Par Théophile Nouatin
Récemment la presse béninoise a fait écho de découvertes de minerais entre autres le coltan dénommé « l’or gris » qui participe à la fabrication d’utilitaires technologiques et surtout des gisements de pétrole au large de nos côtes. Certes, il faudrait encore attendre l’évaluation de la rentabilité d’une éventuelle exploitation de ces ressources potentielles surtout si l’on sait que les coûts d’extraction et d’exploitation ne cesseront d’augmenter.
Dans un tel contexte, la responsabilité pratique nous recommande de nous garder de pavoiser sur les apports des ressources du sous-sol mais d’accélérer les mesures en vue de promouvoir des économies plus inventives, plus créatrices de valeur ajoutée. L’humanité atteint la limite où les ressources fossiles peuvent demeurer les bases sur lesquelles s’appuient la croissance économique et la prospérité. D’ailleurs l'observation de l'histoire et de l'actualité économiques nous montre qu'une prospérité durable n'a pu se fonder nulle part sur la seule exportation de ressources naturelles brutes. L'exemple de pays comme la Suisse et le Japon qui ont pu construire des économies performantes et compétitives sans pour autant être dotés de richesses naturelles nous en apporte la preuve. Par contre la République Démocratique du Congo gâtée par la nature en ressources minérales, a un niveau de vie moyen par habitant qui compte parmi les plus bas de la planète. Aucun hôpital digne de ce nom n'y a été construit en un demi-siècle. Plus près du Bénin, le grand voisin malgré les énormes revenus tirés de l’extraction de l’or noir n’a pas pu créer une prospérité partagée pour l’ensemble de sa population. Les raisons de cet état de fait paradoxal sont connues : une corruption endémique ajoutée au pervertissement des agents économiques qui dans le contexte de facilité induit par la disponibilité à profusion de l’or noir, pompent le système sans contribuer à sa richesse. Ce qui faisait écrire à l’économiste américain Sayre P. Schatz depuis 1977 « L’économie ne peut pas éternellement absorber l’inefficacité et les activités exploitatrices de capitalistes-bourdons (parasites) qui simplement s’engraissent de la richesse nationale existante sans en faire beaucoup pour accroître cette richesse …(Nigeria Capitalism, Berkeley, 1978)»
Le cinéaste Nigérian Ola Balogoun posait en substance la même question il y a déjà une quinzaine d’années dans le journal Jeune Afrique « A quoi sert-il de vider le sous-sol du pétrole pour importer des produits alimentaires (œufs, huiles végétales, conserves etc..) que l’on peut produire sur place et des voitures de luxe qu’on a tôt fait de défoncer sur des pistes et des routes en mauvais état ? »
Ces distorsions communes à maints pays africains exportateurs de ressources minérales amènent à affirmer que le pétrole constitue bien souvent un facteur de non-développement voire de régression socio-économique. Baser une politique économique principalement sur la commercialisation de ressources fossiles brutes, c’est se mettre dans une situation pire que celle d'un homme qui vivrait de la vente de son sang. L'analogie exacte serait celle d'un homme qui vivrait du commerce de ses organes car si le vendeur de sang peut compter sur la régénération rapide de son sang en s'alimentant, tel n'est pas le cas pour les matières premières qui sont par essence non renouvelables. Mais la dimension des temps géologiques qu'il a fallu pour la constitution de ces ressources échappe à l'entendement des mortels que nous sommes et n'interpelle nullement les politiciens dont la vision à long terme va rarement au-delà des échéances électorales. Les ressources diminuent, s'épuisent inexorablement sans qu'on obtienne en contrepartie un progrès durable. C’est ni plus, ni moins du gaspillage, une trahison à l'égard des générations futures.
Nous nous devons de prendre exemple sur les dragons asiatiques. En développant des secteurs d'exportation à forte valeur ajoutée, beaucoup de pays asiatiques se donnent les moyens de diminuer progressivement la part de ressources naturelles brutes qu'ils commercialisent. C'est ainsi que l'Indonésie qui a beaucoup mis la nature et son sous-sol à contribution dans l'effort d'industrialisation a par la suite procédé à la diminution de ses quotas d'exportation de produits pétroliers avant d’être frappé par la récession qui a ébranlé les pays du Sud-est asiatique il y a quelques années. Si au cours du quart de siècle qui a suivi les indépendances, les pays africains avaient su mettre à profit de façon stratégique l'atout que constituent les ressources naturelles dont plusieurs d'entre eux regorgent, ils seraient devenus des partenaires économiques respectables au niveau mondial. Leur prospérité aurait rejailli sur les voisins moins dotés de leur sous région et beaucoup de pays ne se retrouveraient pas aujourd’hui dans la situation de devoir courir après l’aide internationale pour tenir la tête hors de l’eau.
