PROFESSEUR ZONON : Ah, l’élection d’Obama ! Quel événement ! Un coup de tonnerre politique ! L’heure est à l’euphorie, à la joie et même au délire !
DOCTEUR H2O : C’est normal, la fierté de voir un Noir diriger le pays le plus puissant du monde ; on le voit en Afrique, les gens sont contents, le Kenya en premier...
PROFESSEUR ZONON : La question de savoir si Obama est un Noir reste quand même entière ; certes les Africains ne demandent pas leur reste ; ils ne se demandent pas si d’appeler Obama un Noir n’est pas un piège...
DOCTEUR H2O : Un piège, pourquoi donc ?
PROFESSEUR ZONON : Un piège sémantique et idéologique. Après tout, ce type est né d’une mère Blanche, qui l’a élevé dans un pays de Blancs, alors pourquoi ne tient-on pas compte de cette réalité solide et on se rue sur l’occasion et on le noircit plus que de raison...
DOCTEUR H2O : De toute façon aux Etats-Unis, il n’y a pas de mobilité ethnique ni de demi-mesure en matière d’identité ; la société est clivée : ou bien on est Noir ou bien on est Blanc ; et plus précisément quand on n’est pas Blanc, on est Noir... Même si en l’occurrence Obama n’est pas du genre "Peau Noir Masque Blanc", maladie typiquement francophone ...
PROFESSEUR ZONON : Mais le piège c’est que Blancs et Noirs n’ont pas les mêmes raisons de qualifier Obama de Noir
DOCTEUR H2O : Ah oui, pourquoi ?
PROFESSEUR ZONON : Eh bien pour les Blancs, qualifier un métis de Noir, c'est exprimer en même temps que cacher la répulsion viscérale qu’on éprouve pour lui... Pour eux un métis c’est un Noir, un point c'est tout.
DOCTEUR H2O : Et alors, se demanderait-on, un Noir qui n’est pas métissé du tout, il est quoi, un sous-homme peut-être ?
PROFESSEUR ZONON : Je ne vous le fais pas dire... Les Blancs ont le complexe de la substance Noire dénoncé par Aimé Césaire... cachez-moi cette chose Noire que je ne saurais voir...Odieux marchandage que d’appeler un Métis un Noir ; c’est comme s’ils disaient : « voilà la limite de ce que nous acceptons comme Noir ; au-delà, on ne va pas plus loin ! »
DOCTEUR H2O : Tout cela paraît tristement vrai et contraste avec l’euphorie superficielle des Noirs de par le Monde...
PROFESSEUR ZONON : Bien sûr le fait qu’il soit métis nous concerne ; et Obama qui a épousé une Américaine Noire est fier de ses origines africaines ; il ne les renie pas. Et les Noirs n’ont pas le monopole de la joie, puisque, au-delà de l'aspect chromatique, Obama est un homme de bonne volonté, ouvert, épris d’équité, et désireux de tourner la page du cynisme qui marque la politique américaine aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, cynisme qui, avec George Bush, a été porté à son point culminant ces huit dernières années. De ce point de vue, il va de soi que le monde accueille son élection avec joie et soulagement...
DOCTEUR H2O : Mais vous pensez donc que les Noirs en font un peu trop ?
PROFESSEUR ZONON : Je le crains. Et, en l'occurence, il s’agit moins des Noirs en général que des Noirs d'Afrique...
DOCTEUR H2O : Notamment au Kenya où on fête la chose comme s’il s’agissait de l’élection d’un Président du Kenya...
PROFESSEUR ZONON : On peut comprendre la joie et la fierté qui animent les Kenyans...
DOCTEUR H2O : Imaginez un peu qu’Obama s’appelle, je ne sais pas moi, Chabi ou Bossou...
PROFESSEUR ZONON : Vous voulez dire s’il était Béninois ?
DOCTEUR H2O : Exact... je me demande si on ne serait pas plus en transe que les Kenyans ...
PROFESSEUR ZONON : Oh, pour sûr ! Si Obama était Béninois, je ne vous dis pas la transe que cela aurait causée au Bénin. Et cette transe à son côté sain et son côté malsain...
DOCTEUR H2O : Ah bon, comment ça ?
PROFESSEUR ZONON : Le côté sain à mon avis c’est ce qu’éprouve l’homme ordinaire, sa fierté de voir quelqu’un qui lui ressemble un peu diriger le pays le plus puissant du monde, surtout s’il prend à la lettre l’identité de Noir assignée au nouvel homme fort de la Maison Blanche...
