Numérologie, Croyance et Histoire
Par Ian Stewart
On nomme ainsi, des liaisons d’ordre culturel, religieux, philosophique et esthétiques mettant en jeu certains nombres.
L’humanité a toujours eu dès ses débuts des liens ambigus de haine-amour avec les nombres. Des squelettes datant peut-être de 30 000 ans plus tôt montrent des traces qui selon toute vraisemblance figuraient des phases de la lune. Les anciens Babyloniens observaient les mouvements des planètes, les compilaient sous forme de nombres, et les utilisaient pour prédire les éclipses et d’autres phénomènes astronomiques. Les prêtres de l’Egypte Ancienne utilisaient les nombres pour prédire les inondations du Nil. Le Pythagorisme, un culte de la Grèce Antique, croyait que les nombres formaient la base de tout l’univers qui évolue selon une harmonie numérique. L’idée des Pythagoriens était un mélange de prescience (les propriétés numériques des sons) et de mysticisme. ( le chiffre 3 symbolise le mâle, 4 la femelle, et 10 est le nombre le plus parfait) Les nombres étaient associés à ses noms dans un but magique : "le nombre biblique de la bête", 666, est probablement un exemple de cette pratique. Plus récemment, des fanatiques religieux ont cherché le secret de l’univers dans les dimensions de la Grande Pyramide de Guizèh, une aberration si banale qu’elle porte même un nom – pyramidologie. Des millions d’autres gens autrement plus rationnels vivent sous la terreur du nombre 13, à tel point que les hôtels ne prévoient pas ce niveau dans leurs étages, les avions n’ont pas d’allée n° 13 et le nombre des voitures de course de la Formule 1 fait un saut de 12 à 14, de façon que, par exemple 22 voitures sont numérotées de 1 à 23.
Des ouvrages érudits sont consacrés à la signification des références aussi prisées que le nombre d’or (1.618034) qui intervient dans la floraison des plantes et l’architecture moderne mais n’intervient pas dans la coquille du nautile ni dans l’architecture grecque en dépit d’une abondante littérature mythique qui affirme le contraire. Beaucoup de religions ont leurs nombres secrets (exemple, 41 ou 7 dans le vaudou dahoméen), comme c’est aussi le cas d’organisation ou de sociétés comme la Franc-maçonnerie ; la musique de Wolfgang Amadeus Mozart, principalement la Flûte Enchantée (1791), inclut des références volontaires à la numérologie maçonnique.
La mathématique, on le sait, est l’étude des nombres, des formes et des structures associées. Dès lors, le mysticisme des nombres n’y a pas sa place et se voit relégué dans la catégorie de la numérologie. La numérologie essaie d’éclairer le fonctionnement interne de l’esprit humain mais s’intéresse peu au reste de l’univers. Les mathématiques, quant à elles, essaient d’éclairer l’univers sans restriction, mais jusqu’à présent s’intéresse peu à la psychologie humaine. Entre ces deux sciences, un fertile terrain de recherche ne demande qu’à être exploré.
Chiffres et Numérologie
Des coïncidences numériques sont si légion, et s’avèrent souvent si étonnantes qu’il est difficile de les expliquer rationnellement. Et c’est tout naturellement que nombres de gens en arrivent à se convaincre de ce que ces coïncidences ont des explications irrationnelles. Que dire par exemple des troublantes similarités ( pas toutes numérologiques) entre les Présidents Abraham Lincoln et John F. Kennedy, choisies dans une liste infiniment plus longue de Les Nombres Magiques du Docteur Matrix, de Martin Gardner, (publié en 1985) ?
• Lincoln était élu président en 1860, Kennedy en 1960.
• Les deux étaient assassins un Vendredi.
• Lincoln étaient tué dans une voiture Ford; Kennedy était tué dans un décapotable Lincoln fabriqué par la Ford Motor Company.
• Les deux hommes ont eu pour successeurs des démocrates Sudistes nommés Johnson.
• Andrew Johnson était né en 1808, Lyndon Johnson en 1908.
• Le prénom du secrétaire privé de Lincoln était John, le patronyme du secrétaire privé de Kennedy était Lincoln.
• John Wilkes Booth était né en 1839, Lee Harvey Oswald en 1939.
• Booth a tiré sur Lincoln dans un théâtre et s’est réfugié dans un magasin; Oswald tira sur Kennedy d’un magasin et se réfugia dans un théâtre.
• Les noms de John Wilkes Booth et de Lee Harvey Oswald ont chacun 15 lettres.
• La première suggestion publique demandant l’investiture de Lincoln proposa que son colistier soit un certain John Kennedy. (John Pendleton Kennedy était un homme politique de Maryland.)
• Translatez de six places dans l’alphabet chacune des lettres du sigle de FBI et vous obtenez LHO, les initiales de Lee Harvey Oswald !
Une explication pour des coïncidences de cette sorte est ce qu’on appelle le report sélectif. Tout événement qui correspond à l’origine d’une coïncidence est retenu à l’exclusion de tout autre. Ainsi la coïncidence du jour de la semaine pour les assassinats est soulignée ; mais la différence des mois et la date du mois sont ignorés ( Lincoln est assassiné le 14 avril, et Kennedy le 22 novembre.) Plus subtile est le fait qu’un seul choix est retenu parmi plusieurs possibilités, celui qui valide le modèle numérologique. Parfois les jours de naissance sont utilisés, d’autres fois c’est le jour des élections. Et si ceux-là ne marchent pas que dire des dates de leur diplôme universitaire, de la naissance de leur premier enfant, de leur première élection à un poste public ou même de la da te de leur mort ?
Et pour couronner le tout, certains « faits » s’avèrent parfois faux. L’année de naissance exacte de Booth semble maintenant se situer à 1838 au lieu de 1839, et en réalité Booth s’est réfugié dans une grange. Il n’est pas rare que les coïncidences soient exagérées de cette façon. Et quand on commence à regarder de près, on constate que Lincoln est barbu. Est-ce que Kennedy a de la barbe ? Non, c’est le genre rasé de frais. Donc la barbe n’entrera pas en ligne de compte.
Nombres de coïncidences énumérées ici relèvent de l’exagération, du mensonge, une élaboration choisie dans une gamme infinie de possibilités, ou le résultat d’un processus caché de sélection. Toutefois quelques-unes de ces coïncidences ne laissent pas d’être stupéfiantes. Bien que des explications rationnelles existent, un vrai croyant ne peut être convaincu. C’est dans ce territoire fertile que le mysticisme des nombres s’enracine.
Traduit et annoté par Binason Avèkes.
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
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