Cinéma Populiste, ou Premier Jalon de l’Émergence ?
.......Ataou Sofiano, le Monsieur Porto-Novo du système Yayi évoque les mutations à venir dans la ville et dont la pose de la première pierre de l’Assemblée nationale ne serait qu’un des signes avant coureurs. Yayi Boni veut, dit-il, engager Porto-Novo sur la voie de l’émergence. Ces effets d’annonce ne sont pas nouveaux, entre leitmotiv et rengaine, ils sont le chant de sirène de la propagande du régime. Depuis bientôt trois ans, Yayi Boni ne fait que construire des ponts, des échangeurs, des routes et de belles villas ! Et Porto-Novo profitera bientôt des effets magiques de cette libido opérandi. L’émergence rime avec cela et rien d’autre
Mais quel est le sens de cette obsession infrastructurelle du développement ? Pourquoi s’exerce-t-elle au détriment d’une approche plus structurelle ? L’infrastructurel sous-tend-il et sous-entend-il le structurel ? Les gens vont-il vivre des belles réalisations infrastructurelles et d’eau fraîche ? Pourquoi l’action du développement ne s’appuie-telle pas essentiellement sur le social et l’humain ? Pendant combien de temps, ventre affamé va-t-il passer sur des ponts, des échangeurs, rouler sur des routes ou regarder des panneaux électroniques à la gloire des projets ou réalisations chimériques du gouvernement sans succomber au vertige ?
Pourquoi ne mesure-t-on pas le bien-être à la satisfaction des besoins vitaux du peuple ? En termes d’une part : d’aide à la création d’emplois, création de PMI et de PME, valorisation du travail, exploitation des potentialités agricoles, transformation des produits agricoles, développement du tourisme, de l’artisanat et des services ; et d’autre part d’émergence des structures socio-sanitaires, de prise à bras le corps des problèmes d’éducation sans démagogie, de modernisation du système de transport public, de lutte contre la pollution, etc.
Pourquoi le gouvernement ne pense pas qu’il vaut mieux mesurer l’émergence à la capacité directe et réelle de travailler, de se nourrir, de se soigner, de s’éduquer, bref aux mieux être humain ? Et dès lors pourquoi ses annonces ne se multiplient-elles pas dans ces domaines plutôt que de se concentrer sur le seul domaine des édifices et infrastructures routières ?
La réponse à ces questions peut s’envisager sous deux angles distincts mais complémentaires. Le premier est l’usage médiatique et symbolique de la libido opérandi, mais aussi son utilité stratégique pour le développement. Cet angle nous amène à rendre raison de la politique infrastructurelle de Yayi Boni ; celle-ci peut être alors expliquée de trois manières.
Soit elle vise à démontrer que l’argent qui disparaissait avant des caisses de l’Etat sert maintenant au bien commun. Et ce raisonnement concerne aussi bien les infrastructures que certaines mesures à caractère social ; malgré le fait que celles-ci soient souvent mal ficelées et hâtivement conçues, elles ont le mérite d’exister.
La deuxième explication relève de la stratégie développementariste. Les infrastructures ouvrent le pays sur lui-même. Et elles ouvrent le pays sur le monde. Donc elles facilitent le tourisme et les investissements étrangers, etc. Le raisonnement est évident. Elle l’est moins pour l’utilité comparée des villas et autres édifices de prestige et encore moins pour les panneaux publicitaires sur les projets et réalisations du gouvernement qui, d’une façon brutale, apparaissent comme la mise en abyme idéologique de la fièvre infrastructurelle.
Enfin, il y a l’aspect symbolique qui s’inscrit dans une lutte pour imposer la vision et les cadres de vision de la nouvelle ère politique. A partir de son activité annoncée ou réalisée de bâtisseur de ponts et chaussées, cette lutte vise à construire et à persuader le peuple de l’image de bâtisseur de la nation du Président Yayi. Volonté farouche d’emporter l’adhésion autour du thème du changement, à travers un rapport à l’infrastructure qui administrerait la preuve pratique et visuelle du changement.
Le deuxième angle sous lequel on peut envisager ces questions est celle d’une déduction logique et psychologique. On sait que le Renouveau démocratique était placé sous le signe à la fois de la démocratie et du progrès économique source de bien-être du peuple. De ce point de vue, jusqu’à présent la politique de redressement puis de développement initiée par Soglo de 1990 à 1995 bat tous les records du volontarisme effectif dans ce domaine. Même si et parce que la parenthèse de dix ans de Kérékou peut-être considérée comme une régression, depuis trois ans le phénix technocratique renaît de ses cendres, porté par la bonne volonté messianique du rêve de l’émergence. Et pourtant on ne peut pas parler de déluge en matière d’avancée sociale, de création d’emplois pour les jeunes –ceux qui sortent de nos écoles de formation, des universités, comme ceux qui sont forcés d’embrasser les sempiternels apprentissages traditionnels aux filières saturées comme celles de la couture, la vulcanisation, la mécanique, la coiffure et la conduite où sévit le chômage. La déduction logique consiste à se demander si l’agitation infrastructurelle de Yayi Boni ne vise pas à masquer une difficulté chronique à aller plus loin que le bout de son nez en matière de dynamique de création d’emplois, d’investissement industriel, de développement par le travail créatif et performant ?
