Essai de Déconstruction d'un Consensus Frauduleux
Dans l'annonce de sa décision de légiférer par ordonnance Yayi Boni excipe de ce qu’il appelle un « un blocage qui fait peser de graves menaces sur notre jeune démocratie et l’action du Gouvernement » Il parle bien sûr du blocage du Parlement. Mais il s’agit d’un vrai consensus frauduleux, savamment concocté pour cacher la réalité de sa situation politique. Quelle est cette situation politique en vérité ?
Yayi Boni est arrivé au pouvoir par un vote massif des Béninois qui voulaient tourner la page du passé, faite de misère, de corruption et d’impunité. Alors à partir de là, inattendu sur la scène politique, il a emprunté la vague populiste du culte personnel avec des voies souvent surannées et une méthode autoritaire qui empiète volontiers sur les règles démocratiques. Avec l’idée que la fin justifie les moyens et l’effet euphorique de sa victoire initiale érigée en justification de ses excès. Dans cet esprit, il n’a eu de cesse d’asseoir son pouvoir selon une démarche de majesté totalitaire et sans partage. Cela se ressent au niveau de son rapport aux medias mais aussi dans ses actes politiques. Il a créé une alliance pour soutenir son action, et par tous les moyens il a conduit cette alliance à la victoire aux élections législatives de 2007. Avec finesse, il met en scène l’idée de la gouvernance concertée ; mais cette politique est conditionnée à son obsession de majesté totalitaire ; c’est-à-dire que le dialogue qu’il prétend instaurer dans le cadre de la gouvernance dite concertée est un dialogue pipé. Beaucoup d’actes et de décisions ont trahit le fait que pour Yayi Boni le dialogue est directif et autoritaire ; c'est-à-dire qu’il n’a de sens que lorsqu’il reste sous contrôle et ses conclusions arrêtées d’avance. Les interlocuteurs n’étant mis en scène que pour la forme et pour accréditer l'illusion d'une concertation. Ce qui équivaut à un déni d’égalité à la partie en face, incompatible avec l’objectif de concertation affiché.
Le tempérament de Yayi Boni conduit de fait à une volonté de gestion sans partage du pouvoir. Peut-être qu'une telle attitude correspond-elle à l’idée que le Président se fait du changement ; un changement qui apparaît bien plus comme négatif, c’est-à-dire dirigé contre (les hommes politiques du passé, ses adversaires, les pratiques du passé, etc.) que comme positif, c’est-à dire pour (le bien-être matériel, la culture, la morale, l'inventivité, les formes sociales nouvelles, etc.)
Cette volonté léonine s’est concrétisée à l’issue des élections législatives qui ont vu se constituer sous la bannière du Chef de l’Etat, et à travers la FCBE, l’alliance qui le soutient, une majorité confortable à l’Assemblée. La FCBE a raflé tous les postes clés de la nouvelle législature à l’Assemblée, ne laissant à la partie d’en face que des miettes. Avec cette victoire, le moteur politique de Yayi Boni a atteint un régime satisfaisant ; et c’est ainsi que le Chef de l’Etat se trouve au faîte de sa volonté de gouverner : c’est-à-dire sans partage et de façon majestueuse et totalitaire. Dans la mesure où en gros cette manière de faire ou de penser la politique ne met pas à mal la démocratie dans ses règles de base, on peut penser qu'il s’agit là d’une simple question de style ou de tempérament. Mais dans le fond le principe de la majesté totalitaire ne peut pas se réduire à une question de style. Au-delà de la majesté, il y a la dimension totalitaire qui apparaît de façon récurrente et inquiétante pour la vie démocratique. En amont et en aval de leur déroulement, la tension créée par les élections municipales en fait foi. De l’affaire du vol des cartes électorales au blocage de l’installation des conseils municipaux par les militants du parti présidentiel, on voit poindre la tête de l’hydre totalitaire, de plus en plus débarrassée de son masque de majesté. Ce n’est pas étonnant que tout cela génère la crise, et qu’aujourd’hui on se trouve avec la décision du Chef de l’Etat de gouverner par ordonnance.
Si la décision de légiférer par ordonnance découle de la crise, la crise elle-même découle de l'attitude du Président. La crise est au coeur du consensus frauduleux et participe d'une logique de dénégation et de masquage. Il est donc salutaire de rétablir la vraie origine de ce recours aux ordonnances, qui soit dit en passant ne dépareille pas au regard des pulsions antidémocratiques trahies par Yayi Boni depuis son accession au pouvoir en avril 2006. A l'évidence, l'origine réelle du recours aux ordonnances n'a rien à voir avec les justifications avancées par le Chef de l’Etat dans son discours. La décision de légiférer par ordonnance si elle s’explique par l’urgence des lois qu’elle veut faire passer, n’a pas pour origine réelle le blocage du parlement, mais le fait que le Président de la République a perdu sa majorité à l’Assemblée. Après avoir joui pendant une année d’une majorité sans partage à l’Assemblée, au fil des défections dans son camp, Monsieur Yayi Boni voyait venir d’un mauvais œil ce danger. Et il était incompatible avec son style et sa majesté totalitaire. Car pour lui, gouverner c’est gouverner sans partage. Face à cet état de perte de majorité, crise de lèse-majesté s'il en est, Yayi Boni a trouvé un refuge commode dans un enchaînement de crises délibérément mal négociées mais dont les remous médiatiques ou logiques lui permettent de cacher sa situation minoritaire à l’Assemblée.
En somme Yayi Boni a réussi à déplacer le problème sur le terrain des crises et semble avoir d’autant plus réussi ce consensus frauduleux que ceux qui se disent ses opposants l’y ont bien aidé à leur corps défendant, soit par bêtise soit par passion ou les deux à la fois. C’est ce sentiment de réussite, en partie imaginaire – et cela n’est pas incompatible avec son tempérament – qui fonde Yayi Boni, après les gesticulations institutionnelles consacrées, à officiellement jeter le masque, en décidant de légiférer par ordonnance. Chose qu’il aurait pu décider de faire bien des mois plus tôt, dès qu’il est apparu que sa majorité avait tourné au vinaigre. Peut-être avait-il alors l’excuse d’espérer changer ce vinaigre en vin de table. Mais pour cela il aurait fallu qu’il arrangeât celle-ci en vrai table de négociation, et eût la volonté de mettre un peu d’eau dans son vin. Ce qui est incompatible avec le principe de la majesté totalitaire.
Aminou Balogoun
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