DOCTEUR H2O : Mais, il y a aussi le côté impur de la chose...
PROFESSEUR ZONON : Oui, bien sûr... regardez un peu ce qui se passe du côté du pouvoir, qui très avide de manipulation, distille déjà l'idée d'une homologie entre le changement façon Yayi et le Changement qu’incarne Obama...
DOCTEUR H2O : Une confusion entre changement et Change
PROFESSEUR ZONON : Mais il s’agit d’une fausse monnaie... Le même homme qui naguère cira les bottes à un George Bush, bavant de fierté de le recevoir quelques minutes au Bénin, est maintenant prêt à se prévaloir d’une certaine identité de vue ou une proximité idéologique avec celui qui est l’antithèse même de George Bush. C’est tout de même fort du café !
DOCTEUR H2O : Les hommes politiques sont comme ça : au peuple la sourde passion des couleurs politiques, des oppositions irréductibles ; au sommet vive la magouille et les connivences aristocratiques. Et puis il y a aussi le fait que le changement est un thème politique classique...
PROFESSEUR ZONON : Je dirai un thème fourre-tout, qu’on met à toutes les sauces électorales depuis la nuit des temps. Il a connu moult variantes à travers les âges. A la différence qu’il y a des circonstances qui font que cela prend plus ou moins à certains moments qu’à d’autres... Ce qui fait le changement ce n’est pas ceux qui le proclament par opportunisme ou par intérêt, mais ce qui le nécessite... De ce point de vue, George Bush est pour l’Amérique ce que Kérékou est pour le Bénin : c’est eux qui sont la cause première du changement ou du Change. Et puis sur le plan des parcours politiques aucune comparaison entre Yayi Boni et Barack Obama. L’un est une génération spontanée épris de songe et de mensonge qui s'adresse plus à l’instinct du peuple qu’à sa raison, un homme pour qui la roublardise de bas étage est une arme de combat politique et qui fait du non-respect de ses interlocuteurs politiques une valeur cardinale ; tandis que l’autre est un homme intelligent désireux de partager son intel-ligence, et qui a souci de parler à l’intelligence du peuple et du monde plutôt qu’à leur instinct ; un homme qui était déjà élu du peuple avant d’accéder aux plus hautes responsabilités politiques.
DOCTEUR H2O : Oui c’est vrai que les qualités d’Obama font que tout le monde se l’arrache... ceux qui lui ressemblent vraiment comme ceux qui n’ont en commun avec lui que le seul hasard des mots creux...
PROFESSEUR ZONON : Il est aussi vrai qu’au Bénin nous sommes de sacrés imitateurs, et je suspecte qu’au for intérieur de nos dirigeants, le culte du pays des hauts cadres internationaux, dont les fils émergent dans les hautes sphères du monde avec une relative facilité – mythe nombrilique typiquement quatierlatiniste – doit en avoir pris un sacré coup... Nous aurions tout donné pour être des Kenyans aujourd’hui ; et si cela avait été possible cela nous serait apparu comme naturel...
DOCTEUR H2O : Vous n’avez pas tort, regardez tout le tintouin qu’on peut faire autour d'un ou deux des nôtres à qui l’Amérique a conféré quelque strapontin de fortune – acteur spécialisé dans le rôle d’esclave Noir ou assimilé, amazone de la chanson conquérant ses lauriers au forceps – comme si c’était l'en soi de la gloire, le nec plus ultra de réussite absolue, et malheur à qui y mettrait des réserves : un jaloux ou un apatride incapable de sentiment patriotique...
PROFESSEUR ZONON : Et oui, nous cultivons la fierté du moindre clinquant...aussi dérisoire soit-il dans le fond...
DOCTEUR H2O : Et qu’est-ce que ce serait si Obama s’appelait Chabi ou Bossou... !
PROFESSEUR ZONON : Eh oui, ce serait la transe, de la base au sommet, je ne vous dis pas !
DOCTEUR H2O : Et sans doute plus au sommet qu’à la base...
PROFESSEUR ZONON : Oui, plus au sommet qu’à la base...
DOCTEUR H2O : Le crapeau du Changement baverait...
PROFESSEUR ZONON : Et la blanche colombe de la Maison Blanche en aurait cure ?
DOCTEUR H2O : Oh, rien n’est moins sûr !
HODONOU ODJO
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