Pour Avoir Défendu sa Liberté et sa Vertu.
Je te remercie de m’avoir, dans ta dernière lettre, entretenu de l’affaire Ganiyat, du nom de cette jeune Béninoise emprisonnée au Nigéria alors qu’elle n’avait cherché qu’à défendre sa liberté et protéger sa vertu.
Selon ce que j’ai lu en parcourant la presse nigériane, Ganiyat Osumare est née au Nigeria et y a grandi jusqu’à 22 ans. Selon toute vraisemblance, elle est stigmatisée Béninoise parce qu’elle s’est retrouvée à son corps défendant au centre d’un drame. Il est vrai que si elle avait gagné une médaille d’or aux jeux olympiques, ou une reconnaissance quelconque, la question de son identité aurait été abordée tout autrement. Et peut-être aurait-elle été pavoisée aux couleurs du Nigéria. Mais parce que le drame a coûté la vie à un jeune homme de 22 ans, avec passion la presse et les journaux la présentent comme une Béninoise, comme si la raison de l’accident était d’essence étrangère, non-nigériane et en l’occurrence béninoise. Comme si le Nigeria ne pouvait pas assumer la paternité d’une telle enfant née et ayant grandi sur son sol depuis 22 ans ! Comme si, Nigériane, elle ne se fût pas retrouvée dans ce mauvais pas.
Mon cher Pancrace, on voit là toutes les ambigüités et les contradictions des discours creux d’union sous-régionale, des belles proclamations politiques encensant la fraternité ou la coprospérité entre des peuples en tout point semblable, qui ont seulement le tort d’avoir été parqués comme des bêtes dans des enclos différents. Et les journaux férus de dramatisation de faits divers, à coup de gros titres alléchants aptes à attiser les passions les plus grégaires et à mettre en scène les plus bas instincts se sont emparés de l’affaire, sans vergogne ni scrupule. Et à cor et à cri ils écrivent des choses comme : “22-years-old Beninoise stabs man to death” c’est-à-dire: « Béninoise de 22 ans poignarde à mort un jeune homme. » Dans une telle dramatisation, la victime est faite homme là où la présumée coupable est affichée comme Béninoise. Or si le fait d’être homme doit impliquer la dignité qui va avec, la coupable n’est pas moins homme que la victime. En réalité nous avons affaire à deux victimes d’un accident moral mais aussi d’une société où le respect de la femme est un cauchemar éthique.
D’ailleurs, comme le montre l’extrait du procès verbal publié dans le VANGUARD du 19 septembre 2008, le récit du drame fait par la jeune fille porte la marque de ce cauchemar.
“Je m’appelle Ganiyat Osumare, déclare-t-elle. Mes parents sont de Cotonou, en République populaire du Bénin, mais je suis née et j’ai été élevée à Lagos. Je vis avec ma mère au 47, rue Majekodunmi dans les parages de Shogunle à Oshodi et mon père n’est plus de ce monde. J’ai fréquenté l’école primaire Folarunmi et le lycée Sango, à Agege d’où je suis sortie en 2006.
“Tout de suite après mes études secondaires, je me suis inscrite comme styliste dans un salon de coiffure d’où je suis sortie diplômée en juillet de cette année. Je travaillais pour le compte d’un autre dans la cité Ajao avant mon arrestation.
“ Je connaissais Nathaniel (la victime). Il habitait la même rue que moi. Tout a commencé quatre mois plus tôt quand Nathaniel m’a abordée et m’a demandé d’être sa petite amie. Mais j’ai décliné sa proposition, lui expliquant que je ne voulais pas pour le moment avoir affaire avec les hommes, car j’avais besoin de faire face à ma vie et réaliser quelque chose de tangible avant de penser aux hommes.
“ Mais il a fait la sourde oreille. Et dès qu’il me voyait n’importe où il continuait de me harceler. Il fut même un temps où, allant au marche Shogunle, je me suis rendu compte qu’il m’avait suivie à mon insu. Et à un moment donné, il m’a attrapée par la main et m’a dit que ça fait longtemps qu’il m’a parlé et que je refusais, et qu’un de ces jours il me violerait. Je lui ai dit que ce n’était pas possible et au retour à la maison, j’ai reporté la scène et parlé de sa menace à mon oncle.
