Mon Idéo Va, Court, et Tombe sur...
La Cour Dossou en Quête de Label Humaniste
Par deux décisions rendues en août et en septembre, peut-on lire dans la presse, la Cour constitutionnelle a statué sur des cas de violations des droits humains. Le premier cas porte sur une situation de traitements inhumains et dégradants et le second à la fois sur la garde à vue abusive et le traitement dégradant.
La Cour Constitutionnelle a ceci d’omnipotent que, quels que soit les faits, les infractions, les irrégularités, les délits, voire les crimes, elle peut statuer et dire le Droit. Elle peut se prononcer sur des affaires d’ordre administratif, judiciaire, ou politique. Par ailleurs dans un Etat de droit, le but de la justice ordinaire représentée par les divers tribunaux est de protéger les intérêts, les droits et les libertés de chacun, en jugeant les infractions à la loi et en infligeant les peines adaptées. Dès lors on peut se demander si l’omnipotence de la Cour Constitutionnelle qui rime avec omniprésence, omniscience et en fin de compte omnivore ne conduit pas à un empiétement sur des territoires judiciaires spécifiques, posant par là un véritable problème d’efficacité du rendu et de la gestion rationnelle du service judiciaire.
Recentrées sur leur fonction spécifique respective, expurgées de toute arrière-pensées de mise en scène médiatique de leurs actes, les identités territoriales de la Cour Constitutionnelle et des juridictions ordinaires ne devraient ni prêter à confusion ni inquiéter quant à leur efficacité. En effet, même si leurs territoires peuvent se chevaucher, se croiser voire se superposer parfois, chacune de ces instances de la loi a sa logique, sa philosophie et sa vocation propre. Le but de la justice est de protéger les intérêts, les droits et les libertés de chacun, en jugeant les infractions à la loi et en infligeant les peines adaptées. Elle doit être qualifiée, rapide et simple. Elle doit pouvoir répondre à tout appel de la part de quiconque sans distinction, être accessible à tous (financièrement) et aussi rapidement que possible. Ainsi chacun peut voir ses droits défendus lors de litiges s'il saisit la justice (justice civile). Quant à la Cour Constitutionnelle, elle est un organe constitutionnel indépendant et à caractère juridictionnel, qui a pour fonction de contrôler la constitutionnalité des lois et de statuer sur les contestations et les recours relatifs aux élections présidentielles et parlementaires. Cette philosophie est commune à toutes les grandes démocraties. Comme on le voit ces deux philosophies de la Justice et de la Cour constitutionnelle, ces deux vocations sont distinctes et en même temps complémentaires. Les Tribunaux jugent les infractions, les délits ou les crimes ; cependant que la Cour Constitutionnelle s’illustre à travers ses décisions et avis en matière de constitutionnalité des lois et de recours relatifs aux élections à caractère politique (législatives, locales, Présidentielles, etc.) L’arbitrage de la Cour constitutionnelle peut mettre aux prises l’Etat, le gouvernement, les partis politiques ou d’autres institutions et des individus les uns aux autres.
Dans le cas des deux décisions rendues en août et septembre 2008 par la cour constitutionnelle ( Dcc 08-075 et Dcc 09- 119) la situation des parties en cause n’est pas univoque. Car si les plaignants sont des individus, les mis en causes, eux, sont des fonctionnaires agissant au nom de l’Etat, même s’ils ont à l’évidence outrepassé les limites de leurs fonctions et sont responsables de leurs actes devant la loi.
