Abomey - Singbodji 10 Décembre 2006.
par Jean PLIYA,
Ecrivain - Historien.
Avertissement
Le texte de ce discours n'a pu être intégralement présenté le 10 décembre 2006 à Abomey, lors de la cérémonie d'ouverture officielle du Centenaire, en raison des contraintes de temps.
En le publiant in extenso nous donnons à tous, la possibilité d'accéder pleinement au message qui nous a été demandé pour présenter sa Majesté le Roi GBÊHANZIN.
Quel hommage digne de sa gloire pouvons-nous rendre au grand Roi GBÊHANZIN ?
A la veille de sa reddition au Général DODDS à Goho, il fit, avec ses soldats morts au combat, le pacte de la suprême fidélité. Lui est mort en exil, à Alger en déportation, loin de sa terre natale. Vingt-deux ans plus tard, ses cendres revinrent au Dahomey, lorsque la crainte des colons de voir les populations s'agiter se fût quelque peu apaisée. Mort dans des conditions iniques, GBÊHANZIN méritait un hommage exceptionnel. La postérité le lui a rendu. Officiellement proclamé Héros National par la République du Bénin, sa renommée s'étend aujourd'hui hors des limites de son pays, à l'Afrique et au monde. Quel hommage mérite donc ce souverain ?
GBÊHANZIN, le combattant de la liberté, est plus grand que son vainqueur, plus grand couché que debout. Il a acquis sa stature de héros en affrontant l'armée d'un Etat puissant, la France, comme Toussaint LOUVERTURE, le champion de l'indépendance de Haïti, originaire du DanxomE, qui tint tête aux troupes de NAPOLÉON 1er.
Roi GBÊHANZIN ! La plus grande mission que tu as accomplie a été d'aimer ton peuple et ta patrie jusqu'à leur sacrifier ta vie. Tu as voulu leur liberté, leur indépendance. Tu t'es battu et tu as résisté pour les conserver, pour sauver l'unité de la Famille Royale et de la Dynastie de HOUÉGBADJA.
La boucle est donc bouclée. Et la semence a germé. Les bourgeons gonflés de sève nouvelle ont éclôt. Ils s'épanouissent de nos jours dans un contexte politique d'heureux changement, nouvelle chance pour sauver l'héritage historique de GHÉZO et de GLÈLÈ, de GBÊHANZIN et d'AGOLI-AGBO. Aujourd'hui, le défi lancé aux descendants des Souverains victimes du colonialisme est d'avoir la sagesse de résister à la désagrégation, de transcender les rivalités, les incompréhensions, les suspicions, les divisions, et d'éteindre définitivement les querelles d'antan. Ainsi redeviendront-ils des ferments nouveaux pour la survie des ancêtres. Voilà pourquoi cette commémoration a été placée sous le signe de la réconciliation. On n'a pas le droit d'avoir été grand Seigneur et de redevenir un valet sans prestige.
Quels facteurs ont donc formé le Roi GBÊHANZIN ? Quelles racines profondes l'ont porté et soutenu ? Comment expliquer la vigueur du tronc, la luxuriance des branches et des rameaux ? L'on connaît assez bien les actes du Roi nationaliste qui a résisté à la conquête de son pays, le personnage historique au destin fabuleux. Mais comment a-t-il acquis sa personnalité toute en contrastes, admirée des uns, critiquée par les autres ?
Le prince AHOKPONOU GNACADJA, alias KONDO LE REQUIN, alias GBÊHANZIN AÏDJRÈ s'est longuement préparé avant d'accéder au trône, mais bref a été son règne. Il a rêvé de grandes choses mais il n'a pas eu le temps de les réaliser. Il a été forgé par son éducation, les traditions dynastiques du Royaume d'Abomey, des initiations occultes et par les événements imprévisibles de son règne mouvementé. L'exil à la Martinique noblement assumé, l'a grandi et l'a révélé dans sa petite famille d'outre-Atlantique, comme un grand-père qui pose sur les êtres un regard de tendresse insoupçonnée.
I - LES RACINES FAMILIALES
Qui était le Roi GBÊHANZIN ?
Dans un article sur GBÊHANZIN publié par un journal français, « Le Petit Journal », n° 74, du 23 Avril 1892, on a estimé que le Prince AHOKPONOU, fils du Roi GLÈLÈ et de AKOSSOU MANDJANOU, une humble femme d'Abomey-Calavi, sur le lac Nokoué, était âgé de 48 ans. Il est devenu Roi le 1er Janvier 1890, donc à quarante-six ans environ, dans la force de l'âge. Dans la mesure où cette estimation est crédible, GBÊHANZIN serait né vers 1844 et avait donc 14 ans à la mort de son grand-père, le Roi GHÉZO, c'est-à-dire à l'accession au trône de son père le Roi GLÈLÈ en 1858. Celui-ci s'était attelé à défendre l'indépendance du royaume et à raffermir la puissance de la tradition. L'éducation du jeune adolescent a été confiée au grand oncle de son père, ADANDOZAN, qui régna effectivement pendant vingt-et-un ans et dont le nom ne fut pas retenu sur la liste dynastique. C'était un homme d'intuition et de contradiction, à la personnalité forte mais fantasque. Hostile à la pénétration étrangère et au commerce des esclaves, il avait une vision précise des réformes économiques indispensables. GBÊHANZIN a reçu de ce précepteur une rigoureuse discipline.