“ Puis, le 21 août, vers 22 heures, j’étais allée faire des courses et sur mon chemin de retour, un de ses amis qui était dans la rue l’a hélé, lui disant de venir voir sa femme qui passait. Aussitôt, il a accouru de sa maison et m’a saisi la taille par derrière et a commencé par me tripoter de partout. Je me suis débattue autant que je pouvais en même temps je lui disais de me laisser tran-quille, mais il ne voulait rien entendre et continuait de plus belle.
“C’est alors que je suis parvenue à me saisir d’un couteau sur un étal d’orange au bord de la rue, et j’ai menacé de l’utiliser s’il continuait de me tripoter. Mais il me défia et se précipitant, il a voulu m’arracher le couteau des mains, je résistais et dans la lutte, il a été blessé à la poitrine.
“Je ne savais pas que c’était si grave, et après, un garçon de leur maison est venu dans la rue ; pensant que ce n’était pas une blessure grave, il m’a demandé de rentrer chez moi. Or le lendemain, j’ai été abordée par les policiers qui m’ont demandé de les suivre au poste où ils m’ont annoncé que Nathaniel était mort ” conclut Ganiyat en larmes.
La police a établi que la condition de la victime s’est détériorée un peu après qu’il a été poignardé. Il aurait été conduit en urgence sur deux hôpitaux qui à en croire les témoins auraient refusé de le prendre en charge au motif que son cas dépassait leur compétence.
Malheureusement il rendit l’âme dans l’un des hôpitaux où il a été conduit. Sa mort serait due à une hémorragie interne. Selon les sources de la Section Homicide de la Brigade criminelle de l’Etat de Lagos les enquêtes prendront fin bientôt et la suspecte sera déférée à la cour.
Pour lors, Ganiyat qui voulait réussir sa vie, vit dans l’incertitude totale. Détenue à la Brigade criminelle de Lagos, elle attend de voir le sort qui lui sera réservé dans un drame qui, à son corps défendant, a suspendu ses rêves et hypothéqué son avenir.
Mon cher Pancrace, comme je l’ai dit d’entrée le plus révoltant dans cette affaire est la manière dont l’histoire est médiatiquement dramatisée afin de la jeter en pâture à l’appétit débridé des lecteurs. La manière dont Ganiyat Osumare est traitée en bouc émissaire et stigmatisée. Vois-tu, en la traitant d’entrée de Béninoise, la presse et les médias ne jouent pas seulement avec le feu des identités, mais elle charge la coupable, trouve une justification essentialiste au drame et contribue à éluder les vraies responsabilités qui sont d’ordre social, sociologique et éthique. Puisqu’au prix d’un drame regrettable, une jeune femme essaie de défendre sa liberté, de protéger sa vertu, il faudrait qu’elle ne fût pas suffisamment nigériane pour faire cela. On fait fi du harcèlement et de cette façon autoritaire qu’ont les hommes dans nos contrées de se scandaliser qu’une femme n’accède pas à leur désir, pieds et poings liés, tête basse et queue entre les fesses. On oublie le poids d’une telle pression au quotidien, de l’offensive sans gêne d’un homme qui conçoit l’amour en termes autoritaires, et qui au lieu de convaincre la femme de ses sentiments croit tout naturel de les lui imposer par des menaces et la force. Or cette pression et ces menaces au quotidien sont le vrai ferment du drame. Alors évidemment nous dira-t-on, pourquoi la jeune femme n’a-t-elle pas porté plainte en son temps ? Question mesquine ! Car il n’est un secret pour personne que dans une société où la domination mâle est la règle, la femme est non seulement minoritaire, mais solitaire ; on sait que de tout côté où elle se tourne la loi et ses représentants ne paient pas cher de ses états d’âme, qui sont tournés en dérision. On sait que l’état de droit ne compte pas pour elle, jusqu’au moment où la vie d’un homme entre en jeu. Alors la machinerie de l’Etat de droit ressuscite et se met en route pour lui demander des comptes. Et alors, les yeux voilés derrière leurs œillères les hommes de lois, l’opinion et les journaux s’en donnent à cœur joie d’imposer une hiérarchie fantaisiste et passionnée des causes du drame. Allègrement, ils élisent l’immédiate pour l’essentielle renvoyant dans le silence de la dénégation la lointaine qui est pourtant la plus agissante. En l’occurrence, il va de soi que Ganiyat Osumare n’avait aucune intention de tuer, et qu’en revanche l’intention de violer n’était pas étrangère à la victime. Ce qui est arrivé n’est qu’un accident, mon cher ami et il est probable que la tournure prise par les choses dérive du retard mis par l’assaillant à prendre les choses au sérieux, à se considérer comme vaincue, à entériner les effets de la détermination de la victime de se tentative de viol.
