De l'Effet des Sentiments sur la Scène Politique
La culpabilité est un sentiment qui nous travaille de l’intérieur et qui nous met face à nous-mêmes. C’est en fonction d’elle que nous avons plus ou moins la conscience en paix. En dépit des raisons extérieures que nous invoquons, elle détermine dans l’ombre nos actes et met en scène nos actes manqués. Il s’agit là d’une loi psychologique.
Yayi Boni, dans son rapport avec le recours aux ordonnances ne déroge pas à cette loi. D’une manière générale, bien que prévue par la constitution, les ordonnances sont vues comme un acte autoritaire de la part de celui qui en use. Ici le chef de l’Etat. A tort ou à raison, à son corps défendant, Yayi Boni n’a pas bonne presse en matière d’observance stricte des règles de la démocratie. Au nom d’un réalisme pragmatiste attisé par la bonne volonté populiste, il privilégie la fin aux moyens, et ne donne pas cher des contraintes formelles qui sont au principe de la culture démocratique. Ce n’est pas par hasard si, depuis son élection en mars 2006, le Bénin ne brille plus de tout l’éclat du havre de paix démocratique qu’il était. Dans certains baromètres internationaux qui mesurent le respect des valeurs démocratiques et de la liberté d’expression, le Bénin, depuis 2006, recule inexorablement année après année.
Dès lors, une décision politique comme la prise d’ordonnance pour gouverner dans un pays de droit, même lorsqu’elle est justifiée, semble corroborer ces jugements ; elle s’inscrit dans une tendance à l’autoritarisme dont les effets rejaillissent sur l’image de notre pays.
On peut donc comprendre que la prise d’ordonnance ne va pas sans une certaine mauvaise conscience, un sentiment de culpabilité. En effet dans la constitution cette prérogative revient indiscutablement au Président et nul ne songe à la lui contester. Toutefois la constitution stipule bien les conditions du recours aux ordonnances : lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national ou des engagements internationaux sont menacés. Bien sûr, la constitutionnalité d’une décision politique donne lieu comme toujours à une passe d’arme rhétorique entre l’opposition et le pouvoir ; entre ceux qui la dénoncent et ceux qui l’énoncent. A commencer par le Chef de l’Etat lui-même pour qui toute menace sur sa volonté de gouverner en rond, ou les chances de réaliser son programme politique peut être tenue pour une menace constitutionnellement reconnue. C’est dire que la menace invoquée par le texte constitutionnel est volontiers mise à toutes les sauces.
Mais la vérité souterraine sourd au niveau de la culpabilité. Et ici le chef de l’état la trahit à deux reprises. En effet la constitution qui reconnaît au Président le droit d’user dans certaines conditions des ordonnances n’impartit pas les conditions médiatiques et sociales de sa mise en jeu. Et pourtant, avant de prendre sa première décision d’ordonnance le président a saisi la Cour Constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes et synchronisant son rythme sur celui du gouvernement, a déclaré inconstitutionnel le blocage du parlement ; ce qui a ouvert la voie (morale) à la première ordonnance du chef de l’Etat. Mais si la constitution prévoit certaines consultations préalables, nulle part il n’y est écrit que la prise des ordonnances est conditionnée à une reconnaissance de l’inconstitutionnalité des situations qui conduisent le Président à y faire recours. A preuve, le second recours s’est bien passé d’inviter la Cour dans le jeu ; ne serait-ce que pour ne pas éveiller les soupçons sur l’instrumentalisation de celle-ci. Mais la mauvaise conscience est toujours à l’œuvre. C'est elle qui rend raison de la grand’messe où le chef de l’Etat a réuni les membres du gouvernement, les acteurs sociaux, la société civile, ses amis les rois et les religieux afin de les prendre à témoin, et leur expliquer le bien fondé du prochain recours...
Dans tous les cas, ces préalables ou rituels n’ont rien de constitutionnel. Ils ressortissent de la seule volonté de leur auteur. Ils sont la traduction du fait que dans son for intérieur le président ne mène pas large. Et que sa conscience lui parle et il a besoin de se justifier...
En soi ce besoin est un sentiment humain ; malgré le caractère léonin du passage en force, il est la preuve que la conscience reste le référent éthique de l’action politique. Ce qui en revanche est inquiétant c’est le mode de procédure que met en jeu la culpabilité. La tendance qu’a Yayi Boni de substituer une référence de complaisance à la référence légale; de préférer une instance immanente à une émanation politique; de s’inventer par glissement de nouveaux interlocuteurs sans tenir compte de la loi.
La tendance à se détourner des interlocuteurs constitués pour s’en choisir des conventionnels porte en elle le germe d’un refus implicite du fonctionnement normal des institutions démocratiques. Souvent, cette tendance n’est pas dénuée de mauvaise conscience. Le besoin de se justifier qu’elle suscite a une double issue. Il peut par orgueil ou par autoritarisme se noyer dans la dénégation théâtrale, fuite en avant qui fait le lit de nouvelles culpabilités ; mais il peut aussi se dépasser dans une attitude responsable ouverte au dialogue, clé d’une vraie gouvernance concertée. En politique comme ailleurs, la culpabilité peut être un élément utile de la dynamique des rapports humains. A condition de la considérer à sa juste valeur et de savoir en tirer le meilleur. Faute de quoi, l’apaisement politique qui conditionne le développement socioéconomique de notre pays est compromis pour longtemps.
J-Ch. Adétonan
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