La Citation qui fait Pschitt... !
La presse béninoise grouille de critiques et d’interventions diverses. Une pléiade de voix se fait entendre à travers une diversité d’organes et de moyens de diffusion. La caractéristique de cette richesse dans l’expression des opinions et des idées et en même temps son talon d’Achille est la monomanie du thème politique. Sous ce rapport, les autres domaines de la vie sociale sont orphelins, abandonnés à leur sort, font l’objet d’une étrange désaffection. Notamment le domaine de la pensée sociologique, littéraire, philosophique et culturelle.
Or pour nous les Africains, et notamment les Béninois, hors de la politique point de salut. Et puis parlant de politique, ce n’est pas la politique au sens noble ni scientifique ; non c’est la politique des clochers, des intérêts matériels de la salivation pour des postes, de la passion pour les polémiques, les combats de coq à n’en plus finir, les accusations et invectives croisées, qui sont autant de manifestations de non respect de l’autre et d'intolérance. Tout cela n’est pas étonnant. Nous avons hérité d’une histoire qui restreint la sphère de nos capacités d'action économique. Il serait difficile de faire l’histoire d’une bourgeoisie africaine ou béninoise digne de ce nom, avec ses efforts, son éthique du progrès, ses réalisations positives etc. Encore plus difficile de parler de classe autonome d’hommes d’affaire, d’entrepreneurs à envergure internationale, capable de rivaliser avec leurs semblables à l’échelle du monde. Nous n’avons pas de classe moyenne en tant que tel avec tout ce que cela implique d’ambition, de moyen, de niveau d’instruction et de valeurs. Ce que l’Afrique possède surtout et ce à quoi elle a été rabattue, ce sont les matières premières : le pétrole, le diamant, l’uranium, le fer, la bauxite, et que sais-je encore. Et comme l’occident depuis des lustres a jeté son dévolu sur ces ressources dont il considère l’Afrique et ses habitants comme indignes de la possession, le problème qui se pose a toujours été quel système mettre en place pour assurer leur circulation à sens unique dans l’intérêt des plus forts, c'est-à-dire les Blancs d’Occident. C’est pourquoi, de l’esclavage au néocolonialisme en passant par le colonialisme, a prévalu et prévaut une atmosphère de spoliation structurée où les organes d’une politique non démocratique et populaire, antinationale visent surtout à enrichir l’Occident au détriment de l’Afrique. Pour cela une élite fonctionnelle a émergé, mise en place ou réquisitionnée avec violence ou conditionnement par l'Occident. C’était le deal : ou bien le dirigeant africain est docile et se fait volontiers satrape des puissances occidentales, ou bien il est éliminé, coincé, voué aux gémonies, acculé aux abois, mis au ban du bon sens géopolitique que secrète violemment l’Occident. C’est ainsi que ce qu’on appelle politique est devenu en Afrique la seule façon de s’enrichir, de créer des richesses, à l’exclusion des voies classiques que génère le capitalisme, par le travail et l’inventivité. Dans la mesure où l’Occident nous impose directement par substitution sa classe de capitalistes à lui, ses sous-produits, ses hommes d’affaires, et fait de nous un marché exclusif etc, l’Afrique n’a aucune vocation à s’en créer par elle-même mais doit subir, être passivement à la merci de ceux des autres. Voilà pourquoi ce qu’on appelle politique est devenu la seule façon de s’enrichir en Afrique, au-delà de certaines formes dérivées d’organisation du travail qui non seulement n’intéressent pas l’occident mais ne sont au mieux que des sous-produits de son système capitaliste hégémonique. C’est pour cela que le rêve ordinaire de tous les enfants Africains est d’être Ministre ou Président. Volontairement ou non, inconsciemment ou non cette réalité explique pourquoi la politique au sens de désir de s’accaparer des positions d’intermédiaire de l’exploitation de nos ressources par les Blancs, est très prisée en Afrique. C’est le seul horizon réel de l’accomplissement de soi par l'Africain. Raison pour laquelle un pays aussi petit que le Bénin ne dispose pas moins d'une trentaine de partis politiques et autant de journaux d’opinions plus ou moins sérieux et durables. Et cet intérêt pour la politique ainsi définie fait tâche d’huile sociologiquement.
Dès lors, la presse, même dans les pays dits démocratiques, en vient à prendre position dans cette quête permanente et dramatique de la chose politique. Alors même que leur besoin et leur mise en jeu sont déterminants pour notre libération, les autres domaines de la vie sociale sont méprisés, abandonnés à leur sort, et font l’objet d’une étrange désaffection sociale.
Ainsi la presse dans le Bénin du Renouveau Démocratique est-elle riche d’analyses et friande d’opinions politiques. Il existe un marché florissant de chroniques, d’éditoriaux, de libelles en tous genres dont le seul thème est la politique, non pas au sens noble mais la politique du vendre et du ventre : vendre ses moyens de persuasion ou de dénigrement pour acheter de quoi vivre, faire ventre à part. Toute une armée de chroniqueurs et d’éditorialistes plus ou moins stipendiés, plus ou moins autonomes, plus ou moins sincères, plus ou moins passionnés, plus ou moins talentueux, prennent position non pas en soi par rapport aux problèmes et idées politiques qui leur servent de prétexte et de fonds de commerce, mais par rapport à la loi du plus offrant politique de l'influence ou de l’achat des consciences.