Si, plus que l’accident lui-même, la cause immédiate du drame réside dans ce retard éventuel à considérer la gravité du mal à sa juste valeur, il va de soi que la cause ultime est dans le refus des hôpitaux de prendre en charge le blessé.
Or pour lors seule la pauvre Ganiyat qui n’a cherché qu’à se défendre d’un viol se retrouve en prison, après avoir été stigma-tisée comme Béninoise ; aux yeux de l’opinion c’était là une raison suffisante de l’opiniâtreté de son refus de se laisser violer !
Par-dessus tout ce qui est choquant dans cette affaire c’est l’interprétation xénophobe sous-jacente qui risque d’en détermi-ner l’issue. On le voit dans l’exploitation dramatisante qu’en fait la presse ; et pour l’instant dans le fait que seule la jeune femme est présumée coupable dans une affaire où pourtant les respon-sabilités, à divers niveaux, sont légion. Son identité béninoise ressuscitée fait l’affaire de tous. On achève bien les chevaux...
Et puisqu’il en est ainsi, mon cher Pancrace, et puisque tu me demandes ce qu’il faut faire pour sauver Ganiyat, eh bien, mon opinion est qu’elle doit prendre le taureau par les cornes ! Il faudrait qu’elle assume à fond l’identité béninoise dont elle est affublée. Mais elle ne pourra le faire si les autorités Béninoises ne sont pas au courant de l’affaire. Elle ne pourra le faire si les Béninois, du Bénin et de partout ne sont pas au courant du fait qu’une des leurs née au Nigéria est en prison pour avoir seulement voulu défendre sa liberté, son honneur et son intimité de femme. Tu sais hélas que les nôtres cultivent l’indifférence les uns vis-à-vis des autres et n’aiment rien tant que jouer les héros solitaires. Si le degré de solidarité du Béninois les jours ordinaires n’est pas très élevé, il est à craindre que dans le malheur, il soit aux ras des pâquerettes. Si tout cela n’était pas le résultat du relâchement du lien social qui caractérise notre affectivité sociale depuis des décennies, je n’aurais pas craint d’abonder sans ton sens, en préconisant d’ouvrir une pétition afin d’alerter le Gouvernement. Conformément aux pratiques et valeurs de la démocratie, la pétition est effectivement indiquée. Mais en attendant qu'une éventuelle pétition ne prenne, si nous pouvons déjà alerter les autorités du Bénin afin qu’elles se penchent sur le cas de Ganiyat, ce serait déjà ça. Car le temps presse et chaque jour que Ganiyat passe en prison est un affront au droit des femmes de défendre leur liberté et de protéger leur vertu.
Peu importe ce que l’homme fera de sa liberté, il incombe de lutter pour la lui assurer. Pour Ganiyat Osumare, je t’exhorte à faire un charivari du tonnerre pour alerter le grand nombre de personnes possible. Comme on le dit couramment chez nous, qu’une oreille avertie en parle à une autre...
Cher Pancrace, je suis sûr que tu seras de mon avis et cette certitude qui me réjouit le cœur à l’avance est encore le gage de notre passion commune pour la liberté.
Avec l’expression renouvelée de ma sincère amitié.
Binason Avèkes
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