Critique d’un Référendum Annoncé
Dans son discours à la veille du 48ème anniversaire de l'indépendance de notre pays, le Président Yayi Boni a annoncé la tenue d'un référendum aux fins de révision de la constitution. Ce scrutin est prévu pour le 1er semestre de l’année 2009. La commission de révision nommée par le Président a remis son rapport et bien que la teneur de celui-ci n’ait pas été rendue publique, le citoyen se pose beaucoup de questions. Au-delà de l’opportunité de la révision elle-même et de son urgence qui n’ont pas encore été discutées à leur juste valeur, force est de noter que les préoccupations se concentrent plus sur la forme que sur le fond. Et elles se résument en une question simple : Pourquoi un Référendum et à quel prix ?
La question mérite réflexion. Mais d’entrée on peut y répondre sans ambages. Yayi boni a choisi le référendum pour se donner l’occasion d’une victoire électorale qui n’a pas été plausible lors des élections municipales. Il s'agira aussi, avant l'élection capitale de 2011, de mettre en place et de roder des mesures de contrôle du vote qui a échappé au gouvernement lors des dernières élections. Entre autres acteurs, les délégués militaires préposés dans chaque département pourront superviser ce genre de contrôle politique, puisque désormais les militaires prennent une part active dans l'organisation des élections dans notre pays. De plus ce sera une victoire d’étape qui va, selon les vœux de Yayi Boni, fixer le cadre psychologique de son odyssée politique vers la réélection rêvée de 2011. Selon lui, comme jadis ce fut le cas de son mentor et prédécesseur Emile Derlin Zinsou, la consultation peut tourner au plébiscite, vu que l’enjeu n’est pas personnel. En l’occurrence nous avons affaire avec une démarche de révision de la constitution bien fondée et qui porte sur des points de consensus minimal. Même si l’affaire peut vite se politiser et les ennemis du pouvoir lui opposer une fin de non recevoir basée sur la forme et la méthode.
De fait, l’intention de Yayi Boni lui-même est politique sinon politicienne, et le but visé – réinitialiser sa popularité pour la faire valoir politiquement aujourd’hui et demain – peut-être considéré comme cher payé. En effet, pourquoi un référendum qui coûterait des milliards à organiser alors que la voie parlementaire souvent empruntée dans ce genre de démarche de révision ne coûterait pas un franc supplémentaire aux finances publiques ? Yayi Boni est habité par le mythe d’un rapport direct au peuple, représentation fantasmée qu’il oppose à la représentation légale du peuple. Cette opposition est d’autant plus dangereuse qu’elle contient en germe les relents d’un antidémocratisme primaire qui participe de la mise hors jeu de tout ce qui, même conforme à la loi, fait obstacle à la volonté d’un seul homme. De ce point de vue, malgré ses dehors d’appel au peuple, la consultation référendaire annoncée est aux élections ce que le fait de légiférer par ordonnance est au vote des lois par le parlement : une autre façon d’exercer le pouvoir non pas en concertation avec la représentation légale du peuple mais en opposition à elle en lui substituant une représentation fantasmée du peuple. Nous avons affaire là avec une manière de lecture du texte constitutionnel à la marge de la jurisprudence consacrée, qui fait une place de choix à la médiation des représentants du peuple. Cette lecture autocratique et solitaire de la constitution est en contradiction flagrante avec la volonté de concertation proclamée par le Chef de l’Etat. La politique de concertation se résume in fine à mettre ostentatoirement en jeu des acteurs sans aucune légitimité constitutionnelle au moment où sont mis hors jeu ceux-là même qui en ont et ne demandent qu'à la faire valoir. Pour Yayi Boni, les lois ne sont bonnes que lorsqu’elles ne font pas obstacle à sa volonté, et celle-ci paraît avoir été tellement marquée par les effets plébiscitaires de sa propre élection que toute autre légitimité doit y être incluse ou exclue. Il en est ainsi de la légitimité des représentants du peuple. Dès lors que ceux-ci éprouvent le besoin de mettre en jeu leur autonomie, et se piquent d’exprimer la moindre velléité d’échapper au contrôle du pouvoir alors c’en est fini de leur existence politique. Le Président peut gouverner sans eux, à coups d’ordonnance ; il peut aussi modifier la constitution par-dessus leur tête, dans un tête-à-tête direct et autrement plus intime avec le peuple.
On a souvent reproché au Président de succomber à la tentation délicieuse et autoritaire du populisme. Cette accusation qui est loin d’être vaine a été justifiée mainte fois déjà dans les choix, la méthode et le style de gouvernement de Monsieur Yayi Boni depuis son accession au pouvoir. Mais le populisme décrié jusqu’ici n’a jamais atteint ce haut niveau de cohérence idéologique que dans l’opposition de la représentation fantasmée du peuple à sa représentation légale, opposition qui conduit à une mise hors jeu sans états d’âme de celle-ci.
