La Cour Dossou en Flagrant Délit d’incohérence
Par décision DCC 09-002 du 8 janvier 2009 la Cour constitutionnelle vient de déclarer inconstitutionnelle l’élection par l’Assemblée nationale de ses membres devant siéger à la Haute cour. Evidemment comme après toute décision de nature politique de la cour constitutionnelle, cette dernière décision n’a pas manqué de susciter de vives réactions : aussi bien de la presse que des milieux politiques. De-ci de-là on a crié à l’impartialité de la Cour constitutionnelle, au favoritisme, à la dépendance du pouvoir ; et la critique d’une Cour constitutionnelle émanation du pouvoir a repris de plus belle.
De fait, la question de l’indépendance (politique, idéologique, régionale, etc.) de la Cour, n’est pas une vue de l’esprit et mérite d’être posée. Ne serait-ce qu’au vu du flou logique et politique qui a prévalu à sa propre constitution, et qu’en son temps une décision idoine prise par elle-même n’a pas complètement évacuée. Pas moins d’ailleurs que l’orientation générale des décisions et du choix des objets sur lesquels la Cour a eu à statuer depuis lors.
Pour autant, on ne peut pas dire que la récente décision de la Cour, la décision DCC 09-002, du 8 janvier 2009, manque de justesse et de rigueur d’appréciation. De fait, elle vient à point nommé battre en brèche ce qu’il faut bien considérer comme une opération politicienne, de la part d’un groupe qui se trouve conjoncturellement en position dominante à l’Assemblée. Conformément à l’article 135 de la Constitution, l’Assemblée nationale est censée élire en son sein au scrutin secret six députés pour être juges à la Haute Cour de Justice. En son article 136, la Constitution établit la compétence et la fonction de la Haute Cour comme suit : « La Haute Cour de Justice est compétente pour juger les Présidents de la République et les membres du gouvernement à raison des faits qualifiés de haute trahison, d’infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, ainsi que pour juger leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat. » Une telle compétence et un tel rôle sont donc par essence de nature éminemment politique. La Haute Cour est composée des membres de la Cour Constitutionnelle, à l’exception de son président, de six députés élus par l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour Suprême. Si le caractère politique des autres composantes est indirect – bien qu’évident en raison de la part qu’y prend immédiatement ou non le pouvoir – il ne fait l’ombre d’aucun doute que les représentants de l’Assemblée nationale figurent le pôle politique par excellence. Donc leur élection est un moment politique et doit être considéré comme tel. Certes, la Constitution n’a pas spécifié un mode particulier pour cette élection, mais dans un esprit démocratique il sied que celle-ci reflète la réalité politique à l’Assemblée, sinon dans le pays. Et le seul mode qui garantisse l’équité politique nécessaire est bien sûr le mode d’élection à la proportionnelle. Tout autre mode, et notamment le mode majoritaire confine de fait à la surreprésentation d’un groupe ou à la confiscation de la représentativité de l’Assemblée nationale par quelques partis, au détriment et à l’exclusion des autres. Or, le mode de représentation majoritaire qui a conduit à l’élection le 19 décembre 2008 des six députés devant siéger à la Haute Cour de Justice uniquement au sein de la majorité bat en brèche le principe de la représentation politique de l’Assemblée. Dès lors elle est inéquitable et devrait être dénoncée comme une opération politicienne peu conforme à l’esprit démocratique. Or, ce semble, un tel accaparement léonin des institutions et espaces politiques par une seule partie est au centre des dénonciations récurrentes de l’opposition ces derniers temps. Il est donc surprenant et pour tout dire troublant qu’à la première occasion, l’opposition n’ait pas hésité à reproduire le même travers qu’elle dénonce pourtant avec véhémence et emphase du côté du pouvoir.