Avec ou sans pétrole – le problème est le même à l’échelle des réserves et des énormes besoins -, nous n’avons d’autre choix que celui d’engager la production de valeur ajoutée. Bill Gates, l’un des hommes parmi les plus riches du monde a construit son empire sur le logiciel, exemple typique de mise à contribution du savoir et de l’énergie cérébrale pour créer de la richesse et disons-le de la puissance, une puissance d’envergure planétaire. A côté d’exportations de moindres valeurs ajoutées comme les spatules en bois, l’Inde tire d’importantes ressources des solutions et des prestations de service en informatique. Les modèles de réussites à promouvoir auprès des générations montantes ne doivent plus se limiter à ceux du ministre, de l’homme politique, du fonctionnaire. L’entrepreneur agricole, l’industriel, le producteur, le créateur qui alimente les besoins intérieurs et exporte sur les marchés internationaux doit être mis en avant comme figure exemplaire pour la jeunesse. Cela appelle une éducation qui remodèle les mentalités, donne la primauté aux capacités créatrices et confère l’aptitude à actualiser tout le long de la vie les connaissances individuelles. L’état quasi inexistant ou embryonnaire des appareils de production nationaux rend difficile l’amorce d’une pénétration des grands marchés internationaux qui sont du reste de plus en plus saturés et soumis à une concurrence féroce. Mais des avancées substantielles peuvent être amorcées et beaucoup d'économies de ressources sont globalement réalisables s'il s'opère enfin un passage du discours à l'acte par l'intégration des grands ensembles sous-régionaux (CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest),CEPGL(Communauté Economique des Etats des Pays des Grands Lacs)...etc). Les échanges commerciaux entre pays du même espace économique permettraient de réduire les flux financiers drainés vers l'extérieur. La Côte-d'Ivoire importerait plus facilement de la viande de boeuf du Niger plutôt que d'Argentine. En échange, le bois ivoirien pourrait servir à construire des habitats améliorés et durables pour les ruraux nigériens. Ce sont là des éléments de progrès. L'équilibre global de la balance commerciale des ensembles ainsi constitués se trouverait amélioré. Des ressources pourraient alors être dégagées afin de mettre en place les infrastructures de communication transnationales permettant d'intensifier les échanges. La dépendance des économies à l'égard de l'exportation de ressources brutes serait diminuée de même que leur vulnérabilité aux fluctuations des cours des matières premières sur les marchés internationaux. Le sang du continent servirait alors à mieux l'irriguer. La récente surchauffe sur les marchés pétroliers révèle bien que l'Afrique détient encore pendant un laps de temps des atouts qu'il urge d’utiliser à bon escient pour sortir de la situation de continent de troisième classe. Nul ne peut vivre de façon saine et décente sur la commercialisation de son sang ; de même l'exportation des ressources difficilement renouvelables à des fins de politique économique, ne saurait constituer que des mesures de court ou moyen terme utilisées pour desserrer les étreintes conjoncturelles et se donner les moyens d'asseoir des bases économiques plus viables à long terme.
Les matières premières génèrent des appétits destructeurs, sources d’énormes gaspillages dans les Etats qui en sont pourvus. Un contrôle de l’affectation des revenus par des institutions supranationales s’avère nécessaire dans l’optique d’une mise au service d’un développement qui préserve les besoins des générations à venir. Utiliser les revenus pétroliers pour importer du blé ou des voitures de haute gamme, pour payer les salaires, n’est pas adéquat ; les affecter au développement des énergies renouvelables, à la construction des infrastructures transnationales serait bien plus judicieux et plus responsable envers les générations futures.
Le pétrole peut-être, le pétrole oui, à condition dirions-nous, qu’il soit mis au service du développement durable.
Théophile Nouatin
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