Poignée d’images
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Quand on regarde une photo où deux hommes politiques échangent une poignée de mains, il y a plusieurs cas de figures possibles des attitudes par rapport à la camera, source de l’image. Ces cas, il est vrai, posent la question de l’origine de la caméra. A savoir si d’une part la présence de la caméra est le fait du hasard ou d’une nécessité sociale et médiatique ; ou bien si d’autre part elle relève d’une mise en scène ou d’un arrangement. Dans tous les cas, sa neutralité est sujette à caution. Indépendamment de l’origine de la caméra, ces situations parlent aussi de la hiérarchie volontaire ou de fait existant entre les deux acteurs de l’acte de communication sociale qu’est la poignée de mains. Ce jeu peut aller de la complicité d’un partage de rôle où l’un s’octroie le droit de regard tandis que l’autre joue les comparses, à un conflit en passant par une jouissance à l’amiable plus ou moins équitable du droit de regard.
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L’image (0) où le Président Yayi Boni échange une poignée de mains avec son homologue chinois est le type même de poignée de mains dénuée de toute arrière-pensée. Son discours est performatif car il dit ce qu’il fait et rien d’autre. Tel n’est pas souvent le cas.
Dans l’image (1) le Président Yayi regarde la camera tandis qu’il sert la main au représentant chinois qui le regarde, béat. La scène se passe lors de la cérémonie de lancement des travaux de construction par les Chinois de l’échangeur de Godomey, joyaux futur et futuriste de la rhétorique infrastructurelle d’un Président pour qui le changement doit se voir plus que se vivre. Plus dans le visuel que dans le vécu, dans les yeux que dans la chair. (Exemple, les gens peuvent crever dans les hôpitaux-mouroirs sordides, peu importe puisque morts, leur corbillard peut passer sur des ponts supérieurs ou des échangeurs vers le lieu de leur dernier repos : choix rhétorique d’une clarté certes choquante, mais qu’on ne peut pas nier.) Dans ce geste d’échange de poignée de mains, mais aussi de bons précédés, le Président Yayi heureux, souriant semble dire : « oui, me voilà, c’est moi, je vais le faire, c’est le jour ! Le grand jour de Yayi le Grand, constructeur des grandes œuvres devant l’éternel, qui vous regarde les yeux dans les yeux ! etc. » Pendant ce temps, le représentant chinois se faisant discret – qualité chinoise s’il en est – tout petit, joue les comparses ou les figurants consentants.
Derrière ce cas de figure universel où l’exercice du droit de regarder la caméra renvoie à une dissymétrie territoriale et culturelle entre les deux protagonistes, il y a bien sûr toute une variété de facteurs qui rendent compte de la plus ou moins grande spontanéité de l’acte aussi bien du côté de l’acteur principal que de ses comparses (médiatiques ou politiques)
Mais l’exercice du droit de regard concerté peut connoter ou traduire une hiérarchie sociale et politique entre les deux protagonistes, surtout en l’absence du facteur de dissymétrie mais pas exclusivement. Le droit de regard devient alors un véritable test de la hiérarchie politique entre les deux protagonistes. L’exercice traduit une hiérarchie de pouvoir, en dépit de sa dénégation formelle derrière le discours de l’égalité – des instances ou des individus.
Ainsi dans l’image (2) Yayi Boni joue les comparses cependant que l’ancien Président Kérékou exerce passivement le droit de regard. Trahit-il par là le fait qu’il reste détenteur du pouvoir dont Yayi Boni ne serait que l’exécutant ? Qu’il est le Président aîné ? Qu’il possède une plus grande aura qui en impose au peuple ? Tout cela est fort possible même s’il est probable que de la part du Président Yayi, ce jeu se veut l’expression de sa courtoisie, dans le cadre du discours fétiche de la gouvernance concertée, qui souvent se résume à de belles paroles et à une débauche théâtrale de fausse modestie. Cela tient donc du sacrifice symbolique du pouvoir sur l’autel de la réalité, dans la mesure où, in fine, la politique de la gouvernance concertée est plus symbolique et médiatique que réelle.
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De même, à l’image (3) dans un contexte de dépaysement qui est le facteur déterminant de la dissymétrie territoriale, on voit Yayi Boni qui tient le crachoir à Sarkozy. Bien sûr, la boulimie médiatique et l’hyperactivité de l’un ne le cède en rien au narcissisme de l’autre, à sa fierté d’être si haut perché. Tous ces éléments peuvent jouer mais interviennent ici aussi bien la dissymétrie territoriale que la hiérarchie des poids nationaux, économiques et du prestige comparé d’un grand, vieux, et riche pays européen face à un petit pays, pauvre et plus ou moins dominé. En principe, la courtoisie veut que l’exercice du droit de regarder la caméra se fasse en fonction de celui que favorise la dissymétrie territoriale et culturelle. Dans la mesure où celui-ci est en position de force, et les images surtout destinées à faire passer un message de portée nationale. Mais ce n’est pas toujours le cas. L’hôte lorsqu’il est en position de force en fonction de son poids national et économique, peut faire prévaloir son besoin d’exercer le droit de regarder la camera – quels que soient les comparses médiatiques, et à plus forte raison si ceux-ci lui sont institutionnellement solidaires. ( 4)
Parfois le besoin de passer un message peut faire trouver un terrain d’entente aux deux protagonistes qui prennent alors franchement la pause et affichent leur entente, leur accord. Alors tous les deux regardent la caméra sur un pied d’égalité, comme ici ( 5); ou d’un même accord s’en détournent, pour montrer la profondeur et le sérieux de leur pourparler (6).
Ainsi peut s’expliquer le paradoxe qui veut que, alors que deux hommes politiques sont censés échanger une poignée de mains, il y en ait un qui n’a d’yeux que pour la caméra. Bien sûr, il s’adresse aux média et, au-delà, à ceux que les médias sont censés informer de son geste. Si la poignée de mains est un acte à valeur symbolique, dont le signifié à la prétention manifeste de se situer au-delà du signifiant, il va sans dire que depuis la nuit des temps où il existe ses usages sont de nos jours plus sophistiqués. Ils font partie intégrante de la communication politique aujourd’hui ; et leur analyse, comme sommairement esquissée ici, peut éclairer ce paradoxe apparent de la mise en scène de la vie politique.
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
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