Du coup, et au vu de la publicité qui est faite à ces décisions, on peut se poser des questions. Car, sur le fond, leurs appréciations ne relèvent pas de la compétence spécifique de la Cour constitutionnelle et, en l'occurrence, apparaissent comme affectées d’une banalité juridique et éthique évidente. En effet, à ce train, rien n'empêche la Cour de statuer sur la constitutionnalité d'un vol de poule dans la ville de Kétou, ou de la pêche à l'akadja dans un affluent de l'ouémé. Dans le même registre humaniste, il serait politiquement plus croustillant de statuer sur la constitutionnalité des tueries commises au nom de la sécurité du Chef de l'Etat depuis avril 2006. Pourquoi la Cour s’illustre-t-elle dans ces deux décisions à caractère humanitaire et civil, et pourquoi tant d’insistance médiatique sur leur rendu alors qu’il pourrait être noyé dans l’océan des décisions ordinaires du genre ? Pour des raisons pédagogiques ? Joue-t-on sur l’ambigüité de la différence entre Gouvernement et État de plus en plus renforcée par la résurgence navrante du parti-État ? Après s’être illustrée coup sur coup à travers deux décisions qui ont semé le trouble quant à son indépendance politique vis-à-vis du pouvoir, la Cour Dossou chercherait-elle à redorer son blason en se drapant dans la posture éthique et du Droit humanitaire ? Le rattrapage éthique éclipsera-t-il le forfait politique alors qu’aux yeux de tous la nature de la Cour Constitutionnelle est avant tout politique ? Il faudrait sans doute plus de propagande et plus de publicité pour convaincre le Béninois moyen, quitte à amener la Cour à se prononcer sur le droit des gens à ne pas être soumis en permanence à la manipulation médiatique par le Gouvernement.
Eloi Goutchili
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
Votre (contre-)argumentaire n’emporte pas la conviction : vous persistez à peut confondre allégrement deux registres – la politique et le droit-, ce qui vous conduit à commettre certaines erreurs manifestes en droit.
Vous insinuez d’abord que mes prises de position de constitutionnaliste auraient des « fins inavouées ». Autrement dit, vous êtes disposé à faire peser un insupportable soupçon sur quiconque ne partage pas ou bouscule vos certitudes. Professer certaines vérités sur la Cour Dossou, ce serait embrasser une « démarche légitimiste », concourir à « la mystification des soi-disant experts ». La même fausse accusation a été véhiculée à mon encontre par des opposants camerounais qui ont cru voir en moi un affidé du Président Biya (voir à ce sujet sur mon blog LA CONSTITUTION EN AFRIQUE : * Le constitutionnaliste et la révision au Cameroun). Que cela plaise ou non, je m’exprime et je m’exprimerai en constitutionnaliste sur des questions constitutionnelles d’actualité. Mon point de vue n’est ni intéressé, ni partisan. Mon parcours est à cet égard des plus éloquents. Rien ne vous permet de faire des insinuations, de proférer d’indignes attaques ad hominem !
Je trouve déplacé que vous me lanciez à la figure un « la politique est une chose totale et trop sérieuse pour être laissée aux seuls juristes ». D’abord, parce vous tenez un propos quelque peu méprisant à l’égard des juristes. Ensuite et surtout, parce que vous vous méprenez : je n’entends absolument pas prendre partie dans les joutes politiques béninoises, me substituer aux politiciens ou aux « faiseurs d’opinions ». Je n’ai d’autre but que d’apporter un éclairage différent, celui d’un tiers au jeu politique.
Votre silence est assourdissant sur ce qui faisait le cœur de mon bref commentaire : les derniers décisions de la Cour Constitutionnelle, constatant des violations des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques, ne sauraient traduire une « sorte de complot politico-médiatique visant à « blanchir » la Cour Dossou de prétendues turpitudes » ; au contraire, elles attestent de la continuité des services rendus au Bénin par la Cour Constitutionnelle, que son Président soit Pognon, Ouinsou ou Dossou. Pourquoi ne prenez-vous pas la peine de discuter cette assertion ?
Je ne fuis aucunement le débat contradictoire. Mais c’est –seulement - en constitutionnaliste que je réponds volontiers à certaines de vos observations et objections.
1- Vous avez raison d’écrire que « les interprétations du droit sont susceptibles de varier », mais il faut mettre un bémol : n’importe quelle interprétation n’est pas possible. Il est exact qu’un interprète – qu’il soit juge ou acteur politique – doit trancher entre plusieurs interprétations, mais penser que l’interprète se fourvoie parce qu’il ne donne pas raison aux opposants, à ceux qui crient aux loups, c’est se tromper lourdement – tout du moins en droit… Je constate que les décisions de la Cour Dossou ne sont pas insensées - il ne s’agit aucunement d’« apparences trompeuses de constitutionnalité » !- et s’inscrivent dans le droit fil de la jurisprudence antérieure. Il est piquant de voir que ce sont des préjugés et non des démonstrations qui nourrissent les critiques à l’endroit de la Cour Constitutionnelle. Pourquoi voulez-vous que le constitutionnaliste avalise des attaques scientifiquement infondées ?
