BRÈVE HISTOIRE DE LA LIBERTÉ DE PRESSE AU BÉNIN
La création des journaux a été favorisée par la constitution assez rapide d'une classe d'intellectuels sortis des premières écoles fondées par les Pères des Missions africaines pour soutenir leur oeuvre de colonisation. L'arrivée de ces missionnaires remonte à 1860, et dans les écoles qu'ils fondèrent dans les villes d'Agoué, de Porto-Novo et de Ouidah sortiront des élèves bien armés pour jouer le rôle d'éclaireurs des populations face aux abus de l'administration coloniale.
Il faut signaler le retour sur le territoire dès la fin du 19è siècle des anciens esclaves libérés grâce aux campagnes d'abolition. Appelés " Brésiliens " parce que descendant des esclaves ayant fait souche au Brésil, ils renforceront la classe des intellectuels qui feront du journal un redoutable instrument de lutte pour la promotion des idées de progrès et de justice sociale.
Une cause à défendre, une campagne électorale qui s'annonce, voire des querelles de famille ou une polémique entre " évolués ", et les principaux protagonistes font paraître le journal qui expose leurs positions. En 1973, Marie- Antoinette Adissoda a recensé trente-sept (37) titres parus au Dahomey de 1890 à 1939 ".
Le journal jouait le rôle d'un véritable " arbre à palabre ", une tribune où l'intellectuel (l'akowé) pouvait atteindre plus de monde. C'est ainsi que le rapport d'un administrateur colonial fait ressortir que " chaque feuille est lue dans les villages, chaque article est profondément diffusé et commenté dans les cases ".
Pourtant, la création d'un journal n'était pas une mince affaire. Avant la première guerre mondiale, les Dahoméens, pour la plupart n'avaient pas l'autorisation de faire paraître des journaux. Seuls les commerçants français de la colonie, aux termes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dans les colonies, étaient susceptibles de se livrer à cette activité.
En 1917, des Dahoméens sujets français lancèrent une feuille clandestine le Récardère de Béhanzin dirigé par l'Instituteur Louis Hounkanrin dont la notoriété en matière de journalisme sera établie par le procès de La voix du Dahomey. Ce journal a paru sous forme manuscrite, jusqu'à six numéros. Ses promoteurs, fonctionnaires pour la plupart et tous indigènes, décidèrent de légaliser leur action et créèrent en métropole sous la direction d'un avocat guadeloupéen à la Cour d'Appel de Paris, le Messager du Dahomey, avec l'inconvénient d'un certain retard dans la publication des nouvelles.
Face à ces difficultés, Louis Hounkanrin et son équipe tentèrent un titre dans la colonie. La situation avait connu une évolution avec la participation des colonies à la première guerre mondiale. Beaucoup d'Africains avaient été engagés pour défendre la commune patrie pendant les hostilités ; la qualité des rapports entre colonisateurs et colonisés ne pouvait rester en l'état. Démobilisés à la fin de la guerre, les Africains qui ont exposé leur vie sur les champs de bataille de l'Europe entendaient bien profiter des nouveaux avantages découlant de leur situation.
C'est dans ces conditions que Dorothé Lima, soldat démobilisé de retour au pays, demanda au Gouverneur un poste dans l'administration. Ayant essuyé un refus, il créa en décembre 1920, Le Guide du Dahomey pour dénoncer les abus du Gouverneur. Le journal disparut au bout de deux ans.
A partir de 1923, une nouvelle situation s'offre aux " Dahoméens sujets français ". Le Procureur de la République à Porto-Novo toléra la publication de journaux par les gérants sujets et les soutint chaque fois que l'occasion le permettait contre l'administration. A la longue, cette habitude devint un acquis et on ne revint plus sur la question.
Malgré tout, l'animation d'un journal était loin d'être une sinécure quand on considère la conception que les journalistes avaient de leur métier. C'est ainsi que l'on pouvait lire dans la Revue Portonovienne - n° 44 d'avril 1934 : " le journaliste est un homme de talent, un soldat qui combat non par le fusil ni par le canon mais par les idées. C'est un patriote qui se constitue le défenseur ardent des causes justes, des libertés, des droits, un avocat public, un semeur de lumière, un sauveur de la patrie par conséquent le grand ennemi acharné de ceux qui commettent des injustices. Un journaliste est un militant, un politicien, qui offre sa vie pour défendre les intérêts privés et généraux des gens en endossant des haines de la part de ceux qu'il combat. "
Cette profession de foi va conduire les principaux dirigeants et animateurs de La Voix du Dahomey devant la justice pour ce qui est considéré comme le plus grand procès fait à des journalistes dans les colonies françaises dans les années 1930. Après, le combat n'a pas cessé. Il s'est poursuivi jusqu'à l'indépendance, parallèlement aux revendications de terrain pour lesquelles les étudiants dahoméens sont réputés.
La loi du 30 juin 1960 sur la liberté de la presse fut votée. Parallèlement, le nombre de titres s'effondre pour se réduire à quelques publications scolaires et à l'Aube Nouvelle, le journal du gouvernement. Plus tard, l'Ordonnance du 4 juillet 1969 en modifiera sensiblement l'article 25, en élargissant et en renforçant les clauses d'interdiction. C'est sensiblement dans la même période que d'autres types de revendications militantes, notamment des jeunes cadres, ont provoqué de nouveaux titres tels que Kpalingan et Jeunesse Patriotique, et l'importante presse clandestine du parti communiste dahoméen.
Cette loi demeura en vigueur, sous le régime de 1972. Mais les principaux animateurs de la presse militante ont été impliqués dans des responsabilités politiques. Celle-ci succomba d'une mort naturelle, laissant le terrain, uniquement à Daho-express, puis à Ehuzu, l'organe du militantisme révolutionnaire, que concurrencèrent timidement les tracts du PCD. Quelques titres scolaires relayaient Conscience, le journal des étudiants, à la suite du 7ème Art de Richard de Meidéros. Plus tard, quelques deux ou trois titres culturels essaiment les milieux intellectuels : Prométhée, Bénin Culture, etc.
Vers la fin des années 1980, une conjoncture économique et sociale difficile fera naître deux autres organes privés qui se positionnent tout de suite comme des Don Quichotte : La Gazette du Golfe et Tam-Tam Express qui révèlent une série d'affaires dans une liberté de ton en contraste avec la réputation de la presse au Bénin. Ces exemples de lecture judicieuse de la loi en ont inspiré d'autres et, depuis, cela n'a pas cessé.
Ainsi, le Bénin demeura un champion de la lutte pour la liberté d'expression. Ce symbole se décline aujourd'hui dans la quantité impressionnante de titres et la liberté totale de la presse qu'envient tous ses voisins.
In "Le mouvement intellectuel au Bénin"
Par Noël Allagbada, publié 01/10/2000
Noël Allagbada est Vice président de la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la communication
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