L’un de ces accaparements léonins des institutions concerne la nomination des membres de la Cour Constitutionnelle par l’Assemblée nationale. Bien qu’elle ne soit pas d’actualité, cette nomination, eu égard aux considérants de la décision actuelle à la Cour Constitutionnelle invalidant la nomination des représentants de l’Assemblée à la Haute Cour de Justice, peut être logiquement réappréciée sinon ressuscitée. Certes, les deux juridictions ont des compétences différentes, mais dans un cas comme dans l’autre, le caractère politique des rapports de l'Assemblée Nationale avec tout ou partie de leurs membres respectifs est indéniable. C’est dans cet esprit qu’il sied de reconnaître la justesse de la décision de la Cour Constitutionnelle invalidant l’élection du 19 décembre par l’Assemblée nationale des 6 députés devant siéger à la Haute Cour.
Mutatis mutandis, ce même esprit aurait dû strictement s’appliquer à la désignation par l’Assemblée des membres de la Cour Constitutionnelle, qui relèvent de son ressort. Ce critère d’équité politique, conformément aux exigences et stipulations de la Constitution passe, en l’espèce, par le respect du principe de la configuration politique du Bureau de l’Assemblée Nationale. Or, manifestement, dans le fond comme dans la forme, ce critère n’a pas été respecté ; et il n’est pas jusqu’à la précipitation avec laquelle la désignation a été effectuée qui ne prouve cette double violation. Sans compter le fait que la frustration ressentie par une partie du bureau de l’Assemblée nationale s’est traduite par un recours en annulation. En fait, le seul fait que le recours en annulation de la procédure de désignation des membres de la Cour constitutionnelle par l’Assemblée provienne du Bureau de l’Assemblée lui-même est la meilleure preuve du vice d’équité politique qui l’entache. Mais la Cour Constitutionnelle en a décidé autrement. Et, à propos du non respect de l’équité politique soulevé par le requérant, la Cour étayait ses considérants en ces termes :
« Considérant que l'article 18 du Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale ne prescrit que deux conditions pour la nomination des membres de la Cour Constitutionnelle, à savoir l'avis préalable de la conférence des Présidents et la désignation desdits membres par le Bureau de l'Assemblée Nationale au scrutin secret ; que l'article 135 de la Constitution a clairement défini les critères de nomination des membres de la Cour Constitutionnelle ; que les dispositions sus-visées ne prévoient pas, au niveau de la désignation des membres de la Cour, la représentation de toutes les tendances politiques existant au sein du Bureau de l'Assemblée Nationale ; qu'au demeurant, les membres de la Cour Constitutionnelle doivent être indépendants par rapport aux Institutions qui les ont nommes et aux partis politiques pour mener à bien la mission qui leur a été confiée ; qu'en conséquence, le moyen tiré de la violation du principe de la configuration politique du Bureau de l'Assemblée Nationale est inopérant
La Cour considère donc qu’en l’absence d’une prévision par le législateur de la représentation de toutes les tendances politiques existant au sein du Bureau de la l’Assemblée nationale, et qu’au vu de la nécessaire indépendance de la Cour et de ses membres, le moyen tiré de la violation du principe de la configuration politique du Bureau de l'Assemblée Nationale par le requérant, fût-il membre de ce même Bureau, est inopérant, c’est-à-dire nul et non avenu.
