Sociologie de la Bonne volonté Politique
Pour étudier les modalités de la mise en jeu du principe de parité Nord/Sud dans la vie politique béninoise, nous avons considéré un fait récent, la mise sur pied par le Président de la République d’une commission chargée de relire la constitution de 1990. La liste des membres de cette commission est d’un intérêt méthodologique certain pour rendre raison du jeu de substitution entre la réalité sociologique et la réalité politique placée sous le signe de la parité régionale Nord/sud. Voici la liste des membres du groupe d’experts formant la commission de relecture de la constitution, dite Commission Ahanhanzo.
Membres : Professeur Théodore Holo
Monsieur Moïse Bossou
Monsieur Albert Tingbé Azalou
Monsieur Pierre Metinhoué
Madame Elisabeth Pognon
Monsieur Ousmane Batoko
Maître Robert DOSSOU
Maître Saïdou AGBANTOU
Maître Safiatou BASSABI
Monsieur Prudent Victor TOPANOU
Considéré sous l’angle des origines ethniques suivant le clivage Nord/sud qui marque la vie sociopolitique du Bénin, on se rend compte que la majorité de ces experts sont originaires du sud. En effet, suivant les patronymes, on peut ranger ces experts en deux groupes régionaux correspondant au clivage Nord/sud.
Présumés Originaires du Sud ; (sous-groupe1) :
Maurice Glèlè Ahanhanzo ; Théodore Holo ; Moïse Bossou ; Albert Tingbé Azalou ; Pierre Metinhoué ; Elisabeth Pognon ; Robert DOSSOU ; Prudent Victor TOPANOU.
Présumés Originaires du Nord ; (sous-groupe 2) :
Monsieur Ousmane Batoko ; Maître Safiatou BASSABI.
Comme dans tout échantillon de la population, d’autres critères d’identité entrent en ligne de compte dans la considération de ce groupe d’experts : ce sont les critères religieux et linguistiques. A en juger par les prénoms, la plupart des membres du sous-groupe 1 sont formellement de confession chrétienne, sans préjuger d’une pratique effective. De même, tout porte à penser que les membres du sous-groupe 2 seraient de confession musulmane, et ce sans préjuger d’une pratique effective.
Il va de soi que derrière les structures symboliques héritées de l’histoire de domination de l’Afrique, se profilent des systèmes symboliques plus agissants mêmes lorsqu’ils sont déniés ou ne font pas l’objet d’une reconnaissance officielle. La pratique vivace des religions du terroir et l’usage actif des langues autochtones en sont les exemples vivants. De ce point de vue, le vodoun est la religion de base dominante dans le sud. Le vodoun, on le sait, est une vision du monde fondée sur la médiation agissante de forces naturelles incarnées par des divinités aussi diverses que spécialisées qui donnent lieu à des cultes. Il s’agit en vérité d’un panthéon structuré qui gouverne le rapport au monde mais aussi à l’au-delà des êtres, qu’ils soient vivants ou morts, naturels ou surnaturels. La vision du monde nordiste s’appuie elle aussi sur des cultes à des divinités du terroir, mais ces médiations sont moins structurées et moins intégrées que dans le cas du culte vodoun. Comme pour les langues, l’appartenance du Béninois à une religion du livre n’est pas incompatible avec le culte des divinités vodoun dans les actes importants de la vie. Ce syncrétisme donne la mesure de l’ambigüité de la réalité des Africains et du défi auquel ils ont à faire face sur tous les fronts pour se frayer un chemin dans l’épaisse forêt d’aliénation héritée du passé. Le clivage religieux chrétien/musulman qui va de pair avec le partage Nord/Sud fait partie de cet héritage. La partie sahélienne du Bénin étant le plus proche des anciens foyers islamiques d’Afrique, c’est tout naturellement que l’islam s’est imposé d’abord au Nord. Tel n’est pas le cas du sud. Le colon étant venu par la côte, les populations du sud, ont subi son influence à travers l’action des missionnaires, qui ont développé l’instruction et propagé la foi chrétienne. La foi et l‘instruction sont allés de pair, l’un servant d’appât à l’autre. Par ailleurs le facteur démographique n’est pas à négliger dans la sociologie politique du Bénin. Le sud est plus peuplé que le Nord. Les plus grandes villes du Bénin sont au sud. La sociologie de l’instruction a suivi les lignes de forces de cette disparité démographique et territoriale. Malgré les progrès de plus en plus notables de l’instruction et de la démographie au Nord, les effets sociaux de l’instruction se concentrent dans la densité critique de la population du Bénin dont le centre de gravité se trouve au sud du pays. Mais quand on considère les effets politiques de cette disparité, on est surpris par l’apparence de parité qui la caractérise. Celle-ci paraît alors surimposée pour des raisons de correction politique. Mais lorsqu’il s’agit de désigner les membres d’une commission technique chargée d’étudier une situation quelconque, même et surtout celle touchant à certains aspects cruciaux de la vie nationale, l’a priori de la bonne volonté politique montre ses limites. La fiction dogmatique de la parité à tout prix, cède le pas à la réalité de la sociologie de la connaissance.