D’un point de vue démocratique cette dérive n’est pas exempte de risques graves. D’une part, elle ne contribue pas à pacifier le climat de crise actuel. A quoi ça sert d’entretenir un bras de fer stérile alors que le Président est objectivement minoritaire à l’Assemblée ? Pourquoi ne pas prendre acte de ce nouveau rapport de force pour mieux le gérer dans l’intérêt du pays au lieu de préférer une fuite en avant dans la crise ? Pourquoi opposer de façon puérile les légitimités les unes aux autres alors que chacune à son domaine de compétence et sa raison d’être ? D’autre part, en dépit du caractère d’intérêt national de la démarche de révision de la constitution, il n’est pas sûr que l’opposition plus que jamais remontée contre le chef de l’Etat, ne trouve de bonnes raisons de rejeter son initiative de consultation référendaire. Ces raisons sont d’ordre politique, juridique et financier. Le premier et le deuxième ordre découlent de l’analyse qui précède. (Opposition des légitimités et non-respect des jurisprudences) Pour ce qui est de la raison financière, il va de soi qu’elle touche au coût des élections et à leur poids sur les finances publiques. En effet, le cas échéant, si l’annonce du Président devait être traduite dans les faits, de 2006 à 2011, le Bénin aura organisé cinq élections. Cinq élections en cinq ans pour un petit pays comme le nôtre, c’est beaucoup, cela fait une moyenne d’une élection par an ! Pourquoi ne pas économiser ce qui serait dépensé dans cette consultation référendaire et le réserver à des fins plus utiles ? Cette question ne manque pas de pertinence ; elle en manque d’autant moins qu’il existe une autre voie réglementaire qui ne coûte rien ou presque au budget de l’Etat et qui loin d’attiser le feu de l’opposition des légitimités, concourrait à conforter la paix politique en souffrance depuis plusieurs mois dans notre « cher et beau pays, le Bénin » comme aime à le dire le Chef de l’Etat à tout bout de phrase dans ses discours, alors que dans les faits, ses actes, son attitude et son comportement ne brillent pas particulièrement par leur pacifisme.
Pourquoi chercher à se refaire une santé politique à un prix si élevé ? Car la voie privilégiée ici pour la révision de la constitution et dont l’inconséquence financière est aberrante, pour l’essentiel ne vise qu'à ça. Pourquoi faire son beurre politique sur le dos des finances publiques ? Est-ce parce que le Docteur-Président Yayi Boni aura contribué si peu que ce soit à les redresser qu’il met tout aussitôt à contribution les finances publiques dans son intérêt ? Dans ce cas, si la gabegie ou la corruption formalisée devrait aller de pair avec l’assainissement des finances publiques, si ce dernier n’est réalisé que dans le but de ressusciter les premières, alors où est le Changement ?
Par ailleurs, en dépit de l'autoritarisme solitaire du Président de la République, nous ne sommes pas tout seuls dans l’affaire. Dans le financement de nos scrutins et le suivi de leur organisation, il y a aussi l’apport décisif de ceux que nous appelons par litote nos « partenaires économiques. » Pays, organisations - africains et surtout occidentaux -, personnes morales ou physiques, personnalités qui ont intérêt à ce que le processus démocratique, condition du développement, avance chez nous. Pourquoi ne prenons-nous pas exemple sur certains de ces pays occidentaux ? En Suisse par exemple le référendum, loin d’être d’inspiration autoritaire est plus souvent d’initiative populaire. En France, pays bien plus riche que nous et qui n’a pas pour habitude d’aller quémander de l’argent à droite et à gauche pour financer ses élections, on vient de modifier la constitution par voie parlementaire sans démagogie, ni instrumentalisation du peuple à des fins politiques. Et pourtant, l’actuel président de ce pays n’est pas un modèle en matière de respect absolu de l’esprit de la constitution. Mais en Suisse ou en France ce qui est plus fort c’est le niveau de respect du citoyen, sa vigilance, sa culture et son exigence démocratiques.
Apparemment, tel n'est pas le cas du Bénin en raison ou en dépit du Changement.
Aminou Balogoun
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Pour prolonger la réflexion sur le référendum annoncé de révision, je vous invite à lire et à commenter l'éclairage d'un constitutionnaliste, sur le site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE :
* Toilettage ou nouvelle Constitution au Bénin ?
http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-21907817.html
Au plaisir d'échanger
Stéphane Bolle
Rédigé par : LA CONSTITUTION EN AFRIQUE | 12 août 2008 à 08:58