2- Qualifier le Bénin de quartier de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste ne revient pas à adresser des louanges au pouvoir actuel. Nombre de travaux scientifiques attestent qu’au Bénin le chantier de l’Etat de droit et de démocratie pluraliste est fort avancé, comparativement à ce que l’on peut observer ailleurs en Afrique noire francophone (voir à ce sujet sur mon blog LA CONSTITUTION EN AFRIQUE : L'Etat de droit et de démocratie pluraliste au Bénin). Le label conféré à l’ancien quartier latin de l’Afrique ne me paraît ni usurpé, ni remis en cause depuis 2006, 2008 ou….
J’ai bien du mal à saisir ce que peut bien signifier la phrase « les dernières décisions de la cour Dossou, aussi éthiques soient-elles, aussi régulières soient-elles, dans le contexte de suspicions légitimes qui ont entaché ses premières décisions, n’étaient pas dénuées d’arrière-pensées politico-médiatiques ». Pensez-vous donc que la Cour Dossou a bien fait son métier, en sanctionnant des agents indélicats de l’autorité publique, mais que, de toute façon, les nombreux opposants du Président Yayi Boni, des médias comme de la classe politique, ne pouvaient pas supporter des décisions susceptibles de contrarier leurs violentes diatribes, leurs intérêts immédiats, leurs combats de l’heure ? Nonobstant les analyses scientifiques concordantes portant sur les juridictions constitutionnelles du monde entier, auriez-vous la faiblesse de penser qu’il suffit de connaître l’identité de celui qui a nommé un juge constitutionnel pour connaître l’orientation de ces décisions ? Ne savez-vous pas qu’il est objectivement impossible de remplir la fonction de juge constitutionnel comme on fait de la politique, dans un pays démocratique ou sincèrement engagé dans la voie de la démocratie, comme l’est le Bénin ? J’ai beaucoup travaillé sur ces questions ; certaines de mes analyses sont en ligne (voir, notamment, sur mon blog LA CONSTITUTION EN AFRIQUE : * La Cour Constitutionnelle du Bénin égale à elle-même)
3- Je n’aperçois pas en quoi le constitutionnaliste aurait à se soucier de conclusions scientifiques, qui iraient dans le sens de la défense d’une « cause mal engagée ». Je n’ai pas à faire plaisir à des politiciens et/ou à des communicateurs. En l’occurrence, les détracteurs de la Cour Dossou qui disent et écrivent qu’elle fait évidemment souffrir le droit pour servir le pouvoir ne se proposent jamais d’argumenter sur le terrain du droit ou développent de manifestes arguties. C’est bien qu’ils se situent sur un autre terrain, sur un autre registre. Comment un constitutionnaliste pourrait-il les suivre sans changer de « casquette ?
Les points de rencontre entre la politique et le droit sont, certes, légion, mais pas au point de nier la séparation entre la politique et la science du droit. Les politiciens se servent du droit pour faire de la politique : rien de plus normal. Par contre, vous auriez tort de croire que tous les juristes font de la politique en se servant du droit. Certains constitutionnalistes, il est vrai, font preuve de servilité, cautionnent l’instrumentalisation politicienne du droit et/ou se jettent dans l’arène politique, le tout en se défaisant des exigences les plus élémentaires de la science. D’autres – j’en suis ! –, sans prendre part à la vie politique, mènent leurs recherches et livrent leurs conclusions en toute indépendance, quitte à froisser certains intérêts. Pourquoi les vrais constitutionnalistes devraient-ils se taire ?
