Cher Pancrace,
J’ai reçu ta dernière lettre ; et comme toujours elle m’a mis le cœur en joie. Tu y parles de l’élection de Barack Obama à la tête des Etats-Unis. La joie que tu y exprimes éclate à chaque recoin de phrase, et entre en résonance avec la mienne. Oui, comme tout le monde, je m’extasie sur cet événement ; j’en suis fier et content. Mon sentiment est enraciné dans la conscience des souffrances de notre race, et de mon ardent souhait de la voir libérée de l’étreinte diabolique du Blanc qui dure depuis des siècles.
Tu me demandes si, au regard de ce qu’elle implique, on doit considérer cette élection comme une fin en soi. C’est-à-dire, comme tu le dis, si je suis de ceux qui font l’impasse sur l’après élection. Non, bien sûr que non, loin de moi une telle idée. Entre ma joie que j'exprime haut et fort, et la considération que tu soulèves, il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour utiliser une image rugbystique, je dirai plutôt que l'élection de Barack Obama n'est qu'un essai. Un essai qu'il faudra transformer. Et c'est le plus important à mes yeux. Mon cher Pancrace, il ne faut pas se méprendre : quand je laisse libre cours à ma joie pour son élection, je ne prétends pas qu’Obama va être un bon Président pour l’Amérique. Je ne dis pas qu’il va réussir à satisfaire l’attente de millions d’Américains ou exercer un bon leadership sur le monde. D’ailleurs, l’immensité et la complexité de la tâche qu’il a devant lui, la délicatesse de sa mission médiane (métis devant contenter les uns et les autres au risque de ne contenter personne) plaident pour la prudence.
Non, la source de ma joie est ailleurs. Ma satisfaction ne tient qu’à une chose ou peut-être à deux : la fin du sinistre tunnel de George W. Bush, le plus criminel des Présidents américains ; et le symbole historique de l’élection de celui qu’on qualifie de Noir – et qui à défaut de l’être réellement, c’est-à-dire à 100% biologiquement et culturellement, l’est à 100% par le cœur et par la volonté. Et c’est l'essentiel.
Non, cher ami, je ne saurais me prononcer sur l’issue de la présidence d'Obama, sur le succès de sa politique, alors que tous les Américains ont les yeux rivés sur lui ; alors que sur lui et la nouvelle Amérique qu’il incarne, le monde nourrit tant d’espoir.
Je ne peux que lui souhaiter, du fond du cœur, bonne chance. Car au-delà des symboles, la vraie fierté des Noirs serait à ce prix. Notre joie n'est qu’une entrée en matière. Elle doit se confirmer dans ce succès, au risque d’être un feu follet, un événement symbolique mais superficiel. Comme le montre le cas sinistre de George W. Bush, le tout n’est pas d’arriver au pouvoir pour le plaisir mais d’en faire quelque chose de bien, de positif pour son pays, pour le monde, et pour l’humanité.
Cher ami, en dehors de l’espérer, ou de le souhaiter vivement, je ne veux pas parier sur le succès de Barack Obama, car cet homme a promis le changement, et l’expérience montre qu’il vaut mieux se méfier de ceux qui promettent le changement... N’y vois aucune malice ou une allusion au cas béninois. Au-delà des cas particuliers, la vérité est claire et massive : force est d’admettre que l’enfer de la politique est souvent pavé des belles promesses de changement...!
Obama, par sa constance, par l’éclat de son succès, nous a déjà étonnés. Souhaitons qu’il nous étonne en étant l’un des rares leaders politiques pour qui le changement n’est pas un vain mot.
Amicalement,
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
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