Cet état de chose, cette loi du marché des opinions, de leur portage a un effet sur la rhétorique des chroniques dont les chroniqueurs élaborent des stratégies stylistiques pour s’identifier et se démarquer. Mais à côté et au-delà des positions stylistiques des uns et des autres, existe le fond commun des lieux et du discours de base qui trahit la pauvreté épistémologique inhérente à notre situation de peuples qui ne semblent pas avoir la réflexion en héritage, héritiers que nous sommes d’une situation indécrottable d’aliénation dans laquelle nous semblons prendre un plaisir puéril à nous vautrer. Il y a à boire et à manger dans les idées, les discours, les styles, la rhétorique, la grammaire ou la syntaxe des cris et des écrits de nos chroniqueurs autoproclamés. Mais pour ne parler que de ce qui est commun, sous l’angle de la problématique de l’aliénation, il est intéressant de souligner l’usage classique qui est fait de la citation d’auteur, que ce soit une idée ou un proverbe. Le recours à la citation emprunte à l’argument d’autorité. Mais souvent ces citations entretiennent un rapport ténu avec l’argumentaire qui les sollicite. En général, les idées, mais aussi les auteurs amenés dans le texte sont d’une désuétude et d’une situation historique assez marquées. Leur considération, souvent hors contexte, trahit la superficialité étonnante de l’approche rhétorique opérée par le chroniqueur ; mâtinée d'anachronisme, elle trahit un vice de datation aveugle et un manque de renouvellement thématique pour le moins renversant. En fait, il s’agit expressément pour le chroniqueur de s’abriter derrière ce qu’il tient, tout au moins dans l’esprit de son lecteur, pour une marque de lueur intellectuelle, de profondeur philosophique, d’esprit systématique, de pertinence référentielle au moment où, au regard d’une conscience avertie, plus spécialisée et plus rigoureuse, la désuétude, l’incohérence, l'extracontextualité sinon la superficialité le disputent à la supercherie, la vanité du clinquant et à la mystification.
Il s’agit de se prévaloir d'une autorité pour légitimer son discours et accréditer son talent. Mais contrairement aux apparences et en raison même de la superficialité logique de ce recours, on ne peut pas parler d’argument d’autorité, puisqu’en fait d’argument il n’y en a pas vraiment. Il y a sans doute une image, qui réside dans l'aura de l'idée ou de l'auteur invoqué, dans ses bons mots. Dès lors on peut dire que la rhétorique du journalisme béninois a inventé « l’image d’autorité », à savoir une sorte de recours magique à une image qui s’épuise en elle-même, et dont le rôle est de transférer par sympathie ou association d’idées sur le chroniqueur et sa chronique, le sérieux, la pertinence, l’intelligence, l’honorabilité et la cohérence épistémologique qui leur font défaut et qu’est censé posséder l’auteur célèbre convoqué à cette fin.
Chez ses plus grands usagers béninois et maîtres, l’art de la citation d’auteur suit souvent une marche dialectique. Dans ces cas, trois citations sont semées dans le texte. Une au début fonctionne comme un parfum d’idée pour montrer d’entrée de qui ont tient, dans l'antichambre de quel grand homme de la pensée on invite le lecteur à pénétrer ; une seconde comme l’écho d’un esprit lumineux juché sur la falaise du savoir et que le chroniqueur a capté à l’intention de son lecteur perdu dans la vallée de la connaissance ; et la citation finale qui fonctionne comme une chute, une synthèse, qui clôt en apothéose la gerbe du discours, une sorte de contrôle rhétorique du lecteur comme on parle de contrôle social en sociologie.
Ce qui est flagrant c’est le caractère ténu du rapport entre la citation et l’argumentaire adjacent si argumentaire il y a, et l’inconsistance épistémologique de l’opération. Dans ce jeu de citations à l’emporte-pièce, on ne sait plus faire la part des choses entre l'ornement et le sédiment d'une pensée, entre le fond et la forme, l'éthique et l'esthétique, ce qui est bon pour nous et ce qui l'est moins. Dans l’envolée lyrique de la citation, on a vu souvent de braves journalistes béninois par ailleurs bons sous tout rapport, s’en donner à cœur joie de citer des extrémistes français racistes et antisémites, sans doute pour le seul fait qu'ils sont blancs et pour l'idée hémiplégique et à courte vue qu'ils en ont ; ou parce que ces hommes à un moment donné ont été considérés par le système français comme une référence. Mais en la matière, la référence du lion vaut-elle en toute circonstance pour le zèbre ? A ce rythme, nos journalistes glisseront bientôt insensiblement vers les : « Comme l’a dit Hitler » juste pour le plaisir de citer un grand blanc, aussi noire et ignoble soit cette grandeur...
