Houénouhô min ka do b'a ka yi sé…!
Comme le veut la formule rituelle, « Houénouhô tché zon mon viiiiin » et tombe sur Zonon et Sossou deux habitants de Cotonou. L’histoire se déroule sous la conjoncture, une période comme chacun sait difficile de notre histoire. Au début rien ne prédestinait la vie des deux hommes à se croiser mais l’historie née de la conjoncture va les entrelacer, comme on entrelace deux brins différents pour faire une corde.
C’était en 1988, au plus fort de la crise au Bénin, la « conjoncture » comme on disait alors. Zonon est tailleur de son métier, mais cela fait des mois qu’il n’avait plus rien taillé, des mois qu’il n’avait plus pris les mesures d’un seul client. Quand on n’a plus à manger pense-t-on à se vêtir ? Dans ces conditions, Zonon avait de sérieux problèmes pour joindre les deux bouts. Depuis quelques temps, il ne vivait plus dans le droit chemin. Pour survivre, loin de son atelier, Zonon se livrait à la « chasse » : vol, trafic, recel de biens, rapine. Et chaque soir, il revenait avec le butin faire patte blanche à la maison et honorer ses obligations d’époux. Oui, Zonon était marié avec Zhalia. Le couple n’avait pas d’enfant. Zonon en avait eu un d’un premier mariage, mais il était décédé à sa naissance. Zhalia n’avait jamais eu d’enfant. Depuis bien des années elle était considérée comme stérile. Et comme avant d’épouser Zonon, elle avait trahi un premier fiancé tout le monde s’accordait pour dire que c’était cet homme qui amer l’avait rendue stérile de façon mystérieuse, pour ne pas dire occulte.
Avant la crise Zonon était un époux responsable, qui s’occupait de sa femme, apportait de quoi manger etc. Et comme la crise est arrivée et s’est installée, il a été obligé de s’adapter aux circonstances pour être à la hauteur de ses obligations. Mais Zonon perdait pied. Pour s’évader de l’indignité de ses dures journées, il s’est mis à boire... du sodabi.
Un après-midi, le voilà qui arrive sur une moto à la maison. Il portait un carton qui sentait bon la viande de hõlan. Zonon confie le colis à Zhalia. « Tiens Zhalia, dit-il en donnant le carton à sa femme, dépose-moi ça sous le lit, et ne t’avise pas de l’ouvrir avant que je revienne ». Sur cette injonction, Zonon s’en va sur la moto pendant que Zhalia, debout devant la maison, le carton à la main, se demandait « Où est-ce que mon mari a encore trouvé cette moto ? »
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Zhalia était intriguée par l’origine de la moto que conduisait Zonon, et pour cause : l’engin appartenait à un autre, une parfaite inconnue et d’elle et de son mari. Cette inconnue se prénomme Thérèse et était originaire d’Akassatô. Infirmière de son état, Thérèse travaillait au CNHU de Cotonou mais crise oblige, elle n’avait pas touché sa solde depuis plusieurs mois. L’Etat, devenu insolvable, ne payait plus les salaires. Son mari, Sossou et elle avaient beaucoup de bouches à nourrir. Aussi avaient-il fat e choix d’aller confier les enfants à leurs grands parents au village. Thérèse venait de mettre un enfant au monde. Un enfant dont elle ne voulait pas, par manque de moyen. Thérèse avait failli avorter mais Sossou s’y est opposé avec vigueur. Une bouche de trop à nourrir et surtout une source d’occupation pour elle qui en plus de son métier d’infirmière, était obligée de faire du commerce à côté pour nourrir tout le monde, un commerce de subsistance dont tout le monde vit pendant cette période de disette. Pour joindre les deux bout, Sossou n’est pas non plus en reste ; il a l’habitude d’aller rendre visite à ses parents au village dans le mono d’où il vient avec des menus victuailles : haricots, maïs, manioc, farine de manioc, igname, bois de chauffage, viande...de hõlan...
Thérèse n’en pouvant plus décide de mettre fin à la vie du jeune bébé. Pour réaliser son forfait, à l’insu de Sossou, elle administre une forte dose de somnifère au bébé. L’enfant étant tombé dans le coma, l’infirmière le fait passer pour mort et tout le monde pleure, elle en premier. Comme ils n’ont rien pour enterrer l’enfant, on l’habille et on le met dans l’un des cartons de hõlan, venu du village. Thérèse décide d’aller enterrer l’enfant dans son propre village à Akassatô. Elle demande à son mari de ne pas le suivre à Akassatô mais d’aller à son travail. Sossou est si abattu qu’il ne réagit pas et laisse sa femme faire. Le matin, Thérèse met le paquet de « hõlan » sur sa moto et prend la route pour Akassatô. Là-bas, elle sait qu’avec la mort de son enfant, elle plaiderait plus facilement la cause de la famille et qu’on lui donnera des victuailles. Dehors, en route pour Akassatô Thérèse tombe par hasard sur Roger, un collègue du CNHU qui lui apprend la bonne nouvelle : le gouvernement vient de débloquer les salaires et il se paie des arriérés jusqu’à hauteur des six derniers mois ! Tout se passe à la BCB agence Gan-hi, lui apprend Roger, qui en revenait. Sans attendre son reste, Thérèse a à peine le temps de remercier son collègue, puis elle fait demi-tour et se dirige, folle de joie vers le quartier de la banque. Quand elle arrive à l’agence Gan-hi de la BCB, Térèse trouve une queue immense. Elle ferme sa moto et la confie à la surveillance d’un jeune garçon et s’aligne avec patience en attendant son tour. Trois heures de temps après, son tour arrive. Et Dieu merci, elle ressort de la banque quelques minutes après, riche comme une héritière de Crésus ! Toute heureuse, elle se précipite pour prendre sa moto. Elle se dit qu’avec cet argent son bébé n’aurait plus aucun mal à vivre ! Elle est soudain saisie de l’envie de le sauver, elle se met à prier le ciel qu’il ne soit pas tout à fait mort, que le somnifère qu’elle lui a administré n’ait pas atteint son but. Elle se met à rêver d’une dernière chance, pour elle et pour son bébé dont l’amour ressuscita en elle soudain. Sauver le bébé à tout prix tel était le désir de Thérèse en sortant de la banque. Mais lorsqu’elle arrive à l’endroit où elle avait garé sa moto, elle se rend compte que ni l’engin ni le jeune garçon à qui elle l’avait confié n’étaient plus là : ils avaient disparu. Elle chercha de-ci de-là sans succès. La moto et le carton avaient disparu corps et âme... Affolée, Thérèse cherche partout dans la rue, s’arrache les cheveux, mais c’était peine perdue. N’en pouvant de pleurer les larmes de son corps, elle retourne chez elle, triste et abattue. A la maison, comme son mari n’était pas encore de retour, Thérèse décide de cacher le vol. Pour cela, elle va voir le menuisier du coin, achète un petit cercueil d’enfant y dépose secrètement des bibelots enveloppés de tissus. Elle fait ensuite le tour de quelques amis qu’elle invite à une cérémonie d’enterrement qui eut lieu le soir même sans attendre l’arrivée de son mari. Lorsque tard dans la nuit, Sossou arrive et voit du monde chez lui, il demande ce qui se passe ; c’est alors que Thérèse lui apprend que le bébé n’avait pas été enterré à Akassatô comme prévu mais dans le jardin de la maison. « Oh, René, mon bébé, cria le père meurtri qui accourut vers le jardin pour prier devant la tombe supposée de son fils... »
Amos Bamikolé
A suivre…
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