Or, maintenant, voici qu’invitée par des requérants proches du pouvoir à statuer sur la constitutionnalité de l’élection des membres de l’Assemblée à la Haute Cour de justice, la même Cour, par décision DCC 09-002, du 8 janvier 2009, s’appuie en ses considérants décisifs sur le même principe de la configuration politique de l’Assemblée en ces termes :
« Considérant que ce droit se traduit au sein de l’Assemblée nationale par le respect de sa configuration politique, reflet des deux composantes que sont la majorité et la minorité parlementaires, et ce, quel que soit le nombre de groupes parlementaires composant l’une ou l’autre de ces deux catégories ; que la prise en compte de cette configuration politique implique la répartition proportionnelle dans la désignation des députés appelés à représenter l’Assemblée nationale en tant que Corps, à animer ses organes de gestion ou à siéger au sein d’autres institutions de l’Etat ; (...) que s’il est vrai que ni la Constitution, ni la loi organique sur la Haute Cour de Justice, ni le Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale n’ont expressément prévu une procédure spécifique pour cette élection, il n’en demeure pas moins que la mise en’ œuvre de ces prescriptions doit se faire conformément aux exigences de la démocratie pluraliste, sur la base de la représentation proportionnelle majorité / minorité, principe à valeur constitutionnelle ; Considérant que dans le cas d’espèce, l’Assemblée nationale a désigné le 19 décembre 2008 les six députés devant siéger à la Haute Cour de Justice uniquement au sein de la majorité parlementaire, en méconnaissance des droits de la minorité ; qu’il y a lieu de dire et juger que cette désignation viole la Constitution ; »
Or l’esprit de la requête du député Sacca Fikara se fondait sur ce principe en ces termes :
Considérant que les dispositions de l'article 15 du Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale constituent la mise en œuvre de celles de l'article 52 alinéa 1 de la Constitution ; qu'il en résulte qu'elles font partie du bloc de constitutionnalité « : ... la désignation des quatre (4) membres de la Cour Constitutionnelle a été faite par la seule tendance FCBE du Bureau de l'Assemblée Nationale au détriment des trois autres (AR, FE, UNDP) ; ...il y a lieu de déclarer que les personnes désignées et nominées au titre de l'Assemblée Nationale l'ont été en violation des dispositions de l'article 15 du Règlement Intérieur, texte à valeur Constitutionnelle.
Mais la décision DCC 08-065 DU 26 MAI 2008 a passé outre en l’espèce le respect de ce principe, jugeant qu’il n’était pas opérant dans ce cas. Si la Cour reconnaît la validité du principe de l’équité dans la configuration politique du Bureau de l’Assemblée, elle se défend d’exiger que ces modalités spécifiques soient extrapolées au niveau des actes de ce Bureau, aussi constitutionnels fussent-ils, comme ceux qui touchent à la désignation des membres de la Cour Constitutionnelle.
En clair, la Cour défend le principe de l’équité politique lorsqu’il s’agit des membres de la Haute Cour mais lorsqu’il s’agit des membres de la Cour Constitutionnelle elle le récuse. Bien sûr si de grandes similarités existent entre ces deux institutions juridiques, elles ont aussi des différences non-négligeables entre elles en termes constitutionnels et fonctionnels. Ainsi, les représentants de l’Assemblée nationale dans ces deux juridictions n’ont pas les mêmes statuts ; dans un cas, ils ne sont pas issus de l’Assemblée alors que dans l’autre, ils en sont de fait membres. De plus dans un cas, ils ne sont pas élus, du moins pas par la représentation nationale, et dans l’autre, ils le sont. Mais quoi qu’il en soit, et en dépit de ces différences, rejeter le principe de l’équité politique dans un cas cependant qu’on le reconnaît pour l’autre relève d’une appréciation impaire, et marquée par une attitude de deux poids deux mesures.
Cette contradiction apparente justifie le tollé médiatico-politique soulevé par la récente décision de la Cour Constitutionnelle. Bien sûr, la position de la Cour est délicate, il faut le reconnaître. En effet, elle ne pouvait pas reconnaître le bien fondé d’une requête tendant à invalider sa propre existence, puisque c’est à cette irrégularité originaire qu’elle doit sa composition. Mais elle avait dès lors un devoir de cohérence à exercer. Ce qu’elle a manqué de faire par sa dernière décision. Tout se passe donc comme si ses décisions hautement politiques n’ont pour seule cohérence que la nécessité de veiller à protéger les intérêts politiques du pouvoir. Au détriment de la cohérence sinon de la logique.
Mais doit-on pour autant l’affirmer sans ambages comme la presse et l’opinion s’en donnent à cœur joie de le faire sans prendre des gants ? Si le soupçon de collusion avec le pouvoir est fort, force est de reconnaître que l’incohérence de la Cour constitutionnelle à travers ces deux décisions trahit aussi une insécurité existentielle qu’il faut comprendre.
Binason Avèkes
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