Mais loin de cette hypothèse-repoussoir, les auteurs de prédilection cités sont souvent les icones défraîchies de la pensée classique française héritées du missel colonial et néocolonial et érigées en horizon indépassable et naturalisé de la haute pensée éternelle. On trouve à foison des exemples d’un tel recours à l’image d’autorité dans les chroniques de la presse béninoise. Comme dans l’exemple ci-après avec lequel nous allons clore cette brève critique de l’aliénation intellectuelle consubstantielle à notre posture de peuples intellectuellement et symboliquement dépendants et fiers de l’être ; exemple choisi non pas parce qu’il est le plus bête ou le plus criard de cette tare, – loin s’en faut – mais tout simplement parce qu’il est le plus récent et à l’avantage de coller à l’actualité. Il s’agit de l’article de Charles Toko publié dans le Quotidien le Matinal du 3 juillet 2008 et intitulé : « Un gouvernement de curares ? » Dans cet article le vibrionnant journaliste sacrifie au rituel des citations. L’article est bien écrit et les idées développées y sont d’une pertinence saisissante. L’auteur met à nu l’incongruité économique du choix fait par le gouvernement de bloquer les prix avant les élections municipales pour devoir les libérer après ces élections. Entre temps il a coulé un flot de milliards sous les ponts du budget national ! 80 milliards en tout qui auraient pu être utilisés à meilleur escient. L’auteur resitue sa critique dans le cadre du questionnement sur la pertinence du dogme de l’Etat-providence eu égard à sa situation historique dépassée ; il déroule une explication économique pertinente. A un moment donné on a le sentiment qu’il fait un bel exposé d’économie politique. Et la tonalité de son discours n’est pas sans rappeler les grands débats théoriques qui ont agité les siècles précédents, ainsi que les positions respectives de leurs auteurs, à savoir les Pareto, Simmel, Adam Smith, Weber, Marx, Schumpeter, Ricardo et autres Keynes, etc. Mais, comme s'il tamisait de l'or en toute inconscience à l'instar d'autres qui font de la prose sans le savoir, au moment de faire sa sortie finale de citation dans le pur style du rituel de l’image d’autorité, voilà comment notre chroniqueur s’en sort : « Grands Dieux : quelle économie peut supporter de telles contraintes ? Nous n’avons ni pétrole, ni or, ni diamant. Le budget est essentiellement fiscal. Par quelle alchimie tenir toutes ces promesses ? C’est vrai, le président Yayi Boni a fait l’option d’écouter le peuple. Mais il doit éviter de chercher à plaire à tout prix au peuple. « Je ne connais pas le secret du succès, mais, je puis vous indiquer le chemin de l’échec : essayer de plaire à tout le monde », disait déjà Voltaire, il y a plus de deux siècles. Le dirigisme économique ne paye plus. C’est démodé. L’Etat-providence a montré toutes ses faiblesses. Il faut l’oublier. Trop d’interventions tue l’économie. Enfin le gouvernement actuel devrait écrire cette pensée de Tocqueville en lettres d’or, à l’entrée de la salle du conseil des Ministres : « le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui ».
Alors que l’essence de l’argumentation, sa substantifique moelle a roulé autour des thèmes économiques, au final, on a donc droit de façon arbitraire à Voltaire, et à Tocqueville, même si en l'occurrence, les transitions ne manquent pas de subtilité. Voltaire sans doute pour l’éthique en raison de l'esprit de dérision, et Tocqueville pour la politique et parce que c’est le grand Tocqueville et Toc ! La citation a fait pschitt... ! L’économie quant à elle est retoquée... ses grands maîtres dont la plupart ne font pas partie du missel néocolonial français attendront...
Bien sûr l’usage des citations dans les chroniques est rituel. Et les rituels sont des choses qui ne sont pas rationnelles au sens académique ou cartésien du terme. Mais il serait bon que nos intellectuels et nos journalistes assument leur autonomie de producteur d’idées, sans recours obligé à des images d’autorité, stratagèmes sans rime ni raison interne, tirés par le cheveu et qui pactisent bien plus qu’on ne le croit avec l’aliénation et le ridicule plutôt que le bon sens... qui, comme l'a dit l'autre, est la chose la mieux ... Au fait qui a dit ça déjà ?... Vite, sus aux dictionnaires et autres recueils de citations !
Binason Avèkes
Déjà le 5 juin, par la voix de Charles Toko, Voltaire disait déjà :
Entourage du chef de l’Etat :Yayi Boni, prisonnier des évangélistes ? (...) |
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Déjà le 5 juin, par la voix de Charles Toko, voltaire disait déjà :
Entourage du chef de l’Etat :Yayi Boni, prisonnier des évangélistes ? (...)
Car ils n’escroquent que des ratés dont la seule raison de vivre sur terre est la promesse d’un au-delà merveilleux. Voltaire disait déjà qu’il semble que « la populace ne mérite pas une religion raisonnable ». Plus les évangélistes racontent des bêtises, plus des imbéciles croient en eux. (...) Charles Toko
Rédigé par : B. A. | 06 juillet 2008 à 23:43