage du pouvoir. Oui, le pouvoir... Quelle ivresse ! La Révolution des révolutionnaires était finie. Celle du peuple soumis à plusieurs années de dictature féroce commençait. Mais les blessures étaient là, profondes, indélébiles.
Le Bien-Aimé-Camarade-Président de la République qui n'était pas au bout de ses efforts appelait maintenant tous les leaders politiques et le peuple au pardon et à la réconciliation nationale. Mais pouvait-on oublier si facilement ce que l'on a vécu dans les camps de répression des révolutionnaires ? Celui qui fait le mal l'oublie vite, mais celui qui le subit, jamais.
Certains extrémistes de l'opposition exigeaient même des poursuites judiciaires à l'encontre des tortionnaires et de leurs commanditaires, la vérification des biens et de la gestion de tous les barons du régime. D'autres spoliés réclamaient des réparations matérielles.
Le Président excédé par tant de revendications était obligé de lâcher du lest. Le grand lion avait perdu ses puissantes mâchoires et ses griffes. Il était devenu un simple agneau au milieu d'une jungle hostile. L'échec de la Révolution était patent. Le socialisme scientifique basé sur le marxisme-léninisme n'avait pas comblé les espoirs. Les assiettes du peuple étaient restées désespérément vides. Le verbe facile des idéologues du Parti sonnait creux dans les estomacs avides de bien-être. Le pouvoir, inéluctablement, s'échappait des mains des marxistes.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
ISBN 99919-981-0-1 Dépôt légal N° 1914 du 03/05/2002 Edition visiblement à compte d'auteur ( aucune mention d'éditeur ni d'imprimeur)
Roman qui évoque les aspects sombres de la période de la Révolution marxiste léniniste au Bénin. La page oubliée attirant l'attention sur le fait que l'histoire d'une société doit embrasser dans le temps et l'espace tous ses aspects sans laisser les plus embarrasants dans l'ombre. Une belle histoire d'amour aussi, qui pose le problème du rôle de la femme dans le couple moderne
Rédigé par : B.A | 28 octobre 2010 à 18:45
Je veux svp la date d'édition;la maison d'édition et une explication du titre du roman la page oubliée de francis désiré Sossouhounto.
Rédigé par : madjer degbey | 28 octobre 2010 à 18:31