Comme on le voit, la première et la troisième explication du premier angle sous lequel on pouvait envisager les questions posées ici, sont d’ordre rhétorique. La première explication est implicitement brandie par le pouvoir pour porter le fer au cœur de ses ennemis, ceux-là même dont l’exclusion du partage du pouvoir participe de l’argument du renouvellement qui fait crise actuellement. L’ardeur manichéenne qui anime les zélateurs de cet argument est pourtant sujette à caution, dans la mesure où le risque est très élevé et de nombreux signes montrent qu’il ne s’agirait en fin de compte que d’un simple « Ôte-toi de là que je m’y mette. » La troisième explication du premier angle suggère et correspond à la thématique de l’émergence sans aucune précaution de relativisation, comme si, en l’occurrence l’habit ferait automatiquement le moine, c’est-à-dire comme s’il suffisait d’avoir deux ponts, un échangeur et trois tronçons de route pour émerger. Rappelons, qu’il y a toujours eu de fragiles réalisations infrastructurelles au Bénin, fragilité conforme à l’échelle d’un pays comme le nôtre : construction de ponts, de routes et quelques petits édifices. Par exemple dans la ville de Cotonou, le passage du petit pontet qui dans les années 70 reliait Akpapka à l’autre rive au deux grands ponts à deux voies qui ont suivi dans les années 80 et 2000 constitue une révolution ; et pourtant nul ne songea à mettre cette révolution au compte de je ne sais quelle émergence. Le règne de Soglo a fait sa spécialité de la politique infrastructurelle dont le point d’orgue et l’aubaine ont été l’organisation du sommet de la francophonie en 1995. Les réalisations des politiques infrastructurelles même lorsqu’elles sont structurelles et sont le fait d’aides extérieures ont toujours été brandies par le pouvoir en place, quel qu’il soit, comme la preuve de sa bonne volonté architecturale et sa volonté de progrès. Mais c’est la première fois que ces réalisations s’articulent aussi dramatiquement autour d’une rhétorique de la correspondance à une ère radicalement nouvelle et dont elles auraient mission et vocation à illustrer la spécificité. De ce fait, l’idéologie du changement bien que n’étant pas dogmatique dans le sens d’un système de pensée cohérente et totale en acte, fonctionne sur le mode de l’extatique infrastructurelle, au détriment du statique structurel.
La deuxième explication du premier angle est à première vue en faveur du gouvernement. Pour aller vers la croissance soutenue, le gouvernement se devait de faciliter les conditions de l’activité économique ; notamment à travers une politique infrastructurelle et sociale de base. Ici apparaît avec clarté la positivité de l’action du gouvernement. Mais aussi ses limites. Parce que d’une part, il ne suffit pas d’avoir de bonnes routes, des ponts, des échangeurs et de belles villas pour émerger. Il faut aussi que la mayonnaise prenne. Et pour cela il faut que tout cela débouche sur la création régulière et croissante d’emplois. Il faut donc une nouvelle mentalité, une incitation à changer notre rapport au travail, il faut exhorter le peuple au sacrifice, à une période de dur labeur dont nous ne pourrions cueillir les fruits que plus tard. Or la méthode Yayi a peur d’initier la pédagogie du sacrifice et du travail, elle se fait muette et circonspecte sur cette dimension décisive. A partir de la construction des ponts et chaussées, elle fait fonds sur l’image de bâtisseur de la nation. Mais la nation dans sa vérité et dans sa finalité est une chose plus structurelle qu’infrastructurelle. La méthode Yayi donne le sentiment de ressembler à ces camions de cinéma de plein air qui passent de contrée en contrée pour distraire les gens simples de leur réalité. Actuellement le camion est à Porto-Novo et le cinéma se met en place. L’opérateur délégué, Ataou Sofiano, déroule les bobines.
Mais en regardant l’écran sous le deuxième angle des questions soulevées ici, au-delà de l’euphorie arrangée, du donner à croire ou à rêver, on peut apercevoir en filigrane l’anguille sous la roche de notre immuable condition. Est-ce seulement un spectre que Yayi Boni veut conjurer par son cinéma infrastructurel en attendant la surprise de la mutation ? Ou bien est-ce une façon pour le régime actuel, à l’instar de ses prédécesseurs, d’en prendre son parti ?
Binason Avèkes.
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
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