Tchahôhô !
Et les Chiens se Taisaient.
PROFESSEUR ZONON : Bonjour Docteur, alors tu as fait ton enquête ?
DOCTEUR H2O : A propos de quoi, déjà ?
PROFESSEUR ZONON : De quoi veux-tu que ce soit : de la nouvelle tuerie de la garde de Yayi Boni, pardi !
DOCTEUR H2O : Oh, oui, excuse-moi, les nouvelles de l’agitation politique vont si vite que j’allais oublier...
PROFESSEUR ZONON : Alors l’as-tu fait, cette enquête oui ou non ?
DOCTEUR H2O : Oui, Professeur je l’ai faite, et figure-toi que grande a été ma surprise sur tous les fronts ?
PROFESSEUR ZONON : Mais encore...
DOCTEUR H2O : Eh bien, côté relations et famille, on me dit qu’on n’a rien entendu de tel, qu’aucune télévision, aucun journal de la place n’a rapporté la nouvelle !
PROFESSEUR ZONON : Ah bon ? Et côté connaissances diverses ?
DOCTEUR H2O : Pareil...
PROFESSEUR ZONON : Alors, j’imagine que tu t’es rué sur la presse en ligne, qui rivalise d’ardeur pour capter la clientèle ethnique éparpillée aux quatre coins du village planétaire...
DOCTEUR H2O : Oh, oui, j’ai fait fonds sur eux : je veux nommer les éditions en ligne des Matinal, Nouvelle Tribune, l’Autre Quotidien, et j’en passe ...
PROFESSEUR ZONON : Et tu n’as pas trouvé confirmation de la nouvelle ?
DOCTEUR H2O : Non, aucune ; même l’Autre quotidien n’a pas fait honneur à son altérité supposée, il est resté pareil aux autres.
PROFESSEUR ZONON : Pas étonnant, l’Autre ou pas, ce journal fait partie de l’écurie des journaux sous contrat donc pas étonnant qu’il fasse comme eux motus et bouche cousue
DOCTEUR H2O : C’est vrai, cela tombe sous le sens...
PROFESSEUR ZONON : Ce qui tombe moins sous le sens, vois-tu, c’est le silence d’un journal comme Nouvelle Tribune.
DOCTEUR H2O : Pourquoi c’est étonnant ? Ils sont même pipe même tabac, non ?
PROFESSEUR ZONON : Eux au moins n’étaient pas officiellement sous contrat, ils avaient le courage de leur opinion et essayaient tant bien que mal de garder la tête haute...
DOCTEUR H2O : Mais il n’est pas facile de garder la tête haute ; on finit par se fatiguer pour rien...Et puis la technique la plus pernicieuse n’est pas de mettre les journaux sous contrat ...
PROFESSEUR ZONON : Alors c’est quoi le nec plus ultra en la matière ?
DOCTEUR H2O : Eh bien, il suffit d’acheter ponctuellement tel article à prix fort... Contrat de non publication, plus juteux que tout ! Et selon l’intérêt qu’y porte le gouvernement, celui-ci est prêt à mettre la main à la poche, peu importe le prix ! L’essentiel étant de parvenir à son but !
PROFESSEUR ZONON : Et quel est ce but ?
DOCTEUR H2O : Faire de l’événement un non-événement, le « démédiatiser », si l’on peut dire...
PROFESSEUR ZONON : Exact...
DOCTEUR H2O : On croirait rêver, Professeur !
PROFESSEUR ZONON : Et pourtant la chose est avérée, l’information que je t’ai passée, je l’ai lue sur l’Araignée. La nouvelle est citée du Journal 24 Heures au Bénin et signée de Paul Makere... ! Elle a été reprise sur Planet Béninois et sur le Blog de Benoît Illassa...
DOCTEUR H2O : Tout à fait Professeur, après avoir butté sur toutes les portes, c’est là que je l’ai trouvée, comme tu me l’as indiqué...
PROFESSEUR ZONON : Exact !
