Pourquoi Construire une Assemblée Nationale Quand c’est si Bon de Gouverner par Ordonnance ?
Dans les temps préhistoriques, lorsque l’humanité était encore dans ses limbes, on peut imaginer qu’il y avait des champions de la pierre polie, et des champions de la pierre taillée. De nos jours et au Bénin, nous avons un champion de la pierre posée et c’est notre Président. En moins de trois ans, Mr Yayi Boni, le bien nommé docteur, est passé champion dans la pose des premières pierres. C’est pourtant là un rituel déphasé, qu’on peut considérer comme indigne d’un homme pragmatique comme lui. En effet quand on veut construire on construit. On ne s’embarrasse pas de cérémonie. Ce type de rituels, relique d’un passé de médiocrité théâtrale, semble pourtant bien intériorisé par le timonier du Changement. Comme beaucoup de rituels qu’il identifie à sa fonction, Yayi Boni adore les poses de premières pierres, forme lapidaire de l’inauguration des chrysanthèmes. Les mauvaises langues disent qu’il ne fait que ça. Et que le paysage béninois du Nord au Sud est hérissé de ces pierres sans lendemain qui languissent d’être abandonnées à leur sort.
Mais même s’il y a du vrai dans cette critique, Yayi Boni essaie de la démentir. Et il a à sa défense des faits tangibles et concrets. Villa Censad, routes à Cotonou, rond-point de Godomey, Péage d’Ahozon, etc. sont à mettre à son actif. Des ouvrages construits, en construction ou à construire semblent s’inscrire dans une stratégie du développement. Si on veut que l’économie marche, il faut que tout ce qui la facilite, notamment les transports soient à disposition et fonctionnent. C’est une condition nécessaires, certes pas suffisantes. Il suffit d’aller voir l'abondance et le panache de ces types d’infrastructures au Nigeria voisin pour rester prudent. Mais au-delà de ce raisonnement développementariste primaire, il y a beaucoup de raisons qui expliquent le dévolu jeté par Yayi Boni sur les infrastructures, mais aussi les édifices. D’abord, il y a sans doute le mode de financement qui est ponctuel, et sa nature ou origine. C’est parfois le truchement d’une manne exceptionnelle qui rend la chose possible, comme ça a été le cas avec les villas Censad et la réfection ou le tracé de routes à Cotonou ; ou bien l’intérêt que les « partenaires au développement » portent à tel ou tel tronçon particulier à telle ou telle infrastructure dont la réalisation avantage leurs affaires. Il y a aussi le fait qu’en général chez nous lorsqu’une bâtisse ou une route est construite, le gros est fait et comme la culture de l’entretien est à ras des pâquerettes, on considère que la mission est accomplie. Allez voir dans quel état se trouvent actuellement des ouvrages construits dans notre pays, il y a seulement une vingtaine d’années et vous verrez que la logique du bon débarras qui pousse à leur réalisation tout juste à des fins de retombées politiques, de corruption ou de détournements est toujours en vigueur.
Pour Yayi Boni, il y a surtout le fait que ces infrastructures ont l’intérêt médiatique d’être visibles et peuvent servir à émouvoir ou mouvoir les masses, les convaincre du fait que ça bouge ; que le Président réussit, que le pays progresse dans la mesure où l’analphabétisme des masses est mise à contribution pour les convaincre en dépit du bon sens que le progrès ou le développement se mesurent à ces apparences infrastructurelles quand bien même au quotidien on a le ventre vide, on est mal logé ou on ne peut se soigner quand on est malade, etc...
D’ailleurs, dans les contrées politiquement hostiles ou bien là où cette visibilité n’est pas politiquement rentable, le pouvoir ne se décarcasse pas. Ce qui renforce bien l’idée que, loin de s’inscrire dans une démarche de construction nationale, cette agitation infrastructurelle est d’abord et avant tout un investissement politique partisan au frais de l’Etat. Et à contrario, les œuvres sociales non extensives mais d’une utilité sociale intensive bénéficient d’une moindre implication de la part du Pouvoir. Ou en tout cas elles ne sont pas conçues avec le même dessein médiatique. Lorsqu’elles sont considérées, souvent la précipitation ou l’amateurisme avec lesquels elles sont abordées montrent bien que, là aussi, seul leur bénéfice médiatique est valorisé (cf. les dysfonctionnements de l’initiative de crédit aux pauvres, ou la politique de gratuité de l’école, etc.) Combien d’hôpitaux, institution sociale exemplaire, bénéficient de l’attention effective du gouvernement ? Combien de syndicats ont bénéficié d’une écoute réelle preuve du progrès substantiel du dialogue social ? Pas des masses. Au contraire, les grèves et débrayages à répétition prouvent si besoin en est que le pouvoir ne privilégie pas ces secteurs d’investissement dont les retombées médiatiques sont sujettes à caution. Ces engagement intensifs ne présentent pas l’avantage de la visibilité en même temps qu’ils sont budgétivores et constituent de véritables tonneaux des Danaïdes. D’où la discrétion relative du gouvernement, son attentisme et sa difficulté à prendre le taureau social par les cornes. A moins que ce ne soit là encore que par le seul flanc de la rentabilité médiatique comme le prouvent les décisions sur la gratuité de l’école ou des soins de santé de 0 à 5 ans, décisions qui en fin de compte sont si mal ficelées, mal concertées et prises dans une telle précipitation qu’elles posent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
Cette façon de procéder est guidée on le sait pas le parti-pris populiste qui est au cœur de la méthode Yayi. Peut-être est-elle en phase avec l’idée que le président se fait du changement. Sans doute pour lui, changer, c’est changer la face des choses ; changer le faciès urbain et infrastructurel. En mettre plein la vue au peuple et l’impressionner par une politique de lifting infras-tructurel dont le bénéfice politique à court terme ne dit rien du long terme avec lequel il jure souvent. Ce faisant non seulement Yayi Boni impressionnera, pense-t-il, le peuple mais aussi endossera-t-il à ses yeux la tunique prestigieuse du bâtisseur prométhéen. Le timonier du Changement touche ainsi à un symbole car dans l’imaginaire du peuple, on est vite passé de l’image du constructeur de ponts et chaussées à celle de bâtisseur de la nation.
C’est d’ailleurs là que se trouve l’usage du rituel de la pose des premières pierres. Ce rituel qui se déroule à une cadence folle sous le règne de Yayi Boni, scelle dans la pierre pour le meilleur et pour le pire l’image de bâtisseur de la nation que le Président Yayi entend enfoncer dans la tête du Peuple, au besoin à coups de marteau.
Et comme toujours, on le sait, le recours à l’usage frénétique des symboles ne va pas sans contradiction. Du moins finit-il par en générer. En effet, Yayi Boni est sur tous les coups de pose de première pierre. Pour lui, pas de pause dans la pose. Insigne occasion de jouer les bâtisseurs de la nation.
La dernière pose en date de première pierre porte en elle sa propre contradiction. Il s’agit de la pose de la première pierre de l’Assemblée nationale. Chiche, on ne peut que souhaiter bon vent à cette initiative haut en couleur ! Souhaiter qu’elle aille à son terme final pour que la construction d’une vraie Assemblée au Bénin connaisse sa dernière pierre.
Mais, comme dans maints cas touchant au fonctionnement de la démocratie sous nos cieux, la contradiction affleure à l’esprit sous forme de question : Pour Yayi Boni quel sens cela a-t-il de construire une Maison des Députés, si c’est pour se passer d’eux et gouverner sans états d’âme par ordonnance ? Question pour un Président-Champion de la pierre posée...
Binason Avèkes
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