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public
Université Paul Valéry-Montpellier III
Rédigé par : LA CONSTITUTION EN AFRIQUE | 11 octobre 2008 à 16:53
On peut aussi penser que votre réaction procède d'une singulière méconnaissance de la sociologie politique du Bénin et que votre ardeur à défendre la Cour, – quelle soit Dossou ou une autre – vise à l'encenser à des fins inavouées. Et alors nous serions en pleine polémique. Cependant, pour toutes sortes de raisons qu’il est inutile d’étaler ici, on peut comprendre votre démarche légitimiste. Mais de grâce ne tombez pas dans la logique restrictive qui consiste à ramener la politique au droit et le Droit au droit constitutionnel. Bien sûr, le ciel démocratique et constitutionnaliste de l’Afrique n’est pas clair. Ce qui fait qu’un pays comme le Bénin peut y briller comme une étoile. Mais les risques qui guettent la vie politique en Afrique c’est moins le refus franc et clair de la démocratie que la théatocratie savamment appuyée sur des apparences trompeuses de constitutionnalité. Et dans ce théâtre des apparences, la mystification des soi-disant experts est la chose la plus dangereuse car, après avoir réalisé la confusion rhétorique dénoncée plus haut, elle peut s’autoriser à apporter une caution dont la validité est sujette à caution. Non seulement parce que la politique est une chose totale et trop sérieuse pour être laissée aux seuls juristes, mais parce que, en raison des points de vue, les interprétations du droit sont susceptibles de varier. En vous drapant dans la vertu offensée du connaisseur de la chose constitutionnelle, et sans doute obnubilée par vos certitudes, vous n’accordez qu’une attention limitée au propos de l’article ; et, au mépris de sa substance, vous proférez un mélange de leçons et d’insinuations parfaitement frelaté. Le comble c’est que vous glissez sans crier gare sur le terrain de l’opinion et vous faites passer celle-ci en contrebande sur le registre de la science.
Car dire que « le Bénin est le quartier de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste » est une opinion et rien d’autre. Dont on doit vous savoir libre. Comme il eût été souhaitable que vous laissiez libre de penser ce qui est dit dans l’article, sur lequel je me permets d’insister à nouveaux frais, à savoir : les dernières décisions de la cour Dossou, aussi éthiques soient-elles, aussi régulières soient-elles, dans le contexte de suspicions légitimes qui ont entaché ses premières décisions, n’étaient pas dénuées d’arrière-pensées politico-médiatiques.
Enfin, vous demandez « Quand cessera ce jeu de massacre immérité et absurde ? » Cette interrogation rhétorique a un côté effet de manche d’un avocat qui s’échine à défendre une cause mal engagée. Elle peut prêter à sourire de la part d’un esprit qui se veut objectif. Car les porte-paroles et griots du Pouvoir au Bénin sont légion et sont habitués à ce genre d’amalgame insidieux. Plus sérieusement, la Démocratie au Bénin n’a pas besoin d’avocat ni d’affirmations élogieuses d’experts autoproclamés. Elle a besoin de vérité. Et tout acte qui n’est pas clair sous ce rapport doit être questionné. C’est ça la démocratie, c’est ça la liberté de penser. On ne peut pas séparer la politique du Droit. De toute façon les acteurs sur le terrain –du gouvernement ou des instances diverses, etc. – ne séparent pas.
Eloi Goutchili
Rédigé par : E. Goutchili | 05 octobre 2008 à 18:16
Votre papier procède d'une singulière méconnaissance de ce qu'est la Cour Constitutionnelle du Bénin depuis 1993; il n'a, en fait, d'autre but que de salir la Cour Dossou, de pratiquer un sport béninois récent qui ternit l'image de marque du "quartier de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste" en Afrique.
Avez-vous lu la Constitution du 11 décembre 1990 ? C’est elle qui assigne à la Cour Constitutionnelle la mission insigne de constater les violations des droits de la personne humaine et des libertés publiques. La plupart des décisions de la Cour portent sur cette matière ! Et les médias donnent régulièrement à ces décisions la publicité qu’elles méritent pour que les vertus et les exigences de "l'Etat de droit et de démocratie pluraliste" soient mieux intégrées par tous et par chacun.
Sous-entendre que faire état de telles décisions procède d’une sorte de complot politico-médiatique visant à « blanchir » la Cour Dossou de prétendues turpitudes a d’autant moins de sens que les décisions contestées – politiquement par les opposants de tout poil – sont fondées – juridiquement s’entend.
C’est en tout cas l’opinion développée sur le site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE, rubrique « Bénin ».
Quand cessera ce jeu de massacre immérité et absurde ?
SB
Rédigé par : La Constitution en Afrique | 05 octobre 2008 à 15:56