DOCTEUR H2O : Et voici en substance ce que j’ai pu lire : « Mandat de Yayi une période de terreur: Encore un homme abattu par la garde présidentielle. Le mandat de Boni Yayi est une période de terreur pour le peuple béninois. Les crimes de sang commis par la garde présidentielle sont sans précédent. .Au cours de la période révolutionnaire, il y avait un minimum de respect pour la vie humaine. Aujourd’hui, la garde présidentielle abat froidement d’innocents citoyens comme des moutons, sans le moindre scrupule et sans aucun procès. Un citoyen vient, à nouveau, d’être abattu par la garde présidentielle. Le drame est survenu sur le pont Konrad Adenauer de Cotonou, le mardi 17 février 2009, aux environs de 17 heures locales lorsque le cortège présidentiel revenait de Sèmè-Podji où Boni Yayi était descendu. Selon des témoins, le véhicule de Boni Yayi aurait laissé les motards derrière. La victime ne sachant pas que le cortège qui venait était présidentiel, a traversé la voie. A peine a-t-il fini la traversée qu’il a été atteint par une salve de coups de feu. Il s’écroula raide et mangea aussitôt les pissenlits par les racines »
PROFESSEUR ZONON : Tout à fait, c’est bien ce que j’ai lu moi-même et, en dépit de la mauvaise fleur rhétorique qui fait référence de façon indue aux racines de pissenlits, il s’agit d’un fait cruel et dramatique, terrible et triste...
DOCTEUR H2O : Tu as raison de le souligner. A-t-on idée d’utiliser pareille image lorsqu’un innocent est tué de cette façon ?
PROFESSEUR ZONON : Bien sûr que non, Docteur, mais tu sais les nôtres usent souvent à tort et à travers la langue du Blanc. On croit bien dire au moment même où l’on manque d’à-propos....
DOCTEUR H2O : Soit dit en passant, le journaliste fait ce qu’il peut avec ses limites et ses déterminations. Du reste, tu en conviendras avec moi cher ami, la forme, aussi stupide soit-elle, n’est pas ici la chose la plus importante...
PROFESSEUR ZONON : Tout à fait, le fond surpasse la forme... Et quand on considère ce fond, au regard du silence général de la presse officielle, on croit rêver ... et on se pose des questions ?
DOCTEUR H2O : Lesquelles ?
PROFESSEUR ZONON : Moult questions, cher ami, et tu peux les deviner : primo, cette info est-elle vraie oui ou non ? Est-ce une fiction ? S’agit-il d’un vrai faux poisson d’Avril ? Et la photo du mort gisant à terre, est-ce un montage ? Deuxio : Quelqu’un en veut-il au Président Yayi pour le mettre ainsi dans un mauvais drap ? S’agit-il d’une offensive des ennemis du changement ? Tertio : la période des excès meurtriers de la garde présidentielle de Yayi Boni n’est-elle pas terminée depuis longtemps ? Le « plus jamais ça ! » que les bonnes âmes ont poussé est-il un vain mot ? La chasse aux citoyens innocents est-elle ouverte ? La garde de Yayi Boni a-t-elle retrouvé ses penchants barbares ? Renoue-t-elle avec sa culture de sauvages sans respect des vies humaines ?
DOCTEUR H2O : Questions pertinentes Professeur, très pertinentes... mais la question que je me pose, moi, embrasse l’acte aussi bien que la réaction qu’elle suscite, c’est-à-dire le manque de réaction dans tous les milieux – presse et politique compris...
PROFESSEUR ZONON : Docteur, puis-je savoir quelle est-elle ?
DOCTEUR H2O : Bien sûr, cher ami, la voici : Est-ce que tuer un homme est pour les puissants, ce que tuer un moustique est pour l'homme ordinaire ? Pouvons-nous encore parler de démocratie lorsque nous ne donnons aucune importance à la vie individuelle ? Combien de personnes doit-on tuer pour que les gens – politiques comme médias – arrêtent de mépriser la vie individuelle et de considérer cela comme négligeable ?
PROFESSEUR ZONON : Tu as raison Docteur, mais ce respect de l’individu ne touche pas seulement sa vie, en tant que, comme ici, opposée à la mort. Elle vaut aussi pour sa liberté.
DOCTEUR H2O : Tout à fait ! C’est tout de même faramineux de voir comment les gens ont une sacrée tendance sous nos tropiques à faire passer en pertes et profits de leur compromissions et de leur lâcheté tout ce qui touche à l’individu : que ce soit sa vie ou sa liberté !
PROFESSEUR ZONON : Je vais te dire...
DOCTEUR H2O : Oui...
PROFESSEUR ZONON : Le plus terrible dans l’affaire, selon toutes vraisemblance, est que ces soit disant accidents de gâchette ou bavures en réalité ne sont pas des accidents...
DOCTEUR H2O : Ah bon ?
PROFESSEUR ZONON : L’hypothèse n’est pas entièrement délirante ! A mon avis, ce ne sont rien moins que des crimes perpétrés délibérément...
DOCTEUR H2O : Oh non, Professeur ! Mais à quelle fin ?