C’est ainsi que s’explique la composition des membres de la commission chargée de relire la constitution de 1990, dite commission Ahanhanzo dans laquelle 8 des 10 membres peuvent être présumés originaires du sud. Cette disparité entre le Nord et le sud, n’est ni un contresens démographique, encore moins historique, si l’on songe que le sud est plus peuplé que le nord et plus anciennement scolarisé. Mais la bonne volonté politique est en alerte. On la voit à l’œuvre lorsque qu’on passe de la commission à son bureau. Alors la politique reprend ses droits ainsi que son dogme sacro-saint de la parité entre le Nord et el Sud. En effet, sur les quatre membres du bureau, deux sont du Nord et deux du Sud.
Ce dogme de la parité sévit tout particulièrement dans la composition des gouvernements. Le fait n’est pas nouveau. Monsieur Kérékou, durant ses dix années de pouvoir dans le cadre du Renouveau démocratique est passé maître dans l’art de mesurer au trébuchet le poids politique des ministres en fonction de leur appartenance régionale. Le prétexte affiché est de faire en sorte que le gouvernement reflète la réalité ethnorégionale du pays. Mais d’un point de vue démocratique cette justification n’est pas tenable. Selon la constitution, le rôle du gouvernement et des Ministres est de gérer les divers secteurs d’activité dont dépend la vie nationale en vue d’assurer la sécurité, la croissance économique et le progrès humain à tous. Comme le montre le célèbre exemple de Jacques Necker au 18ème siècle en France, le rôle d'exécutant du Ministre est plus important que son origine nationale ou régionale. Le gouvernement est un organe d’exécution mais non de représentation. Ce rôle, en plus du législatif, incombe au parlement. Les députés ont par excellence le rôle de représentation, telle est leur fonction. La pratique qui consiste à faire du gouvernement un reflet systématique de la diversité régionale sinon tribale du pays est peut-être compréhensible eu égard à nos réalités mais, poussée à l’extrême, elle débouche sur un contresens. En effet, cela reviendrait à faire du gouvernement une sorte de chambre de représentants bis et des ministres des députés plénipotentiaires au service du seul chef de l’Etat. Par rapport au progrès souhaitable de la rationalité légale, cette conception du gouvernement ne devrait pas avoir pignon sur rue. Et dans l’optique du changement attendu en 2006, entre autres choses, cette vision tribaliste du gouvernement devrait céder la place à une approche basée sur les compétences et les capacités. Certes, il est plus facile de déclarer quelqu'un "ministrable" que lecteur de la consitution ; alors que dans le premier cas, une certaine audience régionale suffit, dans le second cas, il faut une formation attestée doublée d'une solide expérience. Dans l’idéal, un gouvernement dans un pays africain comme le nôtre soucieux de progresser, devrait être composé selon les mêmes critères qui ont prévalu à la constitution de la commission Ahanhanzo. Ces critères n’ont pas seulement pour effet de libérer la sociologie de la connaissance dans sa vérité intrinsèque mais ils permettent de nous mettre en phase avec l’impératif catégorique du progrès, à savoir la nécessité de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Yayi Boni étant un banquier, un soi-disant Docteur, un économiste, etc., on pouvait penser que l’homme qui en 2006 avait promis le changement allait tenir compte de ces principes de rationalité dans la composition de ses gouvernements. Mais dans la réalité qu’en est-il réellement ? A supposer que la commission Ahanhanzo soit un idéaltype de groupe dont les membres sont choisis uniquement sur la base de leur compétence, il serait intéressant de mesurer l’écart ou – le cas échéant la proximité – sociologique des différents gouvernements du Président Yayi Boni par rapport à ce groupe témoin. Dans la mesure où la commission Ahanhanzo reflète l’équilibre ethnique propre à la sociologie de la connaissance du Bénin, pour mesurer des écarts éventuels, il suffira d’examiner l’empreinte régionale des gouvernements Yayi depuis 2006, sous l’angle du clivage brut nord/sud.
1er Gouvernement au 9 janvier 2007
Nombres de membres : 24
Nombres de membres Originaire du Sud : 13
Nombres de membres Originaire du Nord : 11
2ème Gouvernement au 18 juin 2007
Nombres de membres : 26
Nombres de membres Originaire du Sud : 15
Nombres de membres Originaire du Nord : 11
3ème Gouvernement au 22 octobre 2008
Nombres de membres : 30
Nombres de membres Originaire du Sud : 19
Nombres de membres Originaire du Nord : 11.
Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors que le nombre de Ministres du Gouvernement est allé de 24 à 30, le nombre de Ministres présumés originaires du Nord est resté constant. Cela prouve que le maximum était atteint dès le début, selon le principe de la parité Nord/Sud conforme au politiquement correct établi. Mais ce premier niveau d’objectif ne suffisait pas à la sécurité politique à long terme du Président ; il lui fallait ratisser large au sud ; d’où le fait que le nombre de Ministres présumés originaires du sud, est allé croissant. Mais quoi qu’il en soit, le rapport maximal 19/30 reste en deçà des 8/10 réalisé par la commission Ahanhanzo.
Il va de soi que le dogme de la parité Nord/Sud fait avaler plus de couleuvres aux gens du Sud qu’à ceux du Nord. Démographiquement, mais encore plus nettement d’un point de vue de la sociologie de la scolarité, le sud pèse d’un poids plus lourd que le Nord. Dès lors, s’il y a égalité numérique cela ne peut qu’être au détriment du sud. On le voit dans la manière relative dont le nombre des ministres des gouvernements successifs de Yayi Boni a évolué. Le fait qu’on soit passé de 13 Ministres présumés originaires du sud à 19 pour le même nombre de Ministres originaires du Nord prouve – tant qu’à rester dans la logique du saupoudrage tribal qui caractérise la politique chez nous– que le rééquilibrage est allé dans un sens qui se rapproche de l’idéaltype.
Dans la composition d’un gouvernement, eu égard à la réalité sociologique du Bénin, il n’est pas acceptable que le dogme de la parité Nord/sud prévale. Mais l’un des paradoxes de ce dogme c’est qu’il soit devenu un impensé, une seconde nature de l’organisation de la vie politique. De ce point de vue, il participe d’une dénégation symbolique en règle. En parler est presque tabou puisqu’on est suspecté d’attenter ce faisant à la cohésion nationale. En revanche, les gens du sud qui le subissent en silence, d’une manière presque masochiste, semblent souvent en redemander. C’est que ce dogme ne profite pas uniquement au Nord comme on aurait pu le penser. En effet, c’est au nom de ce dogme que depuis 50 ans d’indépendance bientôt, le Bénin n’a connu pratiquement que des Présidents originaires du Nord, alors que démographiquement cette région est moins peuplée que le sud. Les nombreux ténors politiques rivaux du sud, incapables de s’entendre en vertu d’un atavisme de la division hérité du passé, préfèrent le Président originaire du Nord comme un arbitre de leur division et un paravent commode, à condition d’en tirer un meilleur profit qu’ils ne pourraient le faire avec un Président du Sud qui se laisserait difficilement mystifier ou circonvenir par eux.
Le paradoxe final et loufoque auquel conduit le dogme de la parité Nord/sud est le suivant : alors que le candidat à l’élection présidentielle du Nord, à l’instar de ses congénères régionaux, espère que les citoyens du sud voteront pour lui face à un adversaire du sud, il est assuré des voies des électeurs du Nord qui ne voteront jamais pour son adversaire du sud, mais, qui, comme un seul homme reporteront leur suffrage sur lui !
Cela s’appelle la discipline, savoir jusqu’où il ne faut pas aller trop loin dans la haine de soi, le refus aveugle de soi-même, de la solidarité régionale, l’acceptation de son identité initiale. En apparence, on peut prendre pour un sens élevé de l’entente nationale le fait que les gens du sud, votent sans façon pour un candidat du Nord. Mais dans le fond, on peine à comprendre comment on peut accepter le lointain lorsqu’on n’est pas en mesure d’aimer le prochain. Il s’agit d’un consensus frauduleux obtenu par conditionnement et culpabilisation de l’électeur du sud, mais aussi par manipulation de sa haine de soi. Or pour que notre nation avance, il faut que la haine recule, à commencer par la haine de soi.
La subversion opérée par le dogme de la parité Nord/sud substitue la bonne volonté politique à la sociologie des structures de la réalité. Cette substitution qui, dès lors qu’on parle de politique ou de poste de responsabilité à pourvoir dans le secteur étatique, impose opportunément une parité régionale entre le Nord et le sud au mépris des réalités sociologiques a ses limites. En tant que folklore politique, elle peut se comprendre. Mais pour assurer un gouvernement efficace orienté vers le progrès, la sociologie, en tant qu’elle est en prise sur la réalité est un bien meilleur guide que le dogme politique de la parité.
Prof. Cossi Bio Ossè
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