Comment on peut acheter le Bénin
Avec l’arrivée au pouvoir de Yayi Boni, l’espoir d’un changement s’était levé. L’aspect moral de cet espoir concernait en priorité l’éradication de la corruption. Mais très vite l’espoir a fait long feu. Ceux qui devaient être interrogés sur leur gestion ne l’ont pas été. Mathieu Kérékou n’est pas inquiété comme s’il était irréprochable ou absolument innocent ; un audit a été réalisé qui était censé porter à la connaissance du public ceux qui ont failli ; mais cette initiative est restée lettre morte. Entre temps le pouvoir fidèle à sa méthode populiste a choisi un bouc émissaire spectaculaire en la personne de Sefou Fagbohoun. Celui-ci, parce qu’il n’était pas en bon terme avec Kérékou a été facilement et spectaculairement embastillé ; comme si en matière de lutte contre la corruption sous l’ancien régime on cherchait à opposer les caïds aux séides ; les rois aux princes. Puis dans la foulée, un ancien Ministre, chez qui on aurait prétendument trouvé une somme d’argent liquide en grande quantité, a été embastillé ; on embastilla aussi un autre ancien Ministre dont la gestion présumée du dossier de la Lépi laissait à désirer. Pour boucler la boucle on a entendu parler de milliards détournés par des députés du nouveau régime mais ces annonces n’ont pas donné lieu à une réaction appropriée. Tout au plus ont-elles servi au pouvoir à détourner l’attention du public des vraies questions, et à faire croire au passage à l’impartialité politique du régime dans la lutte contre la corruption. Bien sûr on peut parler d’impartialité politique en matière de corruption, à condition de ne pas parler de lutte : l’impartialité c’est la collusion des corrompus de tous bords. Dans le fond, il n’y a pas de lutte contre la corruption, mais la seule lutte qui fait rage est celle qui instaure la toute-puissance mystérieuse de l’impunité. Dès lors la lutte contre la corruption apparaît comme un vœu pieux, et un consensus frauduleux. L’une des raisons de ce consensus frauduleux réside dans la représentation sociale de la notion de corruption. Et du fait que tous nous n’y mettons pas la même chose, c'est-à-dire que ce que nous y mettons dépend bien souvent de notre situation économique, sociale et politique.
Quand le peuple parle de corruption, il parle de ces hommes politiques qui du jour au lendemain roulent carrosse, élèvent des châteaux, exhibent une noria de limousines et soutiennent des maîtresses aux quatre coins du pays, bref un train de vie que rien ne justifie légalement. Le peuple en pensant ainsi ne pense pas à l'oncle ou au frère douanier qui s’enrichie illégalement à force de pots de vins ou de commissions illégales sur les produits de l’import/export. De son côté, l’homme politique – Ministre, député ou président – lorsqu’il parle de corruption ne pense pas aux fausses factures, aux manipulations budgétaires, aux commissions indues, à l’attribution irrégulière des marchés, aux passe-droits, etc. bref on est en pleine cacophonie. Or pour lutter contre la corruption, il faut d’abord commencer par lutter contre cette atomisation fonctionnelle de sa représentation sociale.
Sous le mot corruption se cachent des pratiques et des actes divers. Le dictionnaire nous dit que la corruption concerne les « moyens que l’on emploie pour faire agir quelqu’un contre son devoir, sa conscience ; fait de se laisser corrompre » Or donc c’est sans doute pour faire vite que l’on emploie le mot corruption alors que ses pratiques et ses implications sont diverses. Au Bénin, on distinguera deux formes de corruption : la petite corruption et la grande corruption. La «petite corruption quotidienne», banalisée et systémique, s’observe au sein de la sphère publique ; elle est fortement liée au «fonctionnement réel» quotidien des services de l’État. Selon une étude sur le sujet, « les formes élémentaires et les stratégies de cette corruption sont enchâssées dans un contexte "dysfonctionnel " de production de services publics et trouvent leur légitimation dans des logiques sociales et économiques.»
Le tableau ci-dessous représente les formes élémentaires de la corruption, la nature des interactions qu’elles mettent en jeu et les catégories juridiques afférentes :
Formes élémentaires | Nature de l’interaction | Catégories juridiques |
Gratification | Transaction spontanée | Corruption |
Commission | Transaction négociée | Corruption |
Piston, faveurs, népotisme |
Transaction spontanée |
Trafic d’influence
|
Paiement indu ou privatisation de la fonction ou extorsion | Transaction spontanée | Concussion |
Tribut | Extorsion | Concussion |
Perruque | Appropriation | Détournement de biens publics, abus de biens sociaux |
Détournement | Appropriation | Détournement de biens publics, abus de biens sociaux |
La grande corruption quant à elle concerne d’une part les milieux d’affaire en liaison avec les hommes politiques. Elle possède des ramifications politiques et des domaines privilégiés (bâtiment et travaux publics, etc. ), et communique parfois avec les trafics internationaux de toutes sortes. A côté de cela, elle se caractérise par l’impudeur et la cupidité sans frein de certains hommes politiques de haut niveau.
L’une des erreurs à moins que ce ne soit une tactique électorale du régime actuel c’est d’avoir fait croire et laisser le peuple croire que la corruption ce n’est pas celle à laquelle chacun s’adonne au quotidien mais plutôt celle de quelques ennemis politiques désignés, qu’il suffit de balayer pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Or non seulement le pouvoir n’a pas été en mesure de faire rendre gorge à ces boucs émissaires, mais il s’aperçoit un peu tard et contrit que la corruption est un fléau multiforme, un iceberg socioéconomique dont la partie émergée souvent politique est plus symbolique qu’autre chose. Changer, faire le Changement en matière de corruption ce n’est donc pas – du moins pas seulement – embastiller spectaculairement un Sefou Fagbohoun ou un Alain Adihou. C’est d’abord et avant tout être soi même irréprochable sous ce rapport ; ensuite mettre en place une ère et une politique susceptibles de changer les habitudes et les pratiques de corruption. Cela suppose de les connaître, de les identifier et de reconnaître aussi leur ampleur et leur sous-bassement socioculturel et économique. Et la lutte contre cette corruption-là devrait être une lutte graduée et de longue haleine ; elle doit mettre en jeu la répression, mais aussi l’éducation, la redéfinition et l’intériorisation par tous du rôle de l’état, et de l’exercice sans exclusive ni privilèges de l’autorité de la loi.
Faute de comprendre cela, et pire à vouloir jouer inconsidérément avec la représentation sociale atomisée de la corruption, on succombe soi-même aux délices subtiles de la corruption ; et on en arrive au paradoxe apparent où les vieux adeptes de la cuiller à café s’en donnent à cœur joie d’en remonter aux nouveaux stratèges de la louche ; et pour cause : un homme politique important du régime actuel n'aurait-il pas dit en privé qu'il a en trois ans suffisamment amassé de l'argent pour acheter le Bénin... ?
Binason Avèkes
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