PROFESSEUR ZONON : Eh bien ! Selon toute vraisemblance, le but de ces sacrifices – et le mot n’est pas fort – est double. Il est en partie rituel et aurait pour fonction de rendre propices les forces occultes qui sont censées veiller au succès électoral de Yayi Boni ; en clair, ces meurtres entrent dans une logique de pratiques magiques dont ils ne seraient, que la phase sacrificielle ; et de ce point de vue, crois-moi, d’autres suivront...
DOCTEUR H2O : Ah, Professeur ! Tout ça me donne froid dans le dos ...
PROFESSEUR ZONON : Et ce n’est pas tout, cher ami !
DOCTEUR H2O : Ah bon ? Y a-t-il autre chose ?
PROFESSEUR ZONON : Oui, il y a – et il ne faut pas l’oublier – l’explication psychologique, en termes de psychologie du pouvoir bien sûr, et ce n’est pas à toi, un fin connaisseur de la politique sous nos tropiques, que je l’apprendrai...
DOCTEUR H2O : Que veux-tu dire ?
PROFESSEUR ZONON : Eh bien, comme tu le sais, Yayi Boni, pour trouver son style et sa personnalité propres de Président doit naviguer entre les personnalités de ses prédécesseurs illustres.
DOCTEUR H2O : Tout à fait...
PROFESSEUR ZONON : Or, les deux les plus illustres sont Soglo et Kérékou. Chacun de ces deux modèles est ramené à un caractère précis en fonction de l’objectif visé par la modélisation. En clair, Kérékou figure le pôle de l’homme de pouvoir et Soglo est le modèle du développeur. Pour ce qui est du développement, l’ex-banquier fait ce qu’il peut avec plus ou moins de succès. Mais son souci le plus permanent, comme on a pu le constater, est comment faire pour se faire réélire, en attendant de se perpétuer au pouvoir. Et ce n’est pas exagéré de dire que ce souci est devenu une obsession que Yayi Boni a étrennée dès sa prise de pouvoir en 2006 et qu’il traîne jusqu’à nos jours. Ce souci n’est pas étranger à l’accélération funeste du calendrier électoral à laquelle nous assistons ces jours-ci et qui donne à la vie politique un air de début de précampagne. Dans ces conditions, soit dit en passant, qui fera attention à une information aussi anodine que le meurtre d’un individu pris au hasard dans les rues de Cotonou, fût-ce même pas la garde de Yayi Boni ?
DOCTEUR H2O : Certes, mais qu’est-ce que cela a à voir avec la psychologie du pouvoir ?
PROFESSEUR ZONON : Bien sûr, le silence des médias n’a rien à voir avec la psychologie du pouvoir, je le concède, mais le but possible de ces meurtres, dans la mesure où ils ne seraient pas accidentels, lui, participe de cette psychologie.
DOCTEUR H2O : C’est ce qu’il faut expliquer sérieusement, cher ami, car l’hypothèse est grave...
PROFESSEUR ZONON : Eh bien ! Si l’on considère le choix de Kérékou comme modèle du pôle politique si cher à Yayi Boni, on constate que sur ce point, Yayi Boni essaie de coller aux basques de Kérékou, à travers ce qu’il a fait, en bien comme en mal. C’est ainsi qu’il faut voir par exemple la résurrection en dépit du bon sens de l’idée du service patriotique et militaire ; occasion rêvée pour créer des réseaux d’embrigadement à des fins de contrôle politique. Pour inspirer la peur, comme le militaire Kérékou l’a fait dans sa période révolutionnaire, il faut terroriser, menacer, emprisonner, rouler la mécanique, faire couler du sang comme ça a pu être le cas durant la période sombre de la Révolution tristement célèbre pour les violations des droits de l’homme, les atteintes à la liberté et même à la vie des citoyens. C’est cette image que cherche à se donner Yayi en ne maîtrisant pas sa garde et en lui laissant implicitement feu vert dans ces meurtres qui ensanglantent son sillage. Nous avons affaire avec une forme de terrorisme subtil, destiné à inspirer la peur aux citoyens. Il faut qu’on ait peur de Yayi Boni. Les Béninois, pense-t-il, vont voter facilement pour le Président qui leur inspire « stupeur et tremblement » ; et ce sentiment de peur, Yayi-le Terrible compte l’obtenir à tout prix, dans le sang des victimes fauchées au hasard des rues, dont de par son devoir constitutionnel, il était censé assurer la sécurité. Non content de ne pas assurer la sécurité des citoyens, ô ironie du sort, c’est le Président lui-même qui est la source de leur insécurité ! Le monde à l’envers !
DOCTEUR H2O : Et pendant ce temps, les chiens se taisaient...
PROFESSEUR ZONON : Tu as tout compris, Cher ami, inutile d’en rajouter !
HODONOU ODJO
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