Dans ses relations avec la grande Famille Royale, le fait que GBÊHANZIN soit le seul fils de sa mère, et pas l'aîné de son père, l'a un peu isolé. Il a donc appris l'art de se maîtriser et de surprendre l'adversaire par des réactions inattendues. Son parcours a été marqué par des nœuds de relations difficiles, d'intrigues déjouées. Il lui a fallu de l'habileté pour triompher et survivre.
Le Roi GLÈLÈ manifestait au prince AHOKPONOU une estime particulière susceptible de provoquer la jalousie de ses frères. Il le consultait souvent et le protégeait. Aussi le prince AHOKPONOU exécutait-il avec zèle la volonté de son père. Un jour le Roi le convoqua au palais avec un autre prince. Tandis que ce dernier traînait le pas, AHOKPONOU qui se lavait sortit aussitôt, la tête couverte de mousse de savon. Il s'enveloppa hâtivement d'un pagne et courut vers le palais.
« Pourquoi es-tu dans cet état ? » s'étonna le Roi.
« Un appel de mon souverain a la priorité sur tout ce que je fais, » répondit le prince AHOKPONOU.
Le prince respectait scrupuleusement les traditions, au point d'en remontrer, en la matière, à ses grands frères négligents qui n'hésitaient pas, en représailles, à le traiter durement.
Homme de culture, artiste compositeur de talent, le Roi GBÊHANZIN maniait bien les genres littéraires de Totalité. Son chant d'adieu pour honorer ses compagnons morts dure, à l'enregistrement, près de quarante minutes. J'en ai tiré l'essentiel du discours d'adieu de ma pièce « Kondo, le Requin ». GBEHANZIN était un grand connaisseur en pharmacopée locale. Mais il recourait aussi à des recettes thérapeutiques empruntées aux pays voisins.
Il a noué des relations diplomatiques avec l'Allemagne et d'autres puissances européennes. Mais la complicité des signataires de la Conférence de Berlin (1885) qui avaient résolu de se partager l'Afrique ne pouvait jouer qu'en sa défaveur. Ses lettres aux autorités françaises étaient solidement argumentées. Non content d'écrire, il a envoyé une délégation de quarante membres au Président Français Sadi CARNOT. A Paris, on n'a pas fait grand cas de ses émissaires. Ils furent laissés seuls dans leurs chambres d'hôtel ou exposés comme des bêtes curieuses au Jardin d'Acclimatation. Ce mauvais accueil ajouté au froid les obligea à revenir bredouilles au Danhomè (cf. le « Petit Journal » du 2/12/1891) « Le Petit Journal » écrivait de GBÊHANZIN qu'il était très intelligent, dissimulé, passant du sourire à la plus violente colère et se calmant avec la même facilité. De taille moyenne, ses yeux très doux sont charmeurs au repos, mais deviennent féroces quand il parle de la France ». Il est devenu le prince héritier du trône en 1875, dans un contexte de rude compétition, trois ans après le décès du précédent dauphin, le prince AHANHANZO. Il aura donc attendu quatorze ans avant d'accéder au pouvoir sous le nom fort de GBÊHANZIN AÏDJRÈ.
Le grand rêve de GBÊHANZIN était la préservation de l'intégrité territoriale du Royaume, la continuité dynastique de HOUÉGBADJA, l'unité de la Famille Royale, l'union qui fait la force et stimule l'intelligence.
Un atout majeur de GBÊHANZIN a été l'héritage de ses prédécesseurs. Il a pu s'appuyer sur une organisation politique fortement centralisée et hiérarchisée qui confère au Royaume une réelle homogénéité. Aussi peut-il se réfugier dans le Nord et demeurer populaire jusqu'à sa reddition en janvier 1894, quoique la guérilla qu'il menait se heurtait au ressentiment et à la méfiance des habitants du pays MAXI et NAGO, zone d'incursion constante du Royaume d'Abomey.
Après la prise d'Abomey, GBÊHANZIN, dans la brousse-maquis, était introuvable. Toutes les tentatives de capture échouèrent. Durant quatorze mois, de campement en campement, par Yêkanmè, Atchédégbé, Lohou, Détohou, Gogbali et Kpètèkan, GBÊHANZIN était insaisissable. Ce fut le prétexte pour le Général DODDS de faire pression sur ses frères et sur la population qui payait un lourd tribut en vies humaines. En outre la rumeur courait que les Français envisageaient d'installer sur le trône d'Abomey le Roi TOFFA de Porto-Novo. Affront inadmissible, odieux chantage qui poussa GBÊHANZIN à protester dans une lettre du 23 Avril 1893 au Colonel LAMBINET qui assurait l'intérim de DODDS et qui aurait pesé dans la décision de GBÊHANZIN de se rendre pour que son frère GOUTCHILI soit intronisé.
Après son règne mouvementé de quatre années, il subit un long exil de douze ans à la Martinique. Transféré à Blidah en 1906, il mourut la même année à Alger, à soixante-huit ans.
II - LE DESTIN DE GBÊHANZIN
A suivre...
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