De la Philosophie Africaine à la Psychologie Africaine?
Par Clétus BOGNON
Le savoir africain a été convoqué pendant des décennies à comparaître devant les tribunaux de la rationalité occidentale afin d'être authentifié voire légitimé. Après des contestations, vient l'heure de l'attestation. Désormais l’Africain est jugé digne de tenir un discours rationnel ou du moins réhabilité dans sa nature ontologique d'homme, peut maintenant participer à la rencontre des rationalités. Ne pouvant aller à cette rencontre les mains vides, l'Afrique a vite fait de colmater en un corpus ses mythes, ses proverbes, ses contes, ses danses. Et pourtant, il n'est pas assuré que la rencontre des rationalités la guérisse vraiment du complexe de la raison hellène. Car, après tout, proclamer qu'il existe des rationalités ici et là, et qu'il y a possibilité d'une rencontre, n'est-ce peut être pas là une version nouvelle de l'autre aphorisme Senghorien " Rendez-vous du donner et du recevoir" ? De toutes les façons, qu'il s'agisse de "rencontre" ou de "rendez-vous", la question reste toujours de savoir si les "rationalités endogènes africaines" sont aujourd'hui ennoblies et sollicitées, parce qu'il y a urgence impérative ( au sens kantien) de faire passer l'Afrique dans l'ère des nouvelles technologies, afin de ne pas rater le coche de la mondialisation, nouvelle mouture de la géopolitique civilisationnelle de l'occident. Toute heureuse d'avoir apporté un segment de savoir à l'universelle machine de l'évolution, elle se voit encore rejetée parce que n'ayant pas encore franchi le seuil de la maturité intellectuelle ou des critères épistémologiques. C'est le grand débat de la philosophie africaine. Aujourd'hui nolens volens, la question est close. Si la légitimité de la philosophie (mère de toutes les sciences) a posé tant de problèmes, qu’en sera t-il des autres disciplines des sciences humaines comme la psychologie ? Finalement peut-on faire l’hypothèse de l'existence d'une psychologie africaine? Ce n’est nullement un complexe d'infériorité qui nous pousse à poser le problème d'une psychologie africaine mais plutôt une quête scientifique de l'intelligibilité totale de la réalité "Afrique" sous l'angle de la psychologie. Nous ne prétendons pas ici définir une psychologie africaine mais simplement ébaucher une réflexion sur sa possibilité d'être.
A vrai dire, les travaux d'anthropologie structurale de Claude Lévi Strauss et la lancée de la linguistique inaugurée par Ferdinand de SAUSSURE, les réalités sociales en toutes cultures et civilisations en régime de pensée sauvage ou de pensée domestique offrent une organicité au regard de laquelle tout «ensemble" est rigoureusement impensable sans ses" éléments" et inversement. Tout élément d'un ensemble se trouve en structure d'organicité. C'est ainsi que dans le cadre de la parenté, tout modèle de la famille est traité comme un système symbolique inséré dans un ensemble d'autres systèmes symboliques (religion, art, économie) auxquels le langage sert de référence et de paradigme. Une ébauche de la psychologie africaine ne saurait être autarcique. Elle doit prendre en compte les résultats des recherches des autres sciences et surtout la sociologie, l'ethnologie, l'anthropologie etc. Elle doit s'élaborer à partir des critères épistémologiques de la psychologie générale. A notre avis toute psychologie africaine doit prendre en compte deux réalités: le fait transculturel et la tautologie symbolique. Point n'est besoin de démontrer qu'il existe une unité profonde entre les comportements et le langage en général. Loin de vouloir faire de l'Afrique une entité unique ou une substance unifiée, on peut oser dire qu'il existe une unité profonde voire une certaine identité entre les Africains. Cette psychologie africaine doit chercher à révéler par delà la diversité des cultures les structures mêmes de l'esprit humain telles qu'elles se manifestent dans les actions et les œuvres tant individuelles que collectives. L'agir et le langage synthétisent cette transculturalité. Le fait transculturel sera alors l'ensemble des faits sociaux, culturels, cultuels, linguistiques et religieux qu'on retrouve dans plusieurs sociétés africaines.
Propre rationalité de l'élément traditionnel! Voilà n'est-ce-pas que nous retournons au ghetto de l'ethnophilosophie pour faire de l'"ethnopsychologie". Au contraire, il surgit au cœur de la Raison Historique Africaine elle même un paradoxe c'est-à-dire cet autre ordre de vérité constituant l'impensé d'une culture.
En parlant plus haut d'institutions symboliques, on constate qu'il n'y a jamais une correspondance parfaite entre l "institution" et le réel, ou le monde. Ainsi s'établit-il "un lieu d'identité" entre le système et le monde : c'est celui de la tautologie symbolique. La tautologie symbolique enseigne que toute institution sociale a sa propre cohérence systémique ; mais dans un tout-ensemble contenant le fait social d'une communauté linguistique, où s'élabore pourtant un métalangage dont l'horizon de détermination est la vision du monde co-extensive à une culture en régime de seuils différentiels avec d'autres cultures. La tâche que se donnera maintenant la psychologie africaine ne sera plus de savoir comment les différents "éléments" se tiennent entre eux mais plutôt d'identifier le schème spécifique structurant l'élément traditionnel, schème qui n'est rien d'autre que le cadrage mental qui influence le psychisme tant individuel que collectif.
Clétus BOGNON.
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l'Afrique ne saurait exister sans psychologie comme toutes les parties du monde de l'antiquité à notre époque contemporaine
Rédigé par : moussong devise | 10 novembre 2011 à 12:01
Je suis très content de ta réflexion. Parce que ce n'est pas facile de réfléchir et même ceux qui croient être en avance sur les autres font aujourd'hui le constat. Alors une bonne félicitation te revient. Cependant dans les refléxions que nous pondons, je fais un constat que c'est pour justifier toujours quelques choses. Et surtout c'est un complexe de notre part.
En tout cas ce que je peux te dire c'est que la science est universelle et pourquoi nous cherchons à nous l'approprier. Les questions que je me pose jusqu'à présent sont les suivantes: existe-t-il une philosophie occidentale? Une psychologie occidentale? La raison n'est-elle pas le propre de l'être humain? Pourquoi cherchons-nous à accaparer les choses? qui est le propre de l'homme comme l'affirme Kant que l'homme au lieu de rechercher le bien universel, se plie sur lui pour rechercher le bien particulier. Ce qui vaut l'existence de l'éducation et surtout la discipline dans l'éducation pour tendre vers le bien universel.
Le grand problème aujourd'hui c'est le problème de l'éducation qui est fondamentale dans la vie. La philosophie, la psychologie.... existe en Afrique bel et bien, sauf les bornés et les aveugles qui ne veulent pas les voir.
Rédigé par : Napoug'n | 